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« Des Russes à Auschwitz ? Ce serait cynique et inapproprié »

LL’historien catholique polonais Piotr Cywinski dirige le musée d’Auschwitz-Birkenau depuis 2006. Cet ancien médiéviste, qui a étudié en Suisse et en , était à Paris pour la sortie de son ouvrage, Auschwitz*une étude quasi anthropologique des sentiments, des états d’esprit et des émotions des déportés et des prisonniers, résumée par le sous-titre de l’édition polonaise, Une monographie sur les humains.

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L’occasion de l’interroger sur les cérémonies marquant le 80e anniversaire de la libération du camp, ce 27 janvier 2025, ainsi que sur les enjeux géopolitiques et historiques du lieu.

Le point : En 2015, Sergueï Ivanov, chef de l’administration présidentielle russe de Poutine, était présent au 70e anniversaire de la libération d’Auschwitz. Compte tenu des événements, y aura-t-il un représentant de la Russie, sachant que ce sont les Soviétiques qui ont libéré le camp ?

Piotr Cywinski : Dans les unités soviétiques qui ont libéré Auschwitz, 41 % des soldats étaient russes, 39 % étaient ukrainiens. Vous parlez de libération ? Dans ce mot, il y a « liberté ». Une idée à laquelle le régime de Moscou est totalement étranger. Des Russes à Auschwitz ? Il serait inapproprié et cynique que la Russie, d’une manière ou d’une autre, participe à la commémoration de cette liberté vécue par les derniers survivants du camp.

Depuis plusieurs semaines, est disponible une éphéméride en 5 volumes de plus de 2 000 pages, qui raconte l’histoire d’Auschwitz au jour le jour. Pourra-t-on bientôt le lire dans une autre langue ?

La traduction anglaise sera prête dans un an. Pour le français, il faudra attendre encore. Ce travail est le résultat de la compilation de toutes nos données, même si, rappelons-le, 90 % des archives nazies ont été brûlées par des déportés, quelques jours avant le départ des SS, le 18 janvier. C’est l’estimation que nous avions pouvoir faire, sur la base de ce que nous savons du travail de la chancellerie du camp.

Ce qui nous reste, ce sont les données de l’Institut d’hygiène des SS, une partie des livres des défunts emportés par l’Armée rouge, qui nous ont été restitués par la Russie après 1990, ainsi que des listes de livres de blocs. Nous disposons de données sur 55 % des 405 000 déportés enregistrés. Par ailleurs, nous venons de mettre en ligne un outil de recherche obtenu en croisant le tout avec les archives allemandes de Bad Arolsen et de la Croix-Rouge.

Comment envisagez-vous la cérémonie du 80ème anniversaire ?

La priorité sera donnée aux derniers déportés, 35 à 45 seront présents, dont certains prendront la parole. Il n’y aura pas de discours politique, j’ai toujours essayé de faire en sorte que la politique n’entre pas à Auschwitz, même si nous avons évidemment subi des pressions de toutes sortes. De part et d’autre de la cérémonie, pendant deux heures, un grand studio recevra des personnalités, cinéastes, écrivains, philosophes, artistes, pour réfléchir sur Auschwitz, dix minutes chacun.

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Mais quelle est votre vision ?

La philosophie grecque, le droit romain et les universités médiévales constituent des apports exceptionnels de l’Europe. Mais l’esclavage et le colonialisme représentaient le côté obscur. À cet égard, Auschwitz, en tant que déshumanisation positiviste programmée, constitue également un jalon dans l’identité européenne. Depuis 2015, l’Europe a sombré dans un populisme d’autant plus inquiétant si l’on pense qu’il n’a fallu à Hitler que six années de populisme pour entraîner une nation entière dans la folie d’une guerre mondiale.

En Europe, il y a 30 ans, dans tous les pays, on pouvait trouver des hommes d’État dont on partageait ou non les idées, mais que l’on respectait. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus difficile. Cette menace de populisme belliqueux est présente dans différentes régions d’Europe.
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D’un point de vue statistique, on peut être plus précis. Mais nos trois perspectives principales sont différentes. L’avenir réside dans les récits des survivants qui ont témoigné dans plusieurs langues. Cependant, un historien ne peut pas maîtriser toutes ces langues, c’est pourquoi, pour pouvoir croiser tous ces textes, nous allons mettre en place un partenariat avec Google afin de tous les traduire en anglais.

Les historiens de l’Holocauste sont confrontés à un autre problème : ils ne savent pas ce qui reste à fouiller en Russie. Prenez les médecins soviétiques présents dans le camp à partir de la fin janvier 1945 et qui soignaient les déportés restants. Nous savons qu’ils ont soumis des documents au musée médical de Saint-Pétersbourg. Par ailleurs, lors de l’ouverture brève de la Russie dans les années 1990, des historiens américains rapportèrent qu’à Moscou, dans certaines archives, ils avaient vu, sans pouvoir les consulter, de nombreux dossiers mentionnant Auschwitz qui n’avaient pas été inventoriés.

A LIRE AUSSI Denise Holstein, survivante d’Auschwitz : « L’antisémitisme est une maladie, et il est toujours là » Enfin, nous croyons à une troisième source encore inconnue. 9 000 SS transitèrent par Auschwitz. Ils écrivaient évidemment des lettres, écrivaient parfois des souvenirs, prenaient beaucoup de photos. Nous connaissons trois albums, mais nous savons que le laboratoire photographique du camp servait principalement à développer des photos privées des SS. Où sont-ils ?


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Nous arrivons à la troisième génération, où il sera plus facile, me semble-t-il, de transmettre ces archives délicates aux institutions mémorielles. Nous verrons bien d’autres témoignages refaire surface. N’oublions pas que le problème anthropologique fondamental soulevé par Auschwitz ne réside pas dans la victime et ses souffrances, mais dans l’attitude des participants au génocide.

* « Auschwitz », de Piotr MACywinski, traduit de l’édition anglaise par Claire Darmon et Lisa Vapné. Mémorial Calmann-Lévy/Shoah. 600 p.

 
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