Un Alechinsky à la verve orientale chez Boghossian

Un Alechinsky à la verve orientale chez Boghossian
Un Alechinsky à la verve orientale chez Boghossian
Alechinsky, his journey engraved at the Château de Chaumont-sur-Loire

«Frédéric était mon élève aux Beaux- et sans lui, sans sa présence indispensable, sans sa mémoire, son sens du relationnel et ses capacités d’organisation et de rangement, je ne pourrais plus exposer ! Il est la force vive qui m’accompagne, surtout lorsque ma mémoire immédiate, toujours plus défectueuse, est en difficulté. Il est la tête et les bras actifs de notre désir de travail au jour le jour.« Leur complicité est évidente et c’est une joie de voir ce qu’un grand peintre doit à une partenaire qui le sauve de soucis trop lourds pour son âge. On l’avait déjà vu à l’occasion de l’installation très réussie, en 2023, de plus de 200 pièces gravées dans les salles du splendide château de Chaumont-sur-Loire, qui, chaque été, à l’initiative de Chantal Collu-Dumont, sa directrice, réunit des dizaines de créateurs à travers un parc et une résidence ainsi consacrés aux plus belles surprises, des jardins fleuris agrémentant les charmes artistiques d’un surplus de fête.

Brosse de voyage

La sélection de l’exposition chez Boghossian s’appuie sur les œuvres que Pierre Alechinsky a réalisées en lien plus ou moins direct avec ses allées et venues, ses affections et ses amitiés, sur les chemins d’un Orient dont il aura exploré en profondeur les méandres et les attraits du Japon à la Chine. Et qui a été couronnée, en 2018, par un Premium Imperiale, prestigieux prix japonais décerné, depuis 1989, par la famille impériale du Japon aux têtes d’affiche des arts, de la peinture à la musique en passant par le cinéma.

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Sur la grande table de l’atelier, posée à plat avant d’être enroulée pour être envoyée à Bruxelles, une toile de 1972, Alvéolequi rehaussera, par ses couleurs vives et ses motifs récurrents, dans le style d’un Alechinsky sans défauts ni reproches, le grand salon du rez-de-chaussée de la Fondation.

Une autre toile, celle-ci de 2024, sa peinture la plus récente, Mante athée, l’adjacent. Et, tout autour, ce ne sont que des chromatismes joyeux, des remarques marginales ou des prédelles pimentant les pièces d’un échiquier – le tableau d’un peintre éclairé – d’éclairs, de mascarades, de gilles ou de cobras en embuscade. Il y a aussi, à portée de vue, Comme elle est partiedaté de 2023 et, nous dit Pierre, «le dernier tableau vu par Micky (son partenaire de vie depuis 60 ans, NDLR)en route pour l’hiver 2023, qui avait insisté : « Arrêtez, n’ajoutez plus rien ! » Je suis resté fidèle à son conseil, comme toujours bien avisé.

Constamment à la recherche d’une ligne ou d’un entrelacs qui, pour une raison ou une autre, ne lui plaît plus, Alechinsky nous montre, sans trop d’ostentation, les améliorations apportées à une toile que la touche finale du peintre a (jusqu’ici) rehaussée d’une ferveur et d’une faveur nouvelles.

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Dans cette exposition, rarement sortie de l’atelier, 28 céramiques – en fait des façonnés dans le plâtre par un auteur avide de mots et de phrases et de lignes les encadrant avec une bienveillance spontanée – seront couronnées, en quelque sorte, par un autre livre de céramique, celui-là plus monumental et posé sur l’établi du sculpteur avec cette phrase qui exprime clairement le poids des mots : Livres livrés. Deux ou trois plaques de céramique peintes complèteront ce savoir-faire, sans doute moins connu, d’un artiste qui aura été sublimé par toutes les expérimentations.

Des références aux poètes qui l’ont accompagné dans ses expéditions orientales seront mises en valeur. Phrases et poèmes de Salah Stétié, Amos Kenan, Joyce Mansour.

Pierre Alechinsky dans son atelier à Bougival, ©Pierre Alechinsky, ADAGP, Paris, 2024

Catalogue en trois langues

Belgique oblige : un catalogue de 200 pages en trois langues – français, néerlandais, anglais – accompagne l’événement auquel Catherine de Braekeleer aura apporté son soutien et sa connaissance de l’œuvre d’un Alechinsky qui fit don d’un nombre considérable de planches gravées au Centre de la Gravure et de l’Image imprimée de La Louvière, qu’elle dirigea avec bonheur pendant longtemps. Nul doute que Louma Salamé, la directrice de la Fondation Boghossian, savait quelle bonne adresse elle représentait lorsqu’elle lui demanda de réaliser le commissariat d’une exposition qui, pour la première fois, réunirait dans son espace la grande œuvre d’un seul et même artiste.

Ce catalogue bénéficie de la touche éclairée d’un graphiste, ami de longue date de Pierre Alechinsky, Philippe Ducat. Pour cet ouvrage rempli de citations, de photos et de documents, Ducat a réussi le défi de varier les noirs des lettrages, allégeant ainsi la lisibilité des textes.

Alechinsky trouve ici toute sa place. Gaucher de naissance, il a toujours été fasciné par l’Orient et une écriture qui, articulée de droite à gauche, le galvanisait. Point chronologique, Brosse de voyage privilégie des thématiques ciblées dans les salles, à l’étage. Avec un grand nombre d’œuvres jamais montrées auparavant. Ainsi, la première salle fait la part belle au Japon, par lequel Pierre Alechinsky a commencé sa découverte de l’Orient. Alors qu’il était encore étudiant à La Cambre, il dessina, bel exemple méconnu, une femme de dos, dessinée au pinceau. Le vocabulaire d’Alechinsky est d’ailleurs passé au peigne fin. C’est ce qui donne à l’accrochage sa valeur fondamentale : on comprend la force plastique d’une œuvre toujours revisitée.

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Autre bonne chose à savoir : au Japon, qu’il visite pour la première fois en 1957, le Jeune Alechinsky est particulièrement fasciné par la dextérité de la calligraphe Toko Shinada, décédée à l’âge de 103 ans.Et dire qu’à l’époque, je la trouvais vieille : elle avait 40 ans !« Et le nonagénaire averti de rire de bon cœur. L’atelier fourmille d’attraits. Il y a tous les pinceaux, les brosses, accrochés au mur face à un établi rempli d’huiles, de solvants, de couleurs ou de crayons et d’ustensiles de l’artisan artiste. Il y a, une vitrine spéciale, l’armoire dans laquelle se bousculent mille objets, arts populaires et arts du sourire : Alechinsky et son attrait pour l’insolite. Plus loin, Tire-langues témoignent d’un Alechinsky toujours espiègle, moqueur par-ci par-là, impertinent par vocation. Et l’exposition nous montre le film de 17 minutes que l’artiste a tourné au Japon en 1957 avec un texte de Christian Dotremont : calligraphie japonaise. “Il est bon, écrit Dotremont, de voir que le Japon « depuis dix siècles » a uni « la géométrie moderne » de ses maisons à la finesse éternelle d’un peu d’encre sur un peu de papier.

Brosse de voyage Art contemporain Fondation Boghossian, Villa Empain, 67, avenue Franklin Roosevelt, 1050 Bruxelles. Tél. : 02.627.52.30 et www.villaempain.com. Du 26 septembre au 16 mars.

Pierre Alechinsky à Bougival ©Pierre Alechinsky
 
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