l’impressionnisme et la mer – Les règles du jeu – .

l’impressionnisme et la mer – Les règles du jeu – .
l’impressionnisme et la mer – Les règles du jeu – .

L’épisode est connu, mais peu importe, il est à chaque rappel un peu plus pittoresque et emblématique des rebondissements qu’aime jouer l’Histoire de l’art.

Inspiré par les marines de Turner découvertes lors d’un voyage à Londres en 1871, Claude Monet peint au Havre à l’automne 1872 une toile qu’il baptise Imprimer, soleil levant, et non, comme cela aurait été mieux, Paysage au soleil levantou Vue du port du Havre. L’œuvre est exposée à la Société Anonyme des Peintres, Sculpteurs et Graveurs au printemps 1874, dans l’ancien atelier du photographe Nadar, boulevard des Capucines. Le critique de Charivarie gausse : « Que représente ce tableau ? Impression ! Impression, j’en étais sûr. Je me suis dit aussi puisque je suis impressionné, il doit y avoir une impression là-dedans. » Il ne pensait pas dire ça bien. Le mot « tueur présumé » était sorti. Revenant comme un boomerang face au monde universitaire, il allait faire fortune.

C’était il y a exactement cent cinquante ans. Six institutions en France aujourd’hui sont dédiées aux impressionnistes : Orsay, Marmottan, le musée de l’Orangerie, le musée du Havre, le musée de Pont-Aven, le musée des impressionnismes à Giverny, chez Monet, la Jérusalem de l’impressionnisme, avec Auvers-sur- -Oise où Van Gogh fut martyrisé, tout comme le Golgotha.

Le musée Giverny, créé en 2009, ne dispose pas encore de véritables fonds. C’est, pour l’instant, un musée accueillant à qui l’on prête des œuvres basées sur le nom magique de Giverny, œuvres qu’il « donne » en retour en apposant sa propre étiquette. Obligatoire, prestige oblige, d’être présent dans ces 150e anniversaire de l’impressionnisme, le musée a lancé la course aux prêts, tandis que des dizaines d’institutions internationales se disputent les chefs-d’œuvre de ce même anniversaire. Malgré la concurrence de ces méga-machines muséales, Giverny a réussi son pari en choisissant un thème quasi inédit : l’impressionnisme et la mer.

Sur les quatre-vingts œuvres exposées, dont vingt-huit Boudin et neuf Maufra, onze appartiennent à Giverny, seize sont prêtées par le musée d’Orsay, onze autres proviennent d’une collection privée, par l’intermédiaire de la Galerie de la Présidence, à Paris. Le reste provient de divers musées provinciaux ou étrangers. La récolte externe a été bonne.

En parcourant les cimaises, on éprouve un agréable sentiment de déjà vu, on est comme invités à une réunion de famille entre artistes, tous amis, se retrouvant à Giverny chez le « patron » un siècle plus tard, et discutant d’un passé de dont ils sont devenus tous ensemble les héros éponymes, reconnus et célébrés partout. En se côtoyant, en se retrouvant dans des expositions croisées, ils ont fini par constituer une sorte d’union impressionniste où les mêmes fiches, les mêmes œuvres et les mêmes noms sont éternellement rebattus, dans de nouvelles répartitions, selon de nouvelles grilles. Mais les thèmes eux-mêmes finissent par s’user. C’est un peu une limite pour le genre. Le succès de l’impressionnisme, qui ne se dément pas depuis cent ans, traversant, indifférent au siècle, le cubisme, le surréalisme, l’abstraction, la figuration libre, peu importe, connaîtra-t-il son purgatoire ?

Peu de surprises ce printemps à Giverny, si ce n’est un Monet magistral, venu d’Amérique, intitulé Marée basse aux Petites-Dallesun captivant Gauguin tahitien, Paysage Te Vaadu Havre, et un très beau Jongkind, Le port d’Anvers, de Rennes. Un grand absent cependant, Seurat, mais dans l’impossible, aucun commissaire d’exposition n’est requis. De même, l’artiste japonais Henri Rivière brille par son absence. Pour le reste de la partition, qui tire parfois la limite, Eugène Boudin se taille la part du lion.

Sauf le sublime et le terrifiant Un grain, venant du musée de Morlaix, Boudin met fin à « la mer du drame et du mélodrame » (Edmond Duranty), ces marines qui, jusqu’à lui, ne traitaient que de vagues, de vagues déferlantes et d’écume, de tempêtes, de naufrages, de ciels menaçants. et les marins en détresse. Le premier, il fait de l’estran et des plages des lieux de peinture, de croquis vivants de travailleurs de la mer, de vacanciers, de mondains, de dames en crinolines, de plaisanciers élégants, de baigneurs intrépides, de marins. Leurs silhouettes élancées aux détails minutieux sont des merveilles de rendu ; on croirait entendre les dandys à cannes et à chapeaux descendre de l’Hôtel des Roches Noires sur la plage de Trouville murmurer leurs compliments aux dames blanches de la serre toutes enveloppées par le vent dans leurs cabines de toile à rayures multicolores, ou se réfugiant à l’ombre. d’un parapluie ; on pense aux scènes de gondolier de Guardi au déclin de la Sérénissime, de minuscules instantanés pleins de vie et de mouvement.

Boudin voulait « courir après les bateaux et suivre les nuages, le pinceau à la main ».

Baudelaire, qui le rencontra à Honfleur en 1859, ne s’y trompa pas. Après Constantin Guys et ses lorettes, le poète proclame à son tour Eugène Boudin peintre de la vie moderne. Giverny lui doit beaucoup.


L’impressionnisme et la mer
L’exposition est ouverte tous les jours (y compris les jours fériés), de 10h à 18h (dernière entrée à 17h30), du 29 mars au 30 juin 2024.

Musée des Impressionnismes Giverny
99 rue Claude Monet
27620 Giverny
+33 (0)2 32 51 94 65

 
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