C’est une exposition à la fois savante et brûlante que le musée du Louvre propose cet automne autour des figures du fou. A quelques jours de son inauguration, le film “Joker”. Folie à deux » – le hasard fait bien les choses. Ces images de fous et de folie résonnent de façon surprenante avec l’actualité du monde et ses bouleversements. Dans un registre connexe quoique différent, le Mucem de Marseille présentera cet hiver « En piste ! Clowns, clowns et acrobates » : la figure du clown est un lointain héritage de celle du fou. « Il y a quelque chose de l’air du temps dans ce sujet, de l’envie de revenir au rire et au désordre », explique Élisabeth Antoine-König, co-commissaire de l’exposition du Louvre avec Pierre-Yves Le Pogam. .
« Infini est le nombre des fous », peut-on lire dès les premiers pas de ce voyage qui présente différentes facettes de la folie. La phrase, tirée de l’Ecclésiaste, apparaît sur une gravure ornée de proverbes, dans laquelle un chevalier présente à toute face, sous son casque, les lignes d’un planisphère (« Ô tête digne de l’hellébore ») – étrange vision d’un plongeur de « Vingt mille lieues sous les mers » ou un personnage surréaliste d’après un tableau de René Magritte.
Au fil des pièces, les scènes d’amour courtois sont nombreuses, comme la gravure « Couple d’amoureux à la fontaine » (vers 1490) d’Alart du Hameel, ou les couples très occupés dans le jardin luxuriant représentés sur la tapisserie « Le Goûter ». » (vers 1520). Les fous nous rappellent aussi que nous allons mourir, par exemple dans la « Copie de la Danse macabre de Bâle » de Johann Rudolf Feyerabend (1806), dont l’original de 60 mètres de long date de 1439. Ils apparaissent dans des combats, comme la scène du tournoi d’un côté du banc d’orfèvrerie du prince électeur Auguste Ier de Saxe (1565) – cet objet monumental et luxueusement utilitaire décoré de marqueterie servait à tirer du métal fils. Ce sont aussi des danseurs et des musiciens, représentés comme tels de manière allégorique ou sous forme de portraits comme celui de Claus Narren von Ranstedt (vers 1550).
« La folie est un sujet faussement marginal »
L’époque médiévale et la Renaissance occupent l’essentiel de la visite. Au propre comme au figuré, le fou semble passer des marges des livres enluminés, où l’on voit des dragons à tête d’homme (bréviaire d’été de Renaud de Bar, évêque de Metz, 1302-1305), au centre de la société. « La folie est un sujet faussement marginal. Dans les tapisseries, les peintures, les sculptures et l’architecture, les fous apparaissent rapidement comme des figures marquantes. On parle de « figures du fou » parce que ce sont des fous symboliques qui représentent le monde à l’envers », ajoute Élisabeth Antoine-König. L’origine de cette vision est ancrée dans la religion catholique, à travers l’image du fou rejetant Dieu. Mais il se déploie aussi dans des objets profanes, comme le curieux aquamanile (récipient pour se laver les mains avant la messe ou lors des banquets) qui représente avec beaucoup d’humour la belle Phyllis chevauchant le pauvre Aristote amoureux d’elle (vers 1380). Le fou met en garde contre la folie humaine.
Certains objets surprennent par leur ambivalence : comme le très étrange porte-serviettes représentant un fou enlacant une femme d’Arnt van Tricht (actif entre 1530 et 1570), on ne sait s’il est porteur d’un message moralisateur ou grivois. D’autres se réjouissent de l’humour et de la bizarrerie qu’ils véhiculent : « l’Armet au visage fou d’Henri VIII, roi d’Angleterre » de Konrad Seusenhofer (1511-1514), chef d’armure avec cornes de chèvre et lunettes, est un curieux cadeau diplomatique offert par un empereur à un roi. Dans le premier quart du XVIe siècle, à l’époque de la publication de « L’Éloge de la folie » d’Erasme, que Hans Holbein peint sous les traits d’un sage, la figure du fou atteint son apogée dans toutes les sphères de la société. .
La suite après cette annonce
Les chefs-d’œuvre se succèdent, comme « L’escroc », ou encore « La Nef des fous » de Jérôme Bosch, bateau délirant dans lequel se détache un personnage, habillé en fou et avec un marteau à la main en guise de sceptre. , il boit dans une tasse et reste à l’écart des autres passagers ivres. À l’heure où l’Europe connaît d’importantes transformations culturelles et sociales, ce chiffre véhicule des idées de subversion.
La suite de l’exposition est consacrée à la mise en sourdine de ces représentations au XVIIe siècle, due à la Réforme, à la Contre-Réforme, puis à la philosophie des Lumières, peu propice aux fêtes, aux carnavals ou aux débordements. Ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle qu’ils réapparaissent. En 1799, Goya grave l’image d’un artiste endormi entouré de chimères : « Le sommeil de la raison engendre des monstres ». Une ambiance qui n’est pas sans rappeler les gargouilles aux ombres inquiétantes souhaitées par Viollet-le-Duc pour Notre-Dame de Paris. Le sujet de la maladie mentale, jusqu’alors inexistant, est mis en lumière. Dans son grand tableau, Tony Robert-Fleury montre le docteur Pinel, médecin-chef de la Salpêtrière, dont l’adjoint libère les aliénés de leurs chaînes en 1795, image des premières recherches en psychiatrie (1876). Alors qu’autrefois on ne parlait que de ses « absences », la reine Jeanne la Folle est représentée dans des postures folles. Johann Heinrich Füssli montre « Lady MacBeth marchant dans son sommeil » (vers 1784), l’air halluciné, dans une toile monumentale, tandis que Théodore Géricault peint un peu plus tard « La folle monomaniaque du jeu » (1819-1822). L’exposition se termine par une version du célèbre autoportrait de Gustave Courbet, « L’homme rendu fou par la peur » (1844). Le peintre porte le costume rayé de bouffon, la main tendue vers un abîme invisible, ouvrant la porte à la vision véhiculée par le XXe siècle, du fou comme figure de l’artiste.
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