(Kiev) Des passants, les bras chargés de cadeaux, se pressent autour de l’avenue Khreschatyk. A son angle, les vitrines du centre commercial Tsum, l’un des plus grands centres commerciaux de la ville, inondent de lumière les familles qui s’y pressent. Au-delà des artères centrales de la capitale, chargées de grandes guirlandes, les rues, sans lumières ni décorations, replongent leurs habitants dans l’obscurité la plus profonde. Les Ukrainiens s’apprêtent à célébrer leur troisième Noël depuis le début de la guerre.
Joseph Roche
Collaboration spéciale
Les visages sont calmes, et chacun, malgré les coupures d’électricité quotidiennes, se réjouit des premiers flocons de neige qui, en deux nuits, ont drapé la capitale de son manteau blanc.
Il y a une odeur de vin chaud et de fritures mêlée à l’odeur âcre du diesel utilisé pour alimenter les générateurs qui, lors des coupures de courant, permettent à la ville de continuer à vivre.
« La guerre dure depuis 10 ans. Devons-nous attendre d’être en paix avant de pouvoir nous réjouir ? », insiste Vladyslav Blazchuk.
A 30 ans, Vladyslav porte une prothèse en acier. Blessé en 2023 sur le front de Zaporizhia, sa jambe gauche a été amputée. Après des mois de rééducation au centre Super Human, organisme indépendant qui teste et crée des prothèses nouvelle génération, il présente désormais, en tant que bénévole, le kiosque du centre qui lui a redonné goût à la vie.
Plus loin, chacun a la possibilité d’écrire une lettre de remerciement aux soldats engagés sur la ligne de front.
Assise sur une chaise trop grande pour elle, Véronika, 8 ans, s’applique à rédiger sa lettre. Originaires de Lviv, Veronika et sa mère, Katerina Denysenko, envisagent de retourner dans leur famille pour célébrer les fêtes. « Nous irons ensuite de maison en maison pour chanter des chants de Noël. Cette année, tout l’argent récolté sera reversé à nos soldats. »
Fêter Noël malgré les coupures de courant
Depuis trois ans, les Ukrainiens le savent : le Kremlin, à l’approche du froid, intensifie ses campagnes de bombardements contre les infrastructures énergétiques du pays.
L’objectif est double. D’un côté, affaiblir l’industrie ukrainienne dans son effort de guerre, de l’autre, démoraliser la population et la forcer à quitter le pays.
Face aux coupures de courant, Vladyslav reste de marbre. Il envisage de fêter Noël avec ses amis dans le petit atelier de céramique qu’il a ouvert après sa convalescence. «On y a mis un sapin et des guirlandes», raconte-t-il.
Pour moi, Noël est avant tout une manière de passer du bon temps ensemble. Peu importe que nous ayons l’électricité ou non.
Vladyslav Blazchuk
En trois ans de guerre, la population s’est adaptée à une nouvelle réalité. Les gens organisent leur journée à l’aide de différentes applications mobiles, sites Internet ou groupes Telegram qui annoncent les coupes à venir.
« Nous sommes tellement habitués et organisés que, quand nous n’avons pas d’électricité à la maison, nous sortons », raconte Katerina en souriant. « Dès que l’électricité revient, on rentre chez soi pour se réchauffer. Nous planifions tout, y compris la préparation des repas, en fonction du calendrier électrique. »
Ravivez les vieilles traditions et aidez l’armée
Mais surtout, Katerina se réjouit cette année de pouvoir ressusciter certaines traditions ukrainiennes effacées par 500 ans d’occupation russe. « Nous préparerons les 12 plats de Noël comme le faisaient nos ancêtres avant nous et célébrerons Noël le 24 décembre, et non le 7 janvier, comme nous l’a imposé le Patriarcat de Moscou. »
C’est aussi ce que tentent de faire la vingtaine d’étudiants de l’association « Étudiants ukrainiens » de l’université de Kiev-Mohyla.
“Depuis le début de la guerre à grande échelle, nous avons redécouvert nos anciennes traditions”, explique Alla Barsoukova, 27 ans, étudiante en dernière année.
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Dans l’un des sous-sols de l’université, des dizaines de personnes se sont rassemblées pour danser au son du fifre et du violon. Presque tout le monde est venu vêtu de vêtements traditionnels de toutes les couleurs.
« Aujourd’hui, nous célébrons Verchoneste, une ancienne fête païenne du cycle hivernal qui, au fil des années, a été progressivement supplantée par Noël. »
Maria Schwab, son amie, explique que pour elle, fêter Noël, c’est avant tout retrouver ses racines. « Nous avons été tellement russifiés que nous avons oublié qui nous étions. »
Autour d’eux, les danseurs les plus expérimentés, le visage baigné de sueur, se jettent au milieu d’une farandole improvisée. L’événement a un double objectif : faire découvrir à chacun ses anciennes traditions de Noël et récolter des fonds pour l’armée.
C’est aussi ce que tente de faire Roman*, 20 ans, un jeune séminariste de la cathédrale Sainte-Sophie de Kiev qui, après la messe, vend des douilles et des cartouches qu’il a décorées avec ses amis. « Avec les bénéfices, nous souhaitons acheter des drones pour les séminaristes de notre école engagés comme simples soldats. »
A côté d’eux, l’archimandrite (titre religieux dans l’Église orthodoxe) Lavrentiy, qui vient de terminer le service, leur remet un petit mot. « Aujourd’hui, le plus beau cadeau est notre participation commune à notre propre défense. Il ne faut pas oublier que Noël est avant tout une fête de l’espoir. L’espérance que le Christ fera bientôt régner sa paix sur nous, en Ukraine et dans le monde entier. »
* Originaire des territoires occupés de l’oblast de Donetsk, Roman a préféré ne pas révéler son identité pour protéger sa famille toujours sous occupation.
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