Il savait tout à Canal. Depuis les débuts tâtonnants de la première chaîne payante de France, en 1984, jusqu’à la gloire d’humoriste aux côtés de Philippe Gildas chaque soir dans Nulle part ailleursjusqu’à divers projets de diffusion et de fiction. Antoine De Caunes, fils aîné de Canal+, anime l’émission anniversaire qui réunit, lundi 4 novembre, une soixantaine de « talents » de la chaîne lors d’une soirée événementielle.
Très sollicité par les médias à l’approche du quarantième anniversaire de Canal+, Antoine De Caunes répond de bonne grâce, au lendemain d’Halloween et de la Fête des Morts. S’il tousse, il n’est pas mort et l’esprit Canal non plus, jure-t-il. « Ne faites pas de moi un expert de Canal+ », prévient-il. On me prend parfois pour le disque dur de la chaîne, mais je n’en ai pas une connaissance universelle. »
20 minutes a néanmoins tenté de retrouver avec lui où se niche le célèbre esprit Canal, 40 ans plus tard, à l’époque Bolloré.
Avez-vous le sentiment d’être la mémoire vivante de Canal ?
Un peu… J’étais là au début et j’y suis resté mais j’ai aussi fait des allers-retours. Et je ne suis pas un très bon spectateur, des choses me manquent, j’ai raté des années entières. Mais disons que j’ai un aperçu de ce qui s’y pratiquait et de ce qui s’y pratique…
40 ans, c’est toute une vie. Comment résumeriez-vous ces 40 années de création télévisuelle ?
C’est très difficile. J’ai surtout du mal à me souvenir des débuts car à ce moment-là, on ne pensait pas du tout que ça allait durer donc on était dans un état d’esprit du moment, on ne prévoyait pas l’avenir. Tous. Si vous aviez dit à tous ceux qui étaient là en 1984 qu’ils feraient encore de la télévision 40 ans plus tard, ils auraient ri. Personne ne se voyait faire sa vie à la télé…
D’autant qu’au début, Canal+ a failli s’arrêter avant même son premier anniversaire…
Nous avions beaucoup d’ennemis, il y avait des problèmes politiques, des guerres économiques. Les médias de l’époque n’étaient pas très bienveillants car on voulait faire la télé un peu différemment. L’arrivée des films de bal a stabilisé nos finances…
Canal+ se résume parfois à ce triptyque : cinéma – football – porno. Est-ce encore vrai aujourd’hui ?
C’est tout, mais c’est plus que ça. Pour revenir à la première question, on peut dire que ce qui résume ces 40 années, c’est la créativité et la recherche de l’excellence. Quand Canal se lance dans le football, il cherche les meilleurs réalisateurs, les meilleures caméras, pour créer une expérience… Et quand Canal se lance dans les séries, c’est pareil. On voit sur Canal des choses qu’on ne verrait pas ailleurs. Quand je vois Fièvre ou HippocrateJ’aimerais pouvoir me dire « si ce n’est pas sur Canal, quelqu’un d’autre le fera », mais ce n’est pas vrai. Seul Canal peut faire ça.
Quand Canal+ s’est lancé dans le porno ou dans le football, il y a eu des polémiques.
Oui, quand on a commencé à suivre tous les matchs du championnat de football, il y avait des gens qui disaient qu’on allait vider les stades. Quelle connerie…
Aujourd’hui, la polémique a déménagé. Il existe de nouvelles raisons d’aimer ou de détester Canal+.
C’est une relation amour-haine mais l’amour gagne de loin, Regardez les abonnés ! Je ne suis pas une logique comptable mais les vrais actionnaires de cette chaîne, ce sont eux. Et plus que leur nombre, ce qui compte c’est leur satisfaction. Ceux que je rencontre ont un attachement très profond à la chaîne. Il y a eu des refus par moments, mais ceux qui ont tenu, qui sont restés dès le début, ont un attachement particulier. Nous sommes comme une famille, comme un vieil ami.
Vous parlez d’actionnaires. Le principal actionnaire de Canal+, Vincent Bolloré, fait débat et son positionnement contribue à la défiance à l’égard de Canal+.
Canal+ est le fleuron d’un groupe qui a d’autres préoccupations. Lorsque Lagardère père était à la tête de son groupe, il vendait des armes et en même temps le groupe avait des médias importants en France. Il est très difficile de répondre de son principal actionnaire, en tant que média dans un système capitaliste. Je pense sincèrement que Canal+ ne souffre pas d’une ligne éditoriale imposée. J’ai l’impression que nous sommes assez libres. Jean-Marie Messier [PDG de Vivendi, propriétaire de Canal+, de 1996 à 2002] était très interventionniste, ça ne lui a pas porté chance…
Diriez-vous que malgré les polémiques autour de Bolloré, la relation entre Canal+ et les Français s’est normalisée ?
Je ne sais pas. Il est très difficile de comparer les époques. Le monde a considérablement changé, la télévision avant Internet ne ressemblait pas du tout à la télévision d’aujourd’hui. Canal+ a connu la libéralisation des ondes, des dizaines de chaînes sont arrivées. Canal+ est devenu une plateforme. Pour une chaîne comme Canal, le mantra est « s’adapter et survivre ». L’histoire de Canal+, c’est l’histoire de France, c’est une histoire qui suit en parallèle la vie de la France.
Qu’est-ce qui fait l’identité durable de Canal au fil des décennies : l’époque, les gens qui font Canal ou les gens qui possèdent Canal ?
C’est un mélange de tout ça. L’équilibre doit être atteint sans jamais perdre la liberté et la pertinence de l’analyse de l’époque. Les créations de Canal restent incroyablement précises, je trouve. Regardez une série comme Du sang et de l’argent… Il y a aussi toutes les générations d’humoristes qui sont passées et passent encore par Canal. Le cheptel s’est renouvelé sans l’entrain, l’envie d’essayer, ayant déserté la chaîne. Franchement, je le dis sans aucun esprit d’entreprise… Et cette soirée des 40 ans en est un bon exemple.
Sera-ce un résumé de l’esprit Canal ?
Plutôt une nouvelle émanation. Nous n’avons pas ouvert les classeurs. Nous avons préféré inventer quelque chose d’hybride, entre le music-hall à l’ancienne et quelque chose de moderne apporté par les participants. Nous avons fait un pas de côté, cela nous paraissait plus pertinent et intéressant qu’un best-of ou une soirée d’autofélicitations.
Fêter cet anniversaire sans vous aurait été impensable. Sur le plan personnel, vous sentez-vous encore aujourd’hui comme un enfant de Canal ?
Nous avons toujours eu une relation très étroite. À tout moment, ils me laissaient faire de la télé quand je voulais et selon ce que je voulais. Fiction, quotidien… Chez Canal, j’ai une table de jeux avec une palette que je ne vois pas ailleurs. Bien sûr, c’est une histoire sous-jacente, je ne suis pas pieds et poings liés, j’avais la liberté de déambuler, de revenir. C’est assez incroyable.
Related News :