Un homme de 70 ans retrouvé dans son appartement plusieurs semaines après son décès en Saône-et-Loire, ou encore une femme de 69 ans découverte à son domicile six mois après son décès à Brest (Finistère). Depuis trois ans, l’association Les Petits Frères des Pauvres – qui lutte contre l’isolement des personnes âgées – fait état du nombre de morts solitaires en France. En 2024, plus de 30 personnes âgées ont été retrouvées plusieurs semaines, mois, voire années après leur disparition. Un chiffre supérieur aux années précédentes mais sous-estimé faute de statistiques officielles.
À Taupont (Morbihan), un homme de 77 ans a été retrouvé dix ans après son décès, selon l’association. « C’est un gentleman qui n’avait plus de contact avec sa famille. Dans le hameau, tout le quartier pensait qu’il était parti en maison de retraite ou qu’il était mort ailleurs”, tentait d’expliquer une source proche de l’enquête au quotidien Ouest-France en avril dernier. Le corps de l’individu a été retrouvé dans un état squelettique par une entreprise de nettoyage avant la vente aux enchères de sa maison. Un fait divers parmi tant d’autres qui pose néanmoins la question de l’isolement extrême des seniors.
Avant la mort, la mort sociale
Isabelle Sénécal, responsable du centre de défense des Petits Frères des Pauvres, dresse le portrait des principales personnes concernées. « Ce sont des personnes avec un tissu relationnel extrêmement faible. Ils n’ont plus de famille, sont renfermés et ont parfois coupé les ponts avec leurs proches. » Par ailleurs, plus la personne est âgée, plus elle aura tendance à mourir sans s’en rendre compte, « à un certain âge, le conjoint meurt, ainsi que les amis et voisins du même âge », entraînant ainsi une lente mort sociale.
Plus surprenant : les décès isolés concernent davantage d’hommes. « On part du principe qu’elles sont considérées comme moins en difficulté », reconnaît Isabelle Sénécal, l’entourage leur accorderait donc « moins d’attention » qu’aux femmes plus âgées.
Le responsable du plaidoyer de l’association fait un autre constat : de plus en plus de seniors souhaitent finir leurs jours à la maison, ce qui expliquerait qu’ils ne soient pas détectés par les services sociaux et favoriserait leur isolement. Selon une étude du DRESS, fin 2019 seulement « 10 % des personnes âgées de 75 ans ou plus » fréquentaient ou vivaient dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées.
Manque de données
Cependant, le manque de données officielles ne permet pas d’établir une augmentation des cas isolés de mortalité. Isabelle Sénécal rappelle que le chiffre publié par l’association se base uniquement sur des articles de presse locale. Le phénomène est donc peut-être plus médiatisé qu’il y a plusieurs années, estime-t-elle, « d’où l’importance de la création d’un observatoire national de la mort solitaire », réclamé depuis plusieurs années par les Petits frères des pauvres.
Un manque de statistiques également pointé par les sociétés de pompes funèbres et les associations de décès isolés. Florence Fresse, déléguée de la Fédération française des pompes funèbres, affirme ne pas avoir accès à d’éventuelles statistiques sur le sujet et souligne la difficulté d’établir un tel bilan. Au cours des deux derniers mois, Pascal Hersigny, responsable de l’association Morts Isolés de France et d’Outre-Mer en Ile de France, révèle avoir été contacté à cinq reprises par les services funéraires de la région.
-Là encore, il ne commente pas une éventuelle augmentation de ces cas, faute de recul suffisant sur la situation. « Ce sont les pompes funèbres qui nous informent de ces décès isolés », explique le bénévole. « Dans la mesure du possible, un membre de l’association tente d’aller aux funérailles, d’acheter des fleurs, de retracer l’histoire du défunt afin de lui redonner une certaine dignité. Mais nous ne pouvons pas répondre à toutes les demandes. »
A Albertville, où un homme de 74 ans a été retrouvé dans sa maison plusieurs mois après son décès en avril dernier, un employé de la mairie tempère le nombre de décès isolés. « C’est plus une question de ressenti. Oui, il y a plus de personnes isolées qu’il y a quelques années », précise ce dernier. « On voit parfois des décès quelques jours plus tard, mais ce cas-là est inhabituel. »
Dans ce cas, et dans la mesure où aucun proche n’est retrouvé, c’est bien la mairie qui finance l’inhumation du défunt comme le prévoit l’article L. 2213-7 du Code général des collectivités territoriales.
Vieillissement de la population
Selon les Petits Frères des Pauvres, des systèmes pourraient également être mis en place pour mieux détecter les défunts oubliés. Au Japon, entre autres, certaines mesures sont appliquées en réponse au vieillissement progressif de la population. « L’administration peut notamment identifier des réductions de consommation d’énergie », cite le responsable qui propose également l’idée d’un suivi des activités bancaires hors virements automatiques. «Souvent, ce sont des huissiers qui découvrent le corps du défunt après de nombreuses plaintes», mentionne-t-elle.
Une situation alarmante car « la France est en pleine transition démographique et connaît un vieillissement important de sa population », poursuit Isabelle Sénécal, qui anticipe une forte augmentation des plus de 75 ans dans les années à venir.
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