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La radiodiffusion publique est-elle trop politiquement orientée ?

Nous devons encore financer la radiodiffusion publique. Deux ans après la suppression de la contribution forfaitaire annuelle de 138 € (88 € dans les DOM), les députés s’apprêtent à pérenniser le dispositif dérogatoire mis en place en 2022, à savoir le financement de l’audiovisuel public par l’attribution d’une partie de la TVA.

Déjà voté par le Sénat mercredi 23 octobre, le projet de loi visant à modifier en ce sens la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) du 28 décembre 2021 doit être examiné en urgence par les députés à partir de ce mardi 19 novembre. tel quel, il entrera en vigueur le 1est janvier 2025. A défaut, le financement de l’audiovisuel public sera soumis chaque année au vote du budget, avec tous les aléas politiques que cela implique.

Une fois de plus, la radiodiffusion publique est donc à l’ordre du jour politique. Du projet de fusion des entreprises qui le composent, mené par la ministre de la Culture Rachida Dati, à la privatisation, proposée par le Rassemblement national, en passant par les débats autour du pluralisme, il a fait l’objet de multiples interrogations cette année, et parfois controverses qui appellent à des éclaircissements.

► Combien coûte réellement la radiodiffusion publique ?

« Dire que la radiodiffusion publique est un gaspillage financier est une vieille plaisanterie »relève l’économiste des médias Philippe Bailly, évoquant une critique récurrente. Et de préciser : « En , cela coûte environ 4 milliards d’euros par an. C’est impressionnant et on peut dire que c’est trop, mais si l’on regarde ce que nos voisins européens y dépensent, nous sommes plutôt au milieu du tableau. »

Prélèvement sur les recettes de la TVA depuis 2022, le budget alloué en France à l’audiovisuel public reste quasiment le même qu’à l’époque de la redevance. Il n’a augmenté que de 6 % en 2024, pour suivre l’inflation et, dans une moindre mesure, permettre le financement de projets de transformation.

Ce montant global, complété par les recettes publicitaires « très marginal » précise Philippe Bailly, est ensuite répartie entre les six sociétés qui composent l’audiovisuel public. Le projet de loi de finances 2025 prévoit ainsi l’allocation de 2,5 milliards d’euros pour France Télévisions, 666 millions pour Radio France, 305 millions pour France Médias , 301 millions pour Arte, 106 millions pour l’INA (Institut national de l’audiovisuel) et 84 millions pour 5 Monde. , un groupe qui emploie au total 17 000 personnes.

Mais cette enveloppe risque une réduction de 50 millions d’euros par rapport au projet de budget initial et aux contrats d’objectifs et de moyens négociés par les différents médias avec le ministère de la Culture en début d’année. Un effort “qu’on ne sait pas faire le 1erjanvier sans toucher à nos missions », a prévenu Delphine Ernotte-Cunci, la patronne de France Télévisions, auprès des députés, censés supporter 60% des économies requises. Un avertissement formulé par Sibyle Veil (Radio France), Marie-Christine Zaragosse (France Médias monde), Laurent Vallet (INA), Bruno Patino (Arte) et Kim Younes (TV5 Monde), auditionnés le même jour.

Des coupures de dernière minute qui pourraient notamment peser sur la mission d’aide à la création qui incombe au service public audiovisuel censé promouvoir la France à l’étranger grâce à ses contenus, comme le fait encore la très populaire série. Dix pour cent.

► Son offre est-elle dispersée ?

La radiodiffusion publique propose une offre variée. Il y a les généralistes France 2 et France inter, l’international France 24, la franco-allemande Arte, la culturelle France 4, la politique LCP et Public Sénate, ou encore les chaînes locales France Bleu… Chacune a sa propre équipe, sa propre identité. , ses multiples programmes.

Et « une profusion qui profite à la démocratie » pour la députée Génération-s Sophie Taillé-Polian. D’autres y voient plutôt une fragmentation préjudiciable à la cohérence et aux finances publiques. Notamment les partisans de la fusion de France Télévisions, Radio France, l’INA et France Médias monde. « La situation actuelle n’est pas satisfaisante. Il faut s’interroger sur le nombre de chaînes et de stations”estimates the senator from Essonne (Les Républicains) Jean-Raymond Hugonet, defender of this project.

Déjà rêvée par Nicolas Sarkozy en 2016, cette « BBC à la française » a refait surface au printemps dernier dans un projet de loi porté par la ministre de la Culture Rachida Dati. Avortée pour cause de dissolution, elle devait, grâce à la création d’une société unique, « permettre une unité de management, une réduction des niveaux hiérarchiques et donc une plus grande agilité pour répondre aux défis qui nous attendent » et ainsi « mettre fin à la dispersion des médias audiovisuels ». Une manière aussi de réaliser des économies d’échelle en favorisant les synergies et la co-diffusion.

Des initiatives qui se multiplient déjà, au grand désarroi des syndicats, qui craignent une uniformisation de la programmation. En témoigne la grève, le 4 novembre, d’une partie des équipes de France 3 contre la fusion, qui devrait intervenir en 2025, des chaînes locales de l’antenne avec les stations du réseau France Bleu derrière la marque « ICI ». . .

Dans une interview avec Figaro Fin octobre, Rachida Dati assurait que la fusion n’était plus à l’ordre du jour, mais que l’ambition de former une maison mère regroupant France Télévisions et Radio France demeurait. Une telle structure permettrait de « préserver les spécificités de chaque entité » tout en ayant un « vision stratégique commune »a rappelé le ministre.

Trop dispersée ou pas, l’audiovisuel public remplit sa mission d’accessibilité. La plateforme France Télévisions – récemment rejointe par Arte.tv – a attiré 40,7 millions de visiteurs uniques en août, un nombre inédit. France Inter et France Info battent des records d’audience.

► La radiodiffusion publique est-elle trop politiquement orientée ?

Malgré son succès populaire, l’audiovisuel public est régulièrement soupçonné de manquer à son devoir de pluralisme et de neutralité politique. “Depuis une vingtaine d’années, une petite musique monte, selon laquelle l’audiovisuel public penche trop à gauche, note Patrick Eveno, historien des médias. Nous devons examiner attentivement d’où viennent ces critiques et à quoi elles servent. »

En mai dernier, de telles accusations sont venues de l’Institut Thomas-More, libéral et conservateur, dans un rapport à la méthodologie discutable pointant du doigt une droite qui serait « marginalisé » par la radiodiffusion publique tandis que la gauche, « socialiste et progressiste », serait « surexposé ». Un rapport, relayé par le Figaro Magazine, s’appuie sur une période d’observation de quatre jours, du 19 au 23 février 2024, et qui intervient dans le sillage immédiat de la décision retentissante du Conseil d’État, le 13 février, concernant CNews. Mais, s’appliquant à tous les acteurs de l’audiovisuel, elle impose à l’Arcom, le régulateur des médias, d’étendre son appréciation du pluralisme à tous les participants aux programmes diffusés et non plus seulement à leurs invités.

“Les médias publics ne sont pas des offices politiques, mais Radio France, et particulièrement France Inter, a pu faire des choix qui ont exacerbé les critiques, rapporte un observateur des médias qui a préféré rester anonyme. Insérer des chroniques humoristiques au milieu des rubriques d’information, alors qu’elles ont une position politique assumée, cela colore forcément la séquence. »

Et si certains s’inquiètent d’une audiovisuelle publique trop orientée à gauche, d’autres craignent qu’elle « gardez vos arrières pour éviter les attaques de l’extrême droite »raises Sophie Taillé-Polian. « Elle doit rester une référence en matière d’information et d’accès à la culture, une instance indépendante », rappelle le député.

« La polarisation politique et les attaques répétées contre le service public vont de pair, ce sont les deux faces d’une même médaille. » soulève le président d’Arte, Bruno Patino. Et ce n’est pas spécifique à la France, c’est un mouvement fondamental. »

► Son indépendance est-elle correctement garantie ?

Depuis mai, l’indépendance de l’audiovisuel public est une obligation précisée par le règlement européen sur la liberté des médias (loi européenne sur la liberté des médias). Selon l’article 5, les États membres doivent garantir des ressources financières durables et suffisantes aux médias de service public. Et c’est en grande partie pour garantir cette indépendance que le projet de loi examiné à l’Assemblée nationale ce mardi 19 novembre a été voté à la quasi-unanimité au Sénat fin octobre – l’option de budgétisation allant « contraire au règlement européen sur la liberté des médias » susmentionnée, a souligné la sénatrice centriste Catherine Morin-Desailly.

Le rapporteur de la commission spéciale de l’Assemblée chargée d’examiner le texte, Denis Masséglia (Renaissance Ensemble pour la République), a également relevé l’urgence, mercredi 13 novembre, d’un consensus transpartisan. Il a rappelé qu’en cas de budgétisation « France Médias monde (FMM) et TV5 Monde risquent d’être considérées comme des médias d’État, avec les conséquences que cela a sur leur réputation et leurs capacités de diffusion » à l’étranger. Des risques que FMM avait déjà exprimés au printemps dans le cadre du projet de fusion de l’audiovisuel public, craignant qu’une gouvernance unique n’entache également la perception de son indépendance à l’étranger.

Ainsi, au nom de l’indépendance, la proposition a été votée en commission et ne devrait pas rencontrer trop de résistances à l’Assemblée. Seul le groupe parlementaire du Rassemblement national, favorable aux privatisations, a annoncé son intention de s’abstenir « par souci de cohérence intellectuelle »a déclaré le député Philippe Ballard.

Pour la sénatrice PS Sylvie Robert, si cela « La solution la moins pire doit absolument être votée conforme »ce n’est pas la solution la plus sûre pour l’indépendance de l’audiovisuel public. « Il faut retravailler sur une tarification modernisée »a-t-elle plaidé. « Ce serait une garantie plus forte car c’est un mode de financement qui ne s’appuierait pas sur un mécanisme lié aux recettes de l’Etat »dit le sénateur. Auteure d’un projet de loi visant à instaurer une contribution audiovisuelle progressive, elle réclame « remettre vite cette idée sur la table ».

En attendant, la députée Sophie Taillé-Polian souligne la dimension positive du prochain vote : « Nous sommes évidemment mal à l’aise de devoir agir sous la menace d’un budget, mais il est rassurant de voir une majorité de groupes parlementaires apporter un soutien fort à l’audiovisuel public. » Quant aux critiques qu’il a reçues, “ils sont inévitables”estime Philippe Bailly, économiste spécialisé dans les médias. Et peut-être montrent-ils aussi un attachement à cet outil essentiel du service public.

 
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