L’emprunt est inhérent au fonctionnement normal des finances publiques. Nous devons emprunter davantage pour faire face aux défis écologiques.
Dominique Plihon
Économiste, membre du conseil scientifique d’Attac
La question de la dette publique française est au cœur des débats et donne lieu à des déclarations alarmistes dont la plus connue est celle de François Fillon en 2007 : « Je suis à la tête d’un Etat qui est en situation de faillite financière. » Et pourtant, la dette publique n’a cessé d’augmenter depuis 2007, atteignant 3 300 milliards d’euros en 2024, soit 112 % du PIB.
Cette croissance de la dette publique peut suggérer que l’État doit cesser d’emprunter. Cette vision méconnaît la nature de l’État et des politiques publiques. La dette des États ne peut être considérée de la même manière que celle des acteurs privés de l’économie, des ménages et des entreprises. Tout d’abord, en réalité, l’État ne rembourse jamais sa dette, il ne paie que les intérêts. Lorsqu’un titre arrive à échéance, il emprunte à nouveau. De nouveaux prêts remplacent ainsi les anciens. L’État « roule sa dette ».
Autrement dit, l’État doit constamment emprunter. Deuxièmement, contrairement aux agents privés, l’État a un horizon à long terme, voire infini. C’est pourquoi l’une des fonctions de la dette publique est d’effectuer des transferts intergénérationnels. Un prêt consenti aujourd’hui permet de financer des écoles et des hôpitaux dont bénéficieront les générations futures. Ces derniers paieront demain des impôts pour rembourser la dette contractée hier, dont ils bénéficieront sous forme de facilités collectives.
L’État et les collectivités locales réalisent des investissements essentiels pour la société et l’économie, dont la plupart ne peuvent être réalisés par des acteurs privés. En effet, il s’agit souvent d’investissements peu rentables et de long terme qui dépassent l’horizon décisionnel de ces derniers.
A titre d’illustration, cette catégorie regroupe une part importante des investissements nécessaires à la transition écologique comme la désartificialisation des sols, la dépollution des eaux, la création de réserves de biodiversité, le rétablissement de petites lignes ferroviaires, etc. Le rapport Pisani-Ferry et Mahfouz publié en 2023 montrait que la transition nécessiterait une augmentation de la dette publique.
La principale objection à l’idée d’emprunter davantage est que la charge des intérêts sur la dette publique ne serait pas soutenable : il s’agit d’environ 50 milliards d’euros, ce qui constitue le deuxième poste du budget de l’État, après celui de l’éducation nationale. En réalité, cette comparaison n’a aucun sens. En fait, cette charge représente 1,5% de la dette publique actuelle. S’il y a une inflation de 2 %, ce qui est l’objectif de la Banque centrale européenne (BCE), le coût réel de la dette publique est de moins 0,5 % ; c’est-à-dire que le fardeau de la dette diminue. Il faut tenir compte de ce que les économistes appellent la « taxe inflationniste » qui réduit le fardeau des débiteurs.
Le problème n’est pas la dette, mais le financement. Nous devons viser à créer un fonds européen pour le développement des services publics.
Denis Durand
-Économiste, membre du conseil national du PCF
L’économie française est confrontée à deux problèmes principaux. Le premier est la détérioration dramatique des services publics. Sans services publics efficaces et sans main d’œuvre toujours mieux formée, comment survivre dans une mondialisation capitaliste où les rapports de force sont de plus en plus brutaux ? C’est le deuxième problème : des millions d’entre nous sont empêchés de participer efficacement à la création de richesses, soit parce qu’ils sont au chômage, soit parce que le travail qu’ils occupent stérilise leur capacité d’initiative. et leur créativité, ou encore parce que la formation nécessaire à leur métier leur est refusée…
Cela fragilise sérieusement notre système économique : il n’est même plus capable de concilier rentabilité des groupes capitalistes et financement de la retraite à 60 ans, alors qu’il y avait réussi dans les années 1980. Et alors que d’énormes dépenses devront être engagées pour relever le défi climatique. Remettre à plus tard la solution de ces problèmes sous prétexte de réduire le montant de la dette publique est socialement meurtrier, écologiquement irresponsable et poussera la France dans la récession.
Ceci accroît donc le poids de la dette proportionnellement au PIB, et compromet les chances d’une dynamique de création de richesse qui permettrait « d’avaler la dette » comme après la Seconde Guerre mondiale. Ce n’est surtout pas le moment de réduire les dépenses publiques, ni de faire croire qu’on peut s’en tirer en prenant, comme François Bayrou prétend vouloir le faire, quelques milliards aux « riches ». Il est essentiel d’engager les vastes dépenses nécessaires au recrutement et à la formation des fonctionnaires dont les services publics ont besoin.
Cela est vrai partout en Europe. Le « frein à l’endettement » allemand est devenu intenable au point que le gouvernement Scholz a préféré tomber plutôt que de continuer sur cette voie. Même la Bundesbank réclame désormais un assouplissement des règles budgétaires… Quelle pourrait être la puissance de la pression commune des forces européennes opposées à l’austérité ? Évidemment, dans un premier temps, cela va accroître les déficits. Aujourd’hui, leur financement fait déjà appel, en partie, à la création monétaire de la BCE.
L’État émet des titres de créance. Les financiers n’acceptent de les racheter que si l’État se soumet à l’orthodoxie financière et s’il paie des intérêts attractifs. Mais immédiatement, ils ont la possibilité de les revendre à la BCE ou à une banque centrale nationale de la zone euro. C’est ainsi que la Banque de France est devenue le principal détenteur de la dette publique française.
Nous vous proposons d’obtenir les avances de trésorerie nécessaires sans passer par les marchés financiers. Les institutions financières publiques peuvent financer des projets démocratiquement développés pour le développement des services publics. Ils se tourneront alors vers la BCE pour se refinancer à taux zéro. Ce serait la première étape vers la création d’un fonds européen pour le développement des services publics.
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