L’enfant d’Aubais dans le Gard, ancien mauvais élève devenu une valeur sûre de l’art contemporain avec ses œuvres colorées aux formes répétitives, expose actuellement à Shanghai et à Lisbonne. Rencontre dans son atelier de Nîmes avec un humble artiste de 88 ans qui ne cesse de créer.
Sa rencontre avec son premier galeriste Jean Fournier
« En 68, quand je suis entré avec ma valise dans la galerie Jean Fournier à Paris, il m’a dit de revenir à 16 heures. Ce que j’ai fait. Quand je suis arrivé, il était en colère contre sa secrétaire. Il m’a dit : « Où sont tes tableaux ? J’ai répondu : « Dans la valise ». Il a alors commencé à les disposer tous au sol, certains mesuraient 5 x 2 m, et il m’a dit : « C’est la première fois que je vois venir une exposition. dans une valise ». Il a été mon galeriste jusqu’à sa mort.
Claude Viallat crée chaque jour depuis près de soixante ans. Les murs de son atelier nîmois témoignent de cette inspiration prolifique. Ici, des œuvres étaient accrochées au mur ; là, d’autres soigneusement pliés, empilés, par dizaines. Le sol porte ses stigmates colorés et des centaines de supports enroulés et classés dans une mezzanine attendent d’être saisis par la main de l’artiste. Celle-là même qu’il tend, robuste mais délicate, pour vous accueillir. Claude Viallat, 88 ans, tête grise et sourire poli, semble un peu ailleurs. Peut-être pas tout à fait sorti du processus créatif du matin – une composition de bois et de cordes – ou déjà en train de penser à celui de l’après-midi, imagine-t-on. « J’ai toujours travaillé de cette manière régulière au quotidien »» dit-il d’un ton placide.
La vie d’un artiste comme une vie de travail
Il placerait ainsi sa vie d’artiste au rang de “travail”d’activité professionnelle, presque travailleur, et par extension, il définirait sa créativité comme un mécanisme, une sorte d’action suivie pour donner forme, reléguant le sujet au second plan. La philosophie, en partie, de Supports/Surfaces, ce mouvement créé avec ses amis des Beaux-Arts de Montpellier en 1969, Bioulès, Dezeuze, Saytour… Ensemble, ils redéfinissent le statut de la peinture et des œuvres en tant qu’objets. Il y a le cadre (le support de la toile) et la toile (la surface). « Dezeuze peignait des cadres sans toile, je peignais des toiles sans cadre et Saytour l’image du cadre sur la toile ». Un groupe parfaitement iconoclaste car il rompt radicalement avec la peinture académique, faisant fi du romantisme et de l’esthétique conventionnelle. “C’est aussi la Province qui revendiquait son émancipation de Paris”analyse Claire Viallat, une de ses deux filles, professeur d’histoire de l’art.
Nicoise salads
Durant cette période, son père trouve son style après avoir réalisé « des multitudes d’essais qui ne me représentaient pas. On aurait dit des salades niçoises. En partant “à l’envers” comme il le dit, de la manière la plus primaire possible avec une toile, un tissu et une couleur en quête de « quelque chose qui se démarque ». Il pense alors à la façon dont les maçons peignent à la chaux en trempant un chiffon ou une éponge et en tamponnant les murs. Il a trouvé sa technique. Mais il lui faut une image pour le porter. “Il y avait l’idée de la main mais elle évoque le contrôle, la portée, la préhension… Je voulais une forme. Une forme pour toutes les formes et pour toutes les formes. Le hasard le lui donnera. «J’ai découpé une forme dans de la mousse d’emballage. Je l’ai trempé dans la couleur et je l’ai pressé sur la toile et il m’a créé des formes. Le résultat n’était ni bon ni mauvais. Je n’arrivais pas à nettoyer la plaque en mousse. Je l’ai donc laissé tremper toute la nuit dans de l’eau de Javel. Le lendemain matin, quand je l’ai récupéré, il était en lambeaux et le plus gros morceau était la forme qui restait.
Laissez la chance au hasard
Claude Viallat aime laisser la chance au hasard. C’est même ce qui l’anime dans son art comme dans sa vie. «Je n’ai pas de projet préalable. Chaque fois que le support, tel qu’il est, toile de jute, velours, uni, fleuri… prend de la couleur, il me la rend d’une manière différente. Je ne domine rien. Le métier de peintre consiste à assortir les couleurs. Pour moi c’est le contraire. Je mets de la peinture et j’accepte ce que la toile fait de mon travail. J’ai inversé tout le processus académique que j’ai appris. A chaque fois, la matière, les dimensions, les formes décident pour moi et je l’accepte toujours.
Instrument de sa création
Claude Viallat serait donc un peintre au service de la peinture, un outil, voire l’instrument de sa création. L’ironie est que cela nie également toute réflexion en amont. « Cela vient pendant et après. Je n’ai pas de résultat prévu. J’accepte celui-ci nécessairement. Rien ne peut me déplaire. C’est prétentieux de dire que je ne me trompe jamais mais c’est vrai puisque je ne veux rien. Accueillez les choses comme elles viennent et réjouissez-vous de l’inattendu. Claude Viallat accepte cette règle du jeu sur ses supports et sur les surfaces… du réel. Croyance protestante ? Possible, mais ne cherchez pas une religiosité cachée dans ses motifs répétés. Son œuvre en est dépourvue, même si de ses empreintes intenses et intuitives émanent parfois une étrange dimension mystique. Ce qui est irréfutable, c’est que ses œuvres aux couleurs vives témoignent de l’influence de Matisse et que « l’écrasant Picasso » hante toujours ses peintures de taureaux dans son « façon de voir et de penser ». Claude Viallat, nourri de déjeuners dans les prés et de corridas, est un peintre réaliste en matière de bious. Un aficionado qui démontre son solide ancrage dans la région, comme l’explique sa fille Claire : « Forme après forme, un peu comme pas après pas, à travers ces marquages il montre son ancrage à la fois dans le présent et dans le territoire, de manière presque animale. Ce territoire entre Nîmes et Aubais le nourrit, c’est en quelque sorte son vivier. De toile en toile, il a aussi développé un territoire au sens physique.
Expositions : de Shnagaï à Lyon
Claude Viallat continue de créer et d’exposer à travers le monde. Cet hiver, Shanghai expose ses créations (jusqu’au 28 février), ainsi que la galerie Document à Lisbonne (jusqu’au 1er février). Au printemps 2025, ses peintures seront célébrées au Luxembourg tandis que ses objets seront exposés à Lyon.
Henriette, son soutien depuis 1963
Depuis 1963, il partage son pays de peinture avec Henriette, son épouse. Pas une muse mais « toujours une aide et un soutien », dit-il. Il a également emmené avec lui son petit-fils Théo, 23 ans, celui avec qui il prenait un café tous les jours lorsqu’il était au lycée et avec qui il partage sa passion pour la bande dessinée. Il l’assiste avec deux autres assistants. Claude lui a appris « patience et culture ».
Ce dernier il déplore « Lycée à Nîmes. Dommage car la culture, c’est ce qui reste à la fin. »lâche-t-il avant de se remettre au travail. Travaillez, toujours. « C’est lui qui est important. Je vis mon travail. Je n’ai pas vraiment la mémoire du passé ni la projection du futur. Aujourd’hui, je ne souhaite rien d’autre que pouvoir travailler sur ce qui me fait le reste de la vie”dit-il en attrapant un drap rose qu’il coupe avec des ciseaux puis déchire avec ses mains. Il le pose ensuite au sol avant de le recouvrir soigneusement d’un autre tissu imprimé guidé uniquement par son intuition. Il prend alors un pochoir, empreinte célèbre, et le pose avec des gestes ralentis par les outrages du temps, autant de fois que l’espace le permet. Placez ensuite les contours à l’intérieur avec un gros pinceau noir et recommencez plusieurs fois. Il s’éloigne, regarde son œuvre puis trempe un pinceau dans le blanc et remplit les empreintes, portées par les formes et les couleurs, dans un geste intuitif. “Le tableau sera terminé quand il me fera sortir de la toile”précise-t-il.
En le voyant travailler, on saisit l’infinité de son œuvre. Sa peinture décomplexée, donc libérée. Désacralisé ! Béni soit Claude Viallat pour ce doux sacrilège.
Œuvres exceptionnelles aux enchères les 26 et 27 novembre à Paris
Une vente aux enchères, organisée le 27 novembre à Paris, propose une œuvre de Claude Viallat estimée entre 80 000 et 100 000 euros. Il s’agit d’un tableau grand format datant de 1969 provenant de la galerie Daniel Templon qui représente l’artiste depuis plus de 20 ans.
La veille, toujours à Paris, une acrylique sur bâche militaire mesurant 3,80 m sur 5,80 m a été mise aux enchères pour un prix de départ de 70 000 euros.