Le quotidien français Libération a annoncé mardi qu’il arrêtait de partager ses contenus sur le réseau social X afin de rester fidèle à ses « valeurs ». Les propos tenus par le propriétaire de la plateforme, Elon Musk, proche de Donald Trump, sont de nature à offenser les entreprises médiatiques, expliquent les experts.
C’est sur le réseau X lui-même que Libé a annoncé la nouvelle à ses 3,5 millions d’abonnés, expliquant que “la collaboration avec cette plateforme n’est plus compatible avec les valeurs de notre journal”. Le quotidien invite ses abonnés à consulter son site Internet ou à suivre ses publications sur les autres réseaux sociaux où il est présent, comme Bluesky.
Libérationrejoint ainsi Le Mondequi a annoncé lundi un boycott de la plateforme. Le journal a dénoncé « l’intensification de l’activisme » du patron de X, Elon Musk, et « la toxicité croissante des échanges » constatés sur le réseau social.
Une foule d’autres médias français (Ouest de la France, Sud-Ouest, Mediapart, La voix du Nord) ont également mis fin à leurs publications sur X. D’autres ont fait de même ailleurs, notamment en Grande-Bretagne, où Le Gardien a annoncé en novembre son retrait du réseau qu’il qualifiait de « plateforme médiatique toxique ».
X est soupçonné de diffuser de fausses informations et de manipuler le débat public en Europe. Plusieurs institutions, collectivités et personnalités ont annoncé ces dernières semaines leur départ du réseau social ou la cessation de leur activité sur leurs comptes.
Un militantisme à l’européenne
Pour l’instant, le mouvement de boycott ne semble pas s’étendre à grande échelle de ce côté-ci de l’Atlantique.
« Au Québec, on a trop peur pour être militant si on fait ce genre de geste. Ce n’est pas une crainte en France», explique Roland-Yves Carignan, professeur à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Ici, « les journaux s’appuient beaucoup sur la notion d’objectivité, alors qu’en France, je pense qu’ils acceptent davantage le fait que l’objectivité est quelque chose de relatif ».
Les médias français font partie d’un « mouvement social » qui proteste contre la marginalisation des causes sociales et environnementales par les algorithmes de X, selon l’expert. « Nous assistons à une forme de privatisation de la sphère publique, où les grandes entreprises sont impliquées […] qui structurent le fonctionnement de l’espace public à travers leurs algorithmes. »
Le rachat de Twitter par Elon Musk en 2022 a été « très révélateur de la capacité et du pouvoir d’une entreprise privée à structurer et modifier les conditions du débat démocratique et du débat public », soutient M. Carignan. Cette acquisition a « fait forte impression » auprès des gens, qui ont pris conscience du pouvoir des grands patrons des réseaux sociaux, selon lui.
-Si les grands médias canadiens continuent d’utiliser Devoir que les magazines Le débrouillard et Tribunal« attachés à la rigueur dans la science et l’information », quittent le réseau X.
Un « problème moral »
Quitter X peut-il nuire aux médias ? « À court terme, on ne sait pas vraiment, mais on voit que non seulement ils quittent X, mais qu’ils vont plutôt migrer » vers Bluesky ou Mastodon, répond Roland-Yves Carignan.
Ces plateformes « ont la particularité de fonctionner de manière ouverte », ajoute-t-il. « Nous bénéficions tous de cela, du fait de disposer de plateformes de distribution qui ne sont pas captives d’une seule entreprise. »
« Je pense que [de choisir de quitter ou de rester sur la plateforme]ce sont des débats que devrait avoir toute organisation qui possède un compte sur X », estime Mélanie Millette, professeure au Département de communication sociale et publique de l’UQAM. Elle trouve « important de souligner » que le propriétaire de X, Elon Musk, « tient depuis plusieurs mois des propos transphobes, racistes, sexistes – des propos carrément haineux – ». Sans compter les accusations d’avoir fait un « salut nazi » lors d’un discours le jour de la prestation de serment de Donald Trump, un geste qu’il nie.
Cependant, elle dit comprendre le « problème moral » auquel sont confrontés les médias. D’une part, sortir du réseau les prive de public. D’autant que « quitter en masse les plateformes identifiées à droite, X en premier lieu, c’est aussi quitter cette plateforme à la désinformation et aux idées de droite », rappelle-t-elle. En même temps, si une entreprise décide d’y rester, « on nourrit une bête et on met de l’argent dans les poches » d’un patron aux propos incendiaires.
« Je ne pense pas qu’il y ait de bonne réponse », conclut-elle.
Avec l’Agence -
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