TTrois moments ont marqué jusqu’à présent la carrière de Laurent Ruquier, nous raconte l’animateur en nous recevant dans les locaux de RTL à Neuilly, après un enregistrement des « Grosses Têtes », épuisé mais heureux. Le retour sur scène, après trente ans d’absence, en 2005, aux Bouffes Parisiens, de son amie Marie Laforêt, un retour dont il fut l’initiateur. Le jour, en 2011, où il signe pour devenir copropriétaire, avec Jean-Marc Dumontet, du théâtre Antoine (1). Et sa première à la tête des « Grosses têtes », il y a dix ans, le 25 août 2014.
Dans les multiples vies de cet animateur-humoriste-auteur-producteur-propriétaire de théâtre, tel un aimant à trait d’union, le spectacle trace un étonnant fil conducteur. Adolescent au Havre à la fin des années 1970, solitaire Laurent Ruquier, secrètement passionné de radio, rêvait déjà d’animer l’événement phare de RTL. ” Je m’ennuyais. J’avais l’impression d’être exclu, un sentiment qui était sans doute lié, même si je ne l’avais pas exprimé à l’époque, à mon homosexualité. Je m’étais créé, dans ma chambre, un univers imaginaire, avec ma propre radio, et mes propres « Grosses Têtes ». » L’histoire est si belle qu’on fait une grimace sceptique, mais il proteste : « C’est la vérité ! »
« Attention au politiquement correct »
Laurent Ruquier, 61 ans, fait partie des chanceux qui ont réalisé leur rêve d’enfant. Et son plaisir ne semble pas avoir diminué malgré le passage au miroir. Il faut voir l’avidité avec laquelle il orchestre, pendant près de trois heures, le concert et le concours de vannes livrés par ses « membres », esprits alertes et champions de l’histrionique, galvanisés par le micro, les lumières, le public (80 personnes).
Même s’il rit beaucoup, doublant ses éclats de rire en sautant sur sa chaise, il ne faiblit jamais dans sa concentration. Ses yeux slaloment d’une enceinte à l’autre à la vitesse d’une balle de ping-pong. Tout se passe très vite. Les questions des auditeurs, des invités au téléphone ou en studio (ce jour-là, l’actrice Judith Magre, l’écrivain Damien Lecamp, la star française du MMA Cédric Doumbé…), les jeux, les imitations, les bêtises, assez drôles ( pauvre Slimane rebaptisé « Slipmane »), les éclats des chroniqueurs, qui ne craignent rien, ni d’être lourds (ça arrive), ni d’être salaces, à l’heure où la grivoiserie expose au condamnations morales des réseaux sociaux. « Le public aime « Les Grosses Têtes » justement pour cette liberté ! Il faut absolument résister aux injonctions du politiquement correct », estime l’animateur.
Forte concurrence
Le spectacle, créé en 1977, longtemps incarné par Philippe Bouvard, domine nettement sa tranche horaire (15h30 – 18h). Environ 900 000 followers (1,8 million d’écoutes cumulées). Mais les audiences ont tendance à baisser, à l’unisson d’une chaîne, RTL, distancée non seulement par France Inter mais aussi par Franceinfo depuis cet automne. “Pas de panique”, juge Laurent Ruquier. Fair-play, et adroit, explique-t-il : « Il s’agit plutôt d’un rééquilibrage, prévisible, après deux années durant lesquelles la concurrence sur l’Inter et sur Europe 1 a été faible. Ils ont repris des forces, avec Cyril Hanouna sur l’Europe et Matthieu Noël sur l’Inter, bravo à eux ! Mais nous restons largement leader. »
Chaque matin, le maître de cérémonie continue d’arriver à 6h30, et prépare pendant quatre heures le spectacle, enregistré dès 10h30, en parcourant la presse, comme il le fait depuis trente ans. Passionné d’actualité, le plus journalistique des comédiens a même tenté il y a un an d’animer une émission quotidienne sur BFM, tentative avortée au bout de trois mois. « J’espérais proposer une émission construite autour de mes choix dans l’actualité. Mais la ligne de BFMTV reste dominée par les « hard news ». L’information en - réel, pourtant essentielle, était moins mon truc. »
« Mésaventure » sur BFMTV
Depuis cette « mésaventure », Laurent Ruquier apparaît beaucoup moins à la télé. Quelques incursions très occasionnelles dans des jeux ou des spectacles de divertissement. « Les Traîtres », « Mask Singer »… Il s’est recentré sur la radio, l’écriture et la production d’artistes (Gaspard Proust, Vincent Dedienne, Michaël Gregorio…) On dirait que c’est une torture, quand on a été omniprésent sur le petit écran, d’être moins visible là. « Dans mon cas, non. Je ne souffre pas de cette situation. Je suis dans la télévision depuis trente ans : je ne suis pas amer, mais plutôt fier de ce que j’y ai proposé, et heureux du succès que j’ai pu connaître. »
« Rien à cer » sur France Inter, « On va s’gêner » sur Europe 1, « On a tout essayé » ou encore « On n’est pas couché » sur France 2… Ses émissions à la radio et à la télé ont été connues comme exceptionnelles. longévité (cinq à quinze ans), et ont toujours voyagé entre l’humour et le cinéma, la littérature… « Mon credo est qu’il faut vulgariser la culture. Ce qui est intéressant, c’est de jouer un air d’opéra dans un programme de divertissement. Quand j’étais petite, il y avait des symphonies de Mozart sur ”Stop ou encore” sur RTL ! Je me souviens constamment d’où je viens. Je sais comment vit la majorité des Français, je sais que pour certains, « lire » signifie lire un magazine. Mon obsession est de m’adresser à tout le monde, sans être démagogue. »
“Les affaires de société, je déteste”
La veille de cet échange, pour la première fois, il assistait à un défilé de mode. « Il y a eu un cocktail après. Je suis parti très vite. Je déteste les événements sociaux. Quelque chose en moi me fait toujours me sentir mal à l’aise là-bas, à distance », dit-il. Peut-être s’agit-il d’une loyauté envers le fils d’un ouvrier qui a grandi dans une cité HLM du Havre ? Il ne dit pas non mais ne s’ouvre pas.
Combien de - compte-t-il diriger les « Grosses Têtes » ? « Jusqu’à 50 ans en 2027, et même une ou deux saisons après. » Il assure que le bataillon des piliers du spectacle, une quarantaine de personnalités, est régulièrement renouvelé. « La règle numéro un, pour s’imposer auprès des « Grosses Têtes », c’est vaincre sa timidité. » Il parle d’expérience, se décrivant comme « très timide ». « Ce métier nous permet de surmonter certains obstacles. Cela vous permet d’être qui vous voulez être, même si vous n’y parvenez pas tous les jours dans la vraie vie. »
(1) L’hébergeur a revendu ses actions.
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