Pourquoi Riopelle est-elle si célébrée par les autorités artistiques ? – .

Pourquoi Riopelle est-elle si célébrée par les autorités artistiques ? – .
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La soixantième édition de l’Espositione internazionale d’arte di Venezia commence cette semaine. La Biennale de Venise est considérée comme l’un des événements artistiques les plus prestigieux. Le grand rassemblement mondial se déroule autour de 86 pavillons nationaux permettant aux visiteurs de mesurer les tendances du secteur, mais aussi de comprendre ce que chaque pays participant projette comme image de lui-même.

Cette année, les États-Unis honorent l’artiste cherokee Jeffrey Gibson ainsi que ses œuvres engagées dans les causes gays et autochtones. Le Musée des beaux-arts du Canada, responsable de la sélection nationale, a opté pour Kapwani Kiwanga. Le corpus de l’Ontarienne vivant à Paris, liée à la Tanzanie par ses origines, critique les sociétés et institutions postcoloniales.

Au tournant du siècle, le système de reconnaissance et de validation des valeurs artistiques – et le musée en particulier – a entrepris une révolution par la décolonisation, la diversité et l’inclusion. Les effets de ce changement de paradigme se font donc sentir jusqu’à Venise, où se réunissent la crème des collectionneurs, des critiques et des conservateurs.

La Biennale est le seul événement international où le Canada délègue un représentant officiel. La liste de quelques privilégiés comprend tout ce qui compte et a compté depuis ici, de Michael Snow à Stan Douglas, d’Alex Colville à General Idea, de Janet Cardiff à Molinari et Riopelle.

Mondialement célèbre ” Et ” mondialement connu… au Canada »

Jean Paul Riopelle (1923-2002) a représenté le Canada au 31e Biennale, en 1962. Il a également vécu à Paris, et longtemps à cette époque. Son aura a ensuite surchauffé le monde de l’art, jusqu’à ce qu’une soixantaine de musées dans une vingtaine de pays l’intègrent dans leurs collections. Il existe deux sortes d’artistes canadiens célèbres dans le monde, selon le regretté écrivain montréalais Mordecai Richler : les « mondialement célèbre ” et le ” mondialement connu… au Canada « . Riopelle était dans le premier groupe.

Le prodige créatif revient au pays en 1972. Sa renommée diminue ensuite ailleurs dans le monde pour se canadianiser en quelque sorte et même, surtout, provincialiser.

Un regain de ferveur évident a été observé ici ces dernières années. Son centième anniversaire fut l’occasion de multiples célébrations. La Fondation Riopelle, lancée en 2019 par de grands collectionneurs, a organisé plus d’une cinquantaine d’initiatives multidisciplinaires et quelques dizaines d’expositions pour souligner le centenaire de la naissance du peintre. Pendant ce temps, d’autres grands créateurs québécois (et nés à la même époque) ont été complètement négligés par les médias et les institutions : Frédéric Back, Madeleine Arbour, Betty Goodwin, Denise Pelletier, Jean Duceppe, Ludmilla Chiriaeff…

La panthéonisation de Riopelle se poursuit. L’adulation continue avec le nouvel Espace Riopelle, en construction au Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ). Le pavillon, d’une valeur de plus de 80 millions de dollars, mettra en valeur la gigantesque fresque de 40 m intitulée L’hommage à Rosa Luxemburg. La collection de ce musée d’État comprend déjà 447 œuvres du maître moderne, et les grands collectionneurs liés au projet de pavillon apporteront 68 autres œuvres majeures, pour un héritage d’une valeur dépassant les cent millions.

Un Groupe des Sept à lui tout seul

Un artiste officiellement délégué à Venise, on comprend. Mais là, c’est autre chose, à une autre échelle, qui semble se jouer. Riopelle est-il donc devenu une sorte d’artiste officiel du Québec ? L’ancien ingénieur automation, signataire de Refus global, incarne-t-il désormais à lui seul un Groupe des Sept à la québécoise ? Acquiert-il le rare statut de héros mythifié par la patrie reconnaissante, à l’instar de Louis-Joseph Papineau, Maurice Richard ou René Lévesque ?

« Un artiste officiel ? Quand on prononce cette expression, c’est comme fermer la boîte pour simplifier une situation. Pour moi, Riopelle, c’est encore plus complexe que ça», répond Didier Prioul, professeur d’histoire de l’art à l’Université Laval et ancien conservateur du MNBAQ.

« Ce qui lui arrive aujourd’hui s’inscrit dans une très, très, longue continuité. Dès le départ, Riopelle joue sur la figure du pionnier, du chasseur, du nomade avec ses bolides et son yacht. Il s’amuse, il reste bricoleur toute sa vie et il laisse parler de lui les critiques. C’est aussi un homme de réseaux, qui comprend l’ancien système liant marchands et critiques d’art. Il sait qu’il doit aller à Paris et, très tôt, il est associé à l’abstraction lyrique. Il entre à New York en 1955 avec la galerie Pierre Matisse. Pour moi, Borduas a fait l’erreur de passer par New York avant de se rendre à Paris. »

Paul-Émile Borduas meurt en exil en 1960. Son ancien élève à l’École du meuble Jean Paul Riopelle avait déjà confirmé sa place au sommet, ici comme ailleurs. Oui, après coup, admet M. Prioul, à la longue, son aura globale s’est atténuée. Il est devenu un artiste national plutôt qu’international, et même L’hommage à Rosa Luxemburg Je ne savais pas comment me repositionner.

Guido Molinari, le contre-exemple

L’évolution du système de validation de l’art de Guido Molinari — un autre artiste montréalais majeur de la période moderne dans un pays peu reconnu pour sa modernité — jette un nouvel éclairage sur le destin changeant de Riopelle. Lui aussi a connu une ascension fulgurante et une acceptation internationale précoce. Sauf que sa propre notoriété, une fois réduite à l’échelle nationale, n’a pas connu un essor exceptionnel.

« Molinari a obtenu le statut d’artiste officiel en étant choisi pour représenter le Canada à la Biennale de Venise en 1968 en même temps que d’autres signes de sa reconnaissance, notamment une exposition majeure à la National Gallery. [devenu le Musée des beaux-arts du Canada] en 1976 », explique Camille de Singly, historienne de l’art française. Elle a publié il y a 20 ans Guido Molinari, peintre moderniste canadien, sa thèse de doctorat révisée. Elle a choisi ce sujet après avoir visité une exposition du peintre aux Pays-Bas sur proposition de son directeur d’études.

Molinari était peut-être aussi plus associé (et d’abord par lui-même) au Canada qu’au Québec, dans ce pays où avaient lieu jusque-là les querelles constitutionnelles. “Malheureusement pour lui, cette reconnaissance arrive à un moment où la contestation va remettre en cause toute forme de récompense”, ajoute le professeur à l’École des beaux-arts de Bordeaux. Il acquiert donc cette reconnaissance officielle au moment où elle est elle-même remise en question par le monde, la société et le système artistique. »

« D’autres formes artistiques ont ensuite émergé – la vidéo, la performance – qui feront considérer la peinture comme démodée. Tout d’un coup, tout le monde (et la critique de la presse en particulier) a commencé à le considérer comme dépassé », souligne-t-elle.

Riopelle a réussi à s’extirper de cette position. Sa fortune retrouvée surprend encore en ce début de siècle, alors que se poursuit une révolution contre les figures éternelles du génie artistique (toujours un homme blanc) et pour une ouverture à plus de diversité et d’égalité, comme le montre clairement la sélection pour la Biennale de Venise. Riopelle pourrait même être encore plus « ringard » de ce point de vue.

Demain, nous verrons quel rôle jouent les musées et la Fondation Riopelle dans ce jeu idéologique complexe de réhabilitation et de repositionnement…

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