Dans ma famille, il y avait quatre enfants. Deux filles et deux garçons. J’ai grandi à Sceaux, une ville plutôt bourgeoise, pas très loin de Paris. J’ai eu une enfance très gâtée, tu sais. Mon père avait une entreprise de vitrines et vitrines, il partait le matin en métro pour se rendre à son atelier dans la capitale. Ma mère ne travaillait pas, mais elle était musicienne, elle chantait et jouait du piano à merveille. À 4 ou 5 ans, je m’asseyais sur ses genoux pendant qu’elle jouait du Schumann ou du Schubert. Vous voyez cette chance… La musique a toujours compté dans ma vie.
Adolescente, j’allais au lycée public près de chez moi mais ma tante Françoise, qui était religieuse à Sainte-Marie de Neuilly, m’a fait venir y suivre des cours et j’ai assisté à la messe. J’étais déjà un connard noir (Sourire)tu sais ce que je faisais ? J’ai mis un foulard rouge vif sur mes cheveux, par provocation. Les sœurs ne disaient rien mais me faisaient sentir leur désapprobation. Par la suite, je suis devenue professeur d’espagnol au lycée, inspirée par un professeur extraordinaire. J’ai une passion pour l’Espagne, j’ai même acheté, plus tard, une petite maison dans un village près de Burgos, en Castille.
« Mon frère a eu une idée : « Avec cet argent, il suffit de créer une fondation. »
À la mort de mes parents, l’héritage a été divisé en quatre. Mais j’ai dit à mes frères et à ma sœur : « Il suffit de diviser en trois, je suis célibataire, je n’ai pas d’enfants, alors que vous avez des familles. » Je n’avais pas l’intention de toucher ma part, je vivais très bien de mon salaire d’enseignant. Honnêtement, je n’avais pas besoin d’une villa sur la Côte d’Azur ! Mais mon frère Jean-Pierre n’était pas d’accord. Il a eu une idée : « Avec cet argent, il suffit de créer une fondation. »
A cette époque, je ne savais pas ce qu’était une fondation. Et puis, le montant de mon héritage n’était pas si élevé, 1.600.000 francs à l’époque (environ 400 000 €, ndlr). Avec ce petit capital, je n’aurais jamais imaginé pouvoir devenir philanthrope ! Ben oui ! Pas besoin d’être riche, ni de s’appeler Madame Chose ou Monsieur Chose. Je suis allé voir la Fondation de France, qui m’a accueilli à bras ouverts. Mon histoire les a intéressés, car elle montrait qu’on peut être « petit », simple professeur, et créer une fondation. Et voilà, c’était parti !
J’ai appelé ma fondation « Les Arts et Autres ». C’était en 1992. Je voulais rendre la musique et le théâtre accessibles à tous : aux enfants des quartiers populaires, aux personnes handicapées, aux migrants, etc. Cette idée remonte à loin. Quand j’étais petite, après la guerre, j’ai participé à la gestion des colonies de L’Haÿ-les-Roses, près de Paris. Les enfants venaient de familles pauvres et je me suis rendu compte d’une chose : chez eux, il n’y avait ni livres, ni instruments, rien. Cela m’avait marqué. Avec ma fondation, j’ai voulu mettre les arts à la portée des plus défavorisés.
« Avec ma fondation, j’ai voulu mettre les arts à la portée des plus défavorisés »
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Et nous avons fait tellement de choses ! Hé, en prison, par exemple. Une de nos idées était de proposer des dictionnaires aux détenus. Tout a commencé à Fleury-Mérogis puis grâce au soutien de Larousse, le projet s’est étendu à une trentaine d’établissements. Comme nous n’avions pas beaucoup d’argent à consacrer à la fondation, nous nous sommes associés à des partenaires. Je me souviendrai toujours d’un prisonnier qui, un jour, s’est jeté dans mes bras. Il ne savait pas vraiment quoi faire avec le dictionnaire, alors je lui ai demandé : « De quel pays venez-vous ? » Nous avons cherché ensemble la bonne page. Il a vu apparaître les photos de sa terre natale… Et là, il s’est jeté dans mes bras. J’ai oublié ce qu’était son pays, mais pas à ce moment-là.
Nous avons également montré des femmes en réinsertion avec le couturier Christian Lacroix. Pas mal, non ? C’était beau : toutes ces femmes précaires qui se retrouvaient d’un coup à l’honneur, chouchoutées, maquillées ! Ils avaient confectionné les vêtements eux-mêmes, c’était une fierté. Et puis bien sûr, la fondation organisait des pièces de théâtre dans les quartiers, des concerts avec de grands pianistes comme Anne Queffélec,… C’était incroyable.
Je n’ai qu’un seul regret. Je ne pouvais pas soutenir SOS Méditerranée. Vous connaissez le bateau qui sauve les migrants en mer. J’avais entendu parler de leur action lors d’une réunion et je me suis dit, ce qu’ils font est génial, je vais les aider ! Mais quand j’en ai parlé à la Fondation de France, ils m’ont dit : « Madame, où sont les arts là-dedans ? » Waouh, je n’ai pas aimé du tout ! J’ai été en colère contre eux pendant au moins huit jours !
«C’est le patrimoine partagé. Je n’avais pas d’enfants, mais j’ai rencontré des gens, j’ai eu une belle vie”
Mais à part ça, je me suis éclaté. J’ai un tempérament heureux et cette fondation m’a beaucoup apporté, j’ai eu énormément de chance. C’est un patrimoine partagé. Je n’avais pas d’enfants, mais j’ai rencontré beaucoup de gens, j’étais entouré de gens, j’avais une belle vie. C’est plus difficile maintenant, à 90 ans. (Silence.)
Vous voyez, ce qui est décevant, c’est que je ne vois plus personne. Même mes voisins ne viennent pas. Par exemple, il manque une ampoule au plafonnier. Quand je rencontre mon voisin, je lui demande s’il peut venir la changer, mais il ne vient pas. Même mes neveux ne viennent pas beaucoup. Pour les gens, je suis devenue la vieille dame du bout du couloir. Hé, tu sais quoi ? Une association de tantes oubliées devrait être créée. Ben oui, aujourd’hui on s’occupe des parents, des pauvres, des malades… Mais on ne s’occupe pas des tantes oubliées.
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