Plein soleil sur Old Trafford, nuit noire sur United… Ce samedi 27 avril 1974, lors de la dernière journée du championnat anglais, le Diables rouges sont en route vers la D2. En face, l’Ecossais Denis Law, parti de Manchester United au début de la saison 1973-1974, évolue à Manchester City. A l’époque, le derby mancunien n’était pas si fratricide, avec des mouvements de joueurs assez fréquents dans le passé et le présent entre les deux clubs. Denis Law a même débuté en D1 anglaise à City, de 1959 à 1961. Deux saisons avant de s’exiler au Torino et d’atterrir un an plus tard à United… Ce 27 avril, » Homme de loi » (« le juge “, son surnom pour le buteur prolifique de United) se sent pris dans un dilemme inconfortable : « Je ne voulais surtout pas aller à Old Trafford et y gagner le match. il a dit dans Planète Football. De même, je ne voulais pas y aller et perdre. Le déroulement du match me convenait très bien : toujours 0-0 à dix minutes de la fin. » Soixante secondes plus tard, sur une passe de son coéquipier Francis Lee, Law envoie le ballon dans le but de Stepney d’une talonnade bien ronde : 1-0 final ! “C’était horrible”a avoué l’attaquant écossais. Baissant tristement la tête, inconsolable au milieu de ses partenaires venus le féliciter, il reste silencieux, dépassé.
En Angleterre, on dit qu’il fut probablement le tout premier grand joueur à ne pas célébrer un but contre son ancienne équipe. Un mythe tenace faisant de lui le bourreau de son ex-club, bel et bien relégué après cette défaite, aura la vie dure. Tout va mal ! Les autres résultats de cette dernière journée ont condamné United, qui termine finalement avant-dernier. Les supporters de Manchester United n’en ont jamais tenu rigueur à Denis Law, héros éternel, membre de la Sainte Trinité mancunienne vainqueur du Ballon d’Or. C’est l’Ecossais qui a lancé le bal en 1964, avant que Bobby Charlton ne le remporte à son tour en 1966, puis George Best en 1968. Tous trois forment des statues réunies dans la banlieue d’Old Trafford. C’est au cours de ce triste printemps 1974 que Law met fin à sa carrière professionnelle en club à l’âge de 34 ans, juste avant de se rendre avec l’équipe écossaise en Allemagne pour la Coupe du monde en juin. Malgré son immense talent, Denis Law, qui avait failli disputer une première Coupe du monde à 18 ans, en Suède 1958, n’a pas conjuré en 1974 la malédiction de l’élimination dès le premier tour qui a toujours tourmenté l’Ecosse en Coupe du monde. …
Un vrai Ballon d’Or !
La célébrité tout à fait unique de Denis Law est née en 1964 lorsqu’il a remporté le Ballon d’Or de France Football. Premier Ecossais du palmarès, son sacre a surpris du fait que son second, l’Espagnol Luis Suárez (déjà vainqueur en 1960), avait remporté la C1 en 1964 avec l’Inter et l’Euro avec l’Espagne. Oui mais… Un véritable buteur compulsif, au point d’être plus tard surnommé « Dennis Law United “, le gréviste blond avait marqué 46 buts toutes compétitions confondues cette saison, propulsant MU à la deuxième place du championnat anglais derrière Liverpool ! L’année précédente, Denis s’était illustré en inscrivant le premier but de la finale de la FA Cup face à Leicester City (3-0). Sur le plan international, il a contribué au triomphe de l’Écosse au prestigieux Tournoi britannique (le célèbre Championnat britannique à domicile annuel, avec l’Angleterre, le Pays de Galles, l’Irlande du Nord et l’Écosse), un succès ponctué par une victoire 2-1 à Wembley contre le Trois Lions. C’est à partir de ce jour que le jeune Rod Steward, apprenti rock star et apprenti footballeur, fait de Denis Law (et Jim Baxter) ses deux héros de toujours de l’équipe d’Écosse. Plus significatif encore, le 23 octobre 1963 lors d’un match de gala de la FIFA à Wembley, en Angleterre contre le reste du monde (2-1), Denis est sélectionné en équipe du monde aux côtés d’Eusébio et Di Stéfano.
C’est même lui qui a marqué pour les Bleus face aux Blancs. Lorsqu’il remporte le Ballon d’Or 1964, il n’est pas un parfait inconnu distingué par hasard. L’attaquant complet (1,75 m, taille appréciable à l’époque) incarnait le « Force celtique », tous ces joueurs auxiliaires des clubs anglais venus d’Ecosse, du Pays de Galles et d’Irlande et qui leur apportaient sans cesse un supplément d’âme (esprit combatif) et la technicité. Jamais timide des compliments, le roi Pelé déclarait à propos de Denis Law, dans les années 1960, qu’il aurait été l’un des rares Européens dignes d’apparaître dans Sélection… Naturellement facétieux, voire plaisantant, Lawman avait aussi une forte personnalité, souvent en proie à des querelles avec le corps arbitral. Une altercation verbale avec l’arbitre Gilbert Pullin fin 1962 lui vaut une réputation de mouton noir en Angleterre : « Aux yeux de certains arbitres, j’étais une cible ! il a commenté plus tard. Cet incident avec Pullin a sans aucun doute été la cause des punitions incroyablement lourdes que j’ai reçues plus tard dans ma carrière.. » Pas grave ! Il fallait du caractère pour pouvoir jouer dans le grand Manchester United dérivé par le légendaire Matt Busby, l’entraîneur de MU qui l’a fait venir de Turin au printemps 1962.
-Sir Denis Law, gentleman footballeur
La rage de réussir, Denis l’avait certainement puisée dans une enfance très pauvre, cadet d’une famille de sept enfants dont le père, pêcheur d’Aberdeen, avait du mal à nourrir la maison. Atteint d’un strabisme qui le faisait jouer au football avec des lunettes, le fanatique du ballon, pas si maladroit, a la chance d’être engagé en 1955, à l’âge de 15 ans, comme aspirant pro au grand club anglais d’Huddersfield, alors en D2. Une opération corrective des yeux le décomposera à jamais. Après quatre années d’apprentissage et une première sélection écossaise en 1959, c’est le grand saut à Manchester City (enfin, eh bien) en 1960 ! Mais après deux saisons, l’ambitieux Law veut regarder ailleurs. Ce sera à Turin, en Italie, en tant que joueur britannique parmi les précurseurs du Calcio, que son transfert battra le record d’un Joueur britannique (110 000 livres). Mais après une saison de boulon et des rares balles à négocier (1961-1962), c’est donc Matt Busby qui le rapatrie à l’Albion. Symbole de United post-Busby Babes (décimé lors de la catastrophe aérienne de Munich en 1958), Denis Law sera l’un des héros des années de gloire, vainqueur de la FA Cup 1963 et du titre de champion d’Angleterre en 1965 et 1967.
Souffrant déjà de problèmes au genou, il fera malheureusement l’impasse sur la finale victorieuse de “ Ligue des Champions » 1968 (Coupe des Clubs Champions) qu’il regarde pourtant avec joie, à la télévision… En mai 1969, à Amsterdam, un couple d’admirateurs nommé Bergkamp baptise leur fils du prénom « Denis » (mais avec deux N), en l’honneur du crack écossais. Les blessures se faisant plus insistantes, il connaît le lent déclin d’une équipe vieillissante de MU qui entre en vrille après les départs de Sir Matt Busby en 1969, puis fin 1971. Après sa retraite définitive à l’été 1974 avec City rejoint C’est sans conviction qu’en 1973, Dennis Law entame une reconversion professionnelle en tant que consultant TV très apprécié sur diverses chaînes. Sa fille Diana était même employée du service de presse de MU. Avant d’être peu à peu dévoré par la maladie d’Alzheimer, il se consacre également à des œuvres caritatives. Anoblis tout comme Bobby Charlton, ils ressemblaient à des gentlemen à Old Trafford. Anglais » avec une classe propre aux héros du peuple « d’en bas « . Plus gentil et plus accessible que le grand Bob, il a accompagné tous ses anciens coéquipiers de United vers la fin de leur vie, allant jusqu’à veiller sur George Best sur son lit de mort à l’hôpital. Et puis le « Roi » (son surnom) s’en alla à son tour. Rod Steward, avec qui il a passé des moments football & rock mémorables, est inconsolable. Le roi est mort. Vive le roi…
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