Décédé le 29 octobre à l’âge de 96 ans, le prolifique peintre John Little n’a pas encore été découvert par les musées. C’est du moins ce que croit son galeriste Alan Klinkhoff, de la galerie du même nom, située à deux pas du Musée des beaux-arts de Montréal.
La galerie Alan Klinkhoff présente cette semaine une rétrospective de l’œuvre de John Little. Prévue avant même la mort du peintre, l’exposition intitulée La peinture urbaine au Canada était à Toronto la semaine dernière et n’est ouvert au public que jusqu’à samedi à Montréal.
Bien connu des amateurs de peinture de par la qualité de son œuvre et sa longue carrière débutée dans les années 1950, John Little reste méconnu du public. Et pour cause : reclus, il n’a jamais accordé d’interview et les photos de lui sont rares.
Le Réjean Ducharme de la peinture
Sa dernière exposition personnelle remonte à 1979 et l’expérience n’a pas été des plus agréables, se souvient Alan Klinkhoff. Il y en a qui ont fait la queue trois jours avant le vernissage pour avoir ses tableaux
précise-t-il.
Les gens se bousculaient, il y avait même une petite bagarre. Et à partir de là, il s’est dit qu’il ne ferait plus jamais d’exposition personnelle. Il a continué à nous fournir des tableaux, deux à la fois.
Il n’existe qu’un seul livre sur John Little et son œuvre. Il a été publié en 2017 par Alan Klinkhoff qui en a réalisé une édition en anglais et une autre en français. Le livre s’appuie sur une série d’entretiens, les seuls que le peintre ait jamais menés, avec bien sûr son galeriste. Aujourd’hui, Alan Klinkhoff souhaite, avec l’autorisation des enfants de John Little, ajouter les derniers chapitres de la vie du peintre avant de rééditer le livre.
La couverture du livre qui recense l’œuvre de John Little de 1951. On voit la rue Poupart qui monte vers l’usine Macdonald Tobacco, une toile peinte en 1974.
Photo: - / René Saint-Louis
Même si elles ne sont pas entrées dans les collections des musées de son vivant, les peintures de John Little se retrouvent dans de grandes collections publiques et privées. Hydro-Québec et la Banque Nationale en ont chacune deux, Loto-Québec en a une et Power Corporation en a quatre, dont une rare vue de Montréal peinte en 1975 depuis le belvédère du Mont-Royal. La famille Molson en est également propriétaire.
À une époque, les joueurs de hockey de la Ligue nationale déchiraient les toiles de leur patinoire.
Jean Béliveau en avait, Vincent Damphousse aussi et plusieurs autres joueurs
» précise Alan Klinkhoff, avant d’ajouter que le peintre ne voulait pas produire pour ce marché et qu’il préférait se concentrer sur ses scènes de rue.
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Un tableau de John Little représentant une patinoire intitulé « Rue Dorion, Montréal, 1965 ».
Photo : avec l’aimable autorisation de la galerie Alan Klinkhoff
Alan Klinkhoff reste convaincu que la découverte de John Little par les musées viendra, puisqu’il est l’artiste urbain le plus important au Canada, même si ses sujets sont les rues de Montréal, de Québec et certains d’Ottawa. Déjà, précise le galeriste, ses tableaux se vendent plus cher que ceux du peintre Adrien Hébert (1890-1967) qui fait désormais partie des collections des grands musées canadiens.
Un collectionneur de peintures qui souhaite garder l’anonymat estime que le message de John Little sur la préservation des vieux quartiers urbains et des banlieues trouve un écho partout en Amérique du Nord.
La disparition du centre-ville comme lieu de vie s’est produite dans plusieurs villes d’Amérique du Nord. Pas seulement ici. Tout le phénomène de modernisation d’après-guerre s’est produit à New York, Chicago et Détroit.
Les premières scènes de John Little ont en effet été peintes dans un quartier voué à disparaître : celui du Faubourg à m’lasse où sera construite la Maison de -. Il peint ensuite dans un style plus surréaliste comme en témoigne la toile Rue Beaudry, de la Gauchetière, Montreal, 1963, peint quelques mois avant la destruction du quartier.
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La toile « Rue Beaudry, de la Gauchetière, Montréal, 1963 », peinte quelques mois avant la destruction du quartier.
Photo : avec l’aimable autorisation de la galerie Alan Klinkhoff
Le peintre du Centre-Sud
Dans les décennies suivantes, il peint la partie nord de ce secteur, qui existe toujours. Rues Wolfe, Montcalm, Beaudry, de la Visitation, Panet, Plessis, Logan, Lafontaine, Champlain, toutes ces rues du quartier Centre-Sud de Montréal ont été immortalisées dans les tableaux de John Little.
Même chose pour les rues des quartiers Saint-Henri, Pointe-Saint-Charles, Mile End et Plateau. Au début des années 1970, son style se transforme et devient très documentaire, comme la photo en tête de cet article. C’est le style qu’il a gardé jusqu’en 2016, année où il a arrêté de peindre.
Le propriétaire de la Galerie Vincent à Ottawa, Vincent Fortier, estime que John Little est un parfait représentant du réalisme américain dans le École de cendre apparut à New York au début du 20e siècle.
Nous avons peint de la poésie urbaine, en réaction aux gens qui peignaient de beaux paysages. On a peint les gens ordinaires, les marchés, les banlieues
explique M. Fortier.
Si vous regardez Edward Hopper, aux États-Unis, qui est probablement le peintre le plus important de l’école Ash Can, [eh] eh bien, John Little et Philip Surrey sont les homologues canadiens de cette école, c’est donc un mouvement nord-américain.
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Le tableau « Rue Logan, Montréal, 1985 »
Photo : avec l’aimable autorisation de la galerie Alan Klinkhoff
Pour Paul Maréchal, qui enseigne le marché de l’art depuis 25 ans à l’UniversitéUQAMil ne fait aucun doute que John Little entrera un jour dans les musées canadiens. Il donne l’exemple des peintres Paul Caron, George Delfosse et Adrien Hébert qui ne sont entrés dans les collections des musées qu’à leur mort, après avoir peint et repeint le Vieux-Montréal.
Les gens aiment retrouver ces témoignages d’un passé, d’une ville qui disparaît rapidement. D’autant que John Little était très soucieux de la préservation du patrimoine architectural. Ce sont donc des témoignages pour la postérité qui sont essentiels.
Il arrive aussi que la reconnaissance mette du - à arriver. Paul Maréchal donne l’exemple du peintre britannique Samuel Scott (1702-1772), spécialisé dans les vues de Londres.
Ce n’est que dans les années 1990 qu’il se fait connaître, quand les gens, à travers son travail, constatent à quel point la ville a changé !
John Little fait déjà partie des 100 artistes canadiens les plus vendus, souligne Marc-Antoine Longpré, président de la maison de vente aux enchères BYdealers. En 2020, le web Rue de la Fabrique, Quebec, vendu 133 000 $. Un autre, The stairs against rue Lavigueur and rue Arago Est, Quebecvendu 121 000 $.
Actuellement, un tableau est en vente à Toronto pour 125 000 $. En général, le prix moyen des œuvres de John Little se situe entre 5 000 et 75 000 dollars.