Ardent défenseur de l’impressionnisme, Gustave Caillebotte fut éclipsé par ses pairs de renom, Manet, Monet et Renoir en tête. Il reprend vie dans un film d’une grande inventivité.
Par François Ekchajzer
Publié le 1 novembre 2024 à 18h30
Uans un siècle et demi après la révolution impressionniste, qui bouleversa les tenants de l’académisme et s’attira les railleries de la société bourgeoise, les œuvres de Manet, Monet et Renoir sont aujourd’hui on ne peut plus consensuelles, au point d’orner mugs, foulards et cabas. sacs. Comment rappeler l’audace de ces peintres dans un documentaire évoquant l’un des leurs ? Notamment à travers des choix de production affirmés, en accord avec la personnalité de Gustave Caillebotte (1848-1894), dont Lise Baron signe un portrait vigoureux.
Elle retrace le parcours bref et intense d’un artiste et collectionneur, qui défendit avec ardeur sa conception de la modernité. Au flux de violons recouvrant les toiles impressionnistes dans de nombreuses productions sucrées, elle a préféré la musique aux accents électroniques, voire noise, composée par Clémence Ducreux. Et a dirigé l’actrice Caroline Ferrus, qui dit le commentaire, dans le sens d’une certaine rectitude.
J’ai utilisé des gros plans, qui traduisent la matérialité du tableau.
Lise Baron, la réalisatrice
La même exigence se reflète dans l’image. “Montrer de la peinture à la télévision, c’est compliqué, récompense le documentariste de Marguerite Duras, l’écriture et la vie et de Michel Foucault, le philosophe et le poisson rouge. Surtout quand le toucher est épais et ne peut pas être apprécié sur écran comme dans un musée. J’ai donc utilisé des gros plans, qui véhiculent cette matérialité, et j’ai approché les tableaux jusqu’à ne plus pouvoir identifier le sujet figuré. » Cette forme de déréalisation, que les impressionnistes n’auraient pas désavouée, se retrouve dans l’usage qu’elle fait de certaines archives cinématographiques. Comme ce plan tiré de Nouvelle BabyloneFiction soviétique de 1929, pour évoquer la guerre de 1870 : image mal définie d’un groupe de soldats, dans laquelle nous entraîne le montage d’Aurélien Bonnet si bien qu’on ne distingue que des formes granuleuses.
Découvrez la note et l’avis
« Gustave Caillebotte, héros discret de l’impressionnisme », un documentaire éblouissant
Le film va plus loin, lorsqu’il évoque la désintégration du mouvement que déplore Caillebotte dans un travelling tourné dans une rue de Dunkerque en 1913. Une archive tellement dégradée que la lumière la traverse au bout de quelques secondes, ne nous laissant plus en mesure de voir celui du film en décomposition. « J’aime les archives détériorées, admet Lise Baron. Ceux que l’on considère parfois comme inutilisables, mais qui révèlent leur caractère organique. Au début, on voit des enfants courir devant la caméra et avoir l’air de s’amuser – comme les jeunes impressionnistes. On peut aller jusqu’à interpréter l’image qui se dissout comme une évocation de la vision de Caillebotte en larmes face à cette joie menacée. »
A l’inverse, l’œil de Gustave, isolé par la caméra sur son autoportrait au chapeau d’été, est l’occasion d’évoquer par le commentaire l’idéalisme du jeune homme. Et pour montrer qu’à 24 ans, il peignait frénétiquement dans la maison d’Yerres acquise par son père, une photo de la maison peu à peu recouverte de touches de peinture empruntées à ses tableaux suggère l’intensité de son activité. Les idées de tournage et de montage qui pullulent dans ce documentaire font ainsi référence au ferment créateur de l’impressionnisme. Lise Baron va jusqu’à supprimer des images en zoomant sur une photo de Caillebotte, assis à son bureau, pour priver le mouvement de sa fluidité. Un geste à contre-courant de tant de productions académiques, conçu pour être fluide, facile à ingérer comme à oublier.
r Gustave Caillebotte, héros discret de l’impressionnismediffusé vendredi 1er novembre à 22h55 sur France 5