Tout s’est passé au printemps 2023. Dans l’État de Campeche, des dizaines d’apiculteurs ont tout perdu. Leurs abeilles ont été empoisonnées au fipronil, un insecticide dangereux interdit dans la plupart des pays européens mais toujours autorisé au Mexique. La substance, largement utilisée en agriculture, perturbe le système nerveux des petits parasites, ce qui entraîne leur mort. Mais cela a aussi des effets néfastes sur les pollinisateurs, ces derniers ne pouvant plus s’orienter correctement. Ainsi, plus de 4 000 colonies furent décimées dans la région d’Hopelchén.
Cette tragédie a laissé de profondes cicatrices sur les populations mayas, dont la survie est en grande partie liée au miel de Melipona, une espèce d’abeille endémique d’Amérique latine. Mahé Elipe, qui vit au Mexique, s’intéresse alors aux mouvements de résistance des communautés indigènes de la région d’Hopelchén. Elle a noué des liens avec les membres du groupe Ka Kuxtal Much’Meyaj, qui tentent de laisser un héritage intact aux générations futures. Son reportage photo, qui comprend des portraits de femmes et d’hommes luttant pour préserver leurs terres, a été récompensé par la World Photography Organisation lors des Sony World Photography Awards 2024. La jeune photographe a remporté le premier prix dans la « catégorie « Environnement ».
4 questions à Mahé Elipe
Paris Match. Comment vous est venue l’idée de travailler sur ce sujet ?
Mahé Elipe. A l’origine, je travaillais sur un projet au long cours qui présente le rapport que les femmes entretiennent avec la nature. En observant les femmes écologistes, j’ai découvert une communauté maya qui a développé un lien étroit avec l’abeille Melipona.
Quelle relation les Mayas entretiennent-ils avec l’abeille Melipona ?
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Dans la culture maya, l’apiculture est sacrée. Difficile et potentiellement dangereux, ce métier était réservé aux hommes plutôt qu’aux femmes. Mais grâce à l’abeille Melipona, dépourvue d’aiguillon, les femmes ont pu progressivement participer à la production de miel. Depuis, cette activité illustre clairement comment les communautés locales travaillent collectivement pour vivre. Et aussi comment ils s’organisent pour lutter contre la déforestation provoquée par l’agro-industrie.
Que vous ont dit les Mayas ?
Ils sont dévastés d’avoir perdu leurs colonies, et de facto, leur Source de revenus. Ils ne peuvent plus produire ni vendre. Ils sont directement impactés par tout cela. Il existe désormais un véritable bras de fer entre les communautés mayas et mennonites.
Comment avez-vous procédé pour créer vos portraits ?
A chaque fois, j’ai utilisé la même approche. J’ai demandé à mes sujets de quel élément de la nature ils se sentaient le plus proche, afin que nous puissions construire ensemble le portrait. En tant qu’Européen, j’arrive avec des idées préconçues. Je ne pouvais pas les forcer à poser avec n’importe quelle plante. Cette dernière aurait pu avoir une connotation négative dans leur culture, sans que je le sache. Ainsi, en collaborant, ils pourraient ajouter leur touche personnelle à la composition du portrait. Pour moi, c’était vraiment un moment d’intimité très profond. Cela m’a permis de comprendre la dynamique et le discours de la communauté.
L’œuvre de Mahé Elipe a été initialement publiée pour « Reporterre ». Ses photos sont actuellement présentées à la Somerset House de Londres dans le cadre de l’exposition Sony World Photography Awards 2024. Cela prendra fin le 6 mai.