« Tout cela représentera peut-être un bond en avant pour le Pérou », » déclare Mario de las Casas, le directeur local de la compagnie maritime chinoise Cosco, depuis une plateforme d’observation. Il explique le gigantesque chantier en cours : 1 500 ouvriers travaillent 24 heures sur 24 pour faire sortir de terre le nouveau joyau des nouvelles Routes de la Soie : le port en eau profonde de Chancay, sur le Pacifique, à 60 kilomètres au nord de Lima, la capitale.
Nous sommes en mai, il est presque midi. Le soleil tape sans pitié sur les ouvriers, qui se déplacent avec leurs casques de protection et leurs gilets de signalisation. Ce site, qui se partageait il y a quatre ans quelques porcheries et les ruines d’un marché aux poissons, voit aujourd’hui apparaître les fondations du port des superlatifs.
Dix-huit mètres de profondeur, parfaits pour les navires jusqu’à 400 mètres de long et transportant 18 000 conteneurs standards. Des navires aussi gros que la soif de matières premières de la Chine et trop gros pour les nouvelles écluses du canal de Panama. Le propriétaire et exploitant est Cosco Shipping Ports, la quatrième plus grande compagnie maritime au monde, qui a investi 3,5 milliards de dollars. [environ 3,2 milliards d’euros] dans le projet.
Des camions emportent des pierres, une grue continue de laisser tomber de lourdes dalles de béton sur le sol sablonneux avec un grand fracas pour les compacter.
Chancay fait partie de la stratégie commerciale mondiale de la Chine. Lancé en 2013 sur la terre ferme avec les nouvelles Routes de la Soie [appelées en chinois yi-dai yi-lu (“Une ceinture, une route”)]elle se poursuit désormais en mer : le pays investit des milliards dans les ports et les terminaux pour garantir l’accès aux marchés mondiaux.
Chancay constituera son site le plus important en Amérique du Sud [et peut-être permettre à l’économie chinoise de retrouver sa puissance d’antan] grâce à sa situation géographique, entre l’Asie et le continent sud-américain. Il n’est donc pas surprenant que le président chinois Xi Jinping envisage d’assister en personne à l’inauguration, prévue en novembre.
Un thriller économique
Les Chinois comptent désormais utiliser Chancay pour inonder le marché latino-américain de leurs voitures électriques, de leurs téléphones portables ou de leurs vêtements bon marché. Le continent est peuplé de 200 millions de personnes pauvres et désireuses de consommer, et ces produits devraient se vendre comme des petits pains.
Et du gaz, de la farine de poisson ou des minerais quitteront Chancay, ainsi que des matières premières importantes pour la transition énergétique, comme le cuivre et le lithium. La Chine possède déjà de nombreuses concessions minières au Pérou, en Bolivie et en Équateur.
Les États-Unis regardent Chancay avec une inquiétude croissante, et ce n’est pas seulement en raison de la taille et de la situation géographique du port. Ce qui les inquiète le plus, c’est l’exclusivité que Cosco a réussi à obtenir. Ce ne sera pas l’Autorité portuaire nationale qui décidera qui peut accoster, travailler et échanger des marchandises à Chancay, mais uniquement la compagnie maritime chinoise.
« Grâce à ce monopole, Cosco pourra contrôler les routes maritimes les plus rentables » » déclare Evan Ellis, qui couvre les relations Chine-Amérique latine au Center for Strategical and International Studies, un groupe de réflexion de Washington qui travaille sur la défense et la sécurité nationale.
« Lorsque vous avez le pouvoir sur les infrastructures et les routes, vous avez également le pouvoir sur les prix et vous pouvez vendre vos produits à moindre coût. »
Les Chinois ont déferlé sur Chancay comme un tsunami : ils ont dynamité les collines