« Mon chéri, les compagnons te relookent. » C’est ce que j’ai dit à Notre-Dame ce matin même, en me promenant sur les bords de Seine où je vis depuis plus de trente ans. Je l’ai trouvée très pimpante, avec sa nouvelle flèche pointée vers le ciel, maquillée par la lumière d’automne comme une actrice de tournage.
Notre-Dame, je l’adresse de manière informelle, comme on se dit « tu » au théâtre ou sur les plateaux de tournage, donnant ce surnom affectueux aux premiers rôles. Parce que la Cathédrale de Paris est ma star. Elle est le protagoniste de mon film Notre Dame brûle même si les pompiers sont mes héros. Je suis tombé amoureux très jeune de cette Dame de Pierre et, peu après l’incendie d’avril 2019, de ceux qui l’ont secourue. Je n’aurais pas réalisé ce film ni recréé cette nuit mémorable de la même manière si je n’avais pas été ému par ces jeunes filles et garçons qui l’ont sauvée. Ils rencontrent un danger absolu, sont témoins d’abominables drames, risquent tout au quotidien pour les autres et rentrent chez eux sans rien dire de leurs actes.
«Pourquoi se porter volontaire pour s’engouffrer dans la fournaise d’un beffroi ardent, vide de toute présence humaine ? » leur ai-je demandé. Leur réponse fut : « Que sont nos vies comparées aux pierres de Notre-Dame ? » Dans ce monde d’égoïsme et de fureur, une petite famille de compagnons solidaires était prête à tout pour préserver un trésor spirituel porteur de notre humanité. Depuis leur exploit, je ne peux plus regarder ces tours gothiques sans penser à leur bravoure.
Bien avant que quiconque ait pu voir mon film, le général Gontier, alors commandant des pompiers de Paris, m’a élevé au grade de pompier honoraire de première classe, numéro 105 375 bis. Un honneur en effet dans le décor illuminé des Invalides : « Sur certains points, vous et moi faisons le même travail, m’a dit le général. Quand on recrée un tournage en studio, avec 500 techniciens sur le plateau, on risque gros en termes de sécurité. La scène ne pourrait être tournée sans toutes ces compétences combinées et la confiance mutuelle entre vous. » Le feu est un acteur fascinant, beau et dangereux. Elle nous charme, nous réchauffe, nous éclaire la nuit, mais peut nous carboniser et nous réduire en cendres. Dans Le nom de la roseJ’avais déjà filmé le terrible incendie d’une bibliothèque médiévale.
-Enfant, lorsque je quittais ma banlieue pour explorer la capitale le jeudi avec ma mère, la cathédrale était la première silhouette qui m’apparaissait en sortant du train, à la gare du Pont-Saint-Michel. Elle incarnait Paris. Parfois, ma mère me laissait y allumer une bougie. Les voûtes résonnaient au moment des toccatas de Bach répétées par Pierre Cochereau, le célèbre principal des Grands Orgues. J’ai senti l’encens. Les rayons du soleil traversaient les rosaces et dessinaient des taches de couleurs fugitives sur les murs. Des étrangers priaient. J’ai été pénétré par la contemplation du lieu.
Chefs-d’œuvre gothiques ou modestes chapelles romanes, je m’y suis toujours retrouvé en paix. Je ressens quelque chose de plus grand que la vie matérielle. Je ne suis pas croyant. Mais j’ai foi en foi. Puis ma mère et moi escaladâmes les tours et arrivâmes à la galerie des chimères. Une de mes toutes premières photographies fut le Stryge de Notre-Dame, le célèbre et fabuleux monstre de pierre qui orne la balustrade de sa tour nord et scrute pensivement les toits.
Des années plus tard, le regretté Umberto Eco, que j’avais amené à l’écran Le nom de la rose m’a dit : « Ton rêve, Jean-Jacques, serait de raconter au cinéma l’histoire d’une pierre qui ferait pleurer le monde. » J’ai pensé à cette méfait lors du tournage de Notre Dame brûle . Le 8 décembre, ma belle actrice nous sera rendue dans toute sa somptuosité. Je lui dirai doucement : « Tu es belle, chérie, reste-le pour toujours. »
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