«On abuse de l’alarmisme : on est en moyenne sur des années « normales » 2017-2021», prévient Anne-Sophie Corbeau, chercheuse spécialisée dans le gaz au Center on Global Energy Policy de l’université de Columbia, rappelant la douceur exceptionnelle des deux derniers hivers. Le taux de remplissage des valeurs européennes, à 65%, est correct dans la moyenne de la période. Entre 2011 et 2021, les stocks français étaient pleins à 56% en moyenne à la mi-janvier, confirme notre baromètre.
Froid et pas de vent
«Il n’y a pas d’inquiétude particulière pour cet hiver, mais il y a de réelles raisons de s’inquiéter pour le prochain.», juge Armelle Lecarpentier, chef économiste chez Cedigaz, association administrée par IFP Energie Nouvelle. Avant l’hiver 2024, les grandes poches souterraines dans lesquelles l’Europe réserve du gaz naturel – indispensable au chauffage des particuliers, mais aussi des fours industriels – étaient quasiment pleines. « Depuis fin novembre, nous puisons massivement dans nos stocks : le niveau de retrait est au plus haut depuis 2016-2017», explains Armelle Lecarpentier. “Ceci est lié à des températures bien plus froides que ce que nous avons connu récemment, ainsi qu’à la faiblesse du vent et donc de la production éolienne, poursuit l’expert. Cela a accru la demande du secteur électrique, avec une augmentation de 9 % de la demande européenne de gaz au dernier trimestre 2024 par rapport à l’année précédente.».
À ces tensions s’ajoute un marché du gaz naturel liquéfié (GNL) tendu. Ultra-réfrigéré pour être transporté dans des navires méthaniers, le GNL peut atteindre les quatre coins de la planète, et avait déjà sauvé le continent européen lors de la crise énergétique. Mais il s’agit d’un marché concurrentiel, et la demande accrue des acteurs asiatiques, comme l’Inde ou le Japon, met la pression et a conduit l’Europe à réduire légèrement ses importations fin 2024… La hausse des prix début 2025 a c’est également une conséquence de la volonté de faire de l’Europe un client attractif. Avec succès : le GNL américain, qui représente déjà près de la moitié des approvisionnements européens, tend à se déplacer davantage vers l’Europe début 2025, constatent les observateurs du marché. Et les flux en provenance des Etats-Unis sont dopés par la mise en service ces dernières semaines de deux nouvelles usines de liquéfaction (Plaquemines et Corpus Christi 3).
Arrêter le transit du gaz russe via l’Ukraine
Faut-il s’inquiéter ? Si les températures restent froides, les stocks européens sortiront de la période hivernale remplis à 35 %, estime Armelle Lecarpentier. Un niveau faible, mais qui laisse de la place. C’est alors que viendra le véritable défi, celui de reconstituer les réserves en prévision de l’hiver prochain. “Nous ne nous dirigeons pas vers une crise du gaz, mais l’hiver 2025-2026 sera sans doute plus tendu que cette année »a résumé Jean-Pierre Clamadieu, le président du conseil d’administration d’Engie, interrogé à l’occasion des vœux de l’énergéticien. “Nous risquons de terminer l’hiver 2024-2025 avec des niveaux de stockage inférieurs à ceux de l’année dernière et un certain nombre de projets de production de GNL sont en retard», explique-t-il sans tirer la sonnette d’alarme. Les trains de liquéfaction en construction aux États-Unis et au Qatar devraient apporter de la flexibilité au marché du GNL et simplifier l’équation à partir de 2027.
-À court terme, l’arrêt du transit du gaz russe via l’Ukraine depuis le 1er janvier complique également la situation. Cette décision était attendue, mais se traduit par une réorientation d’une partie des flux de gaz naturel vers l’Europe de l’Est, et la perte d’un approvisionnement d’environ 15 milliards de mètres cubes par an (soit 5% de la consommation du continent) ! Malgré son ambition affichée de se sevrer du gaz russe d’ici 2027, l’Europe continue de s’approvisionner par gazoduc via la Turquie, et surtout d’acheter de grandes quantités de GNL russe (23 milliards de mètres) à bon prix. cubes en 2024, selon Cedigaz)…
Vers une hausse des prix en 2025
«Il va falloir se réapprovisionner massivement malgré la perte des approvisionnements en gaz russe via l’Ukraine, cela se reflète dans la hausse des prix», décrypte Armelle Lecarpentier. Alors que le prix moyen s’élevait à 34 €/MWh en 2024, les estimations pour 2025 se situent entre 39 € et 47 €/MWh, selon les scénarios et les sources révèle l’expert, qui souligne le poids de «incertitudes géopolitiques» et le «forte volatilité du marché».
De quoi donner quelques cheveux gris aux acheteurs de gaz fossile tout au long de l’année 2025, qui suivront de près chaque incident survenu sur le marché. Le spectre d’une explosion des prix similaire à celle de 2022 reste cependant très lointain. Grâce aux approvisionnements via les gazoducs norvégiens et les méthaniers américains, les prix ne devraient pas dépasser la barre des 50 €/MWh, estime Armelle Lecarpentier. Comme symbole : l’Union européenne envisage de mettre fin fin janvier au mécanisme de plafonnement des prix du gaz naturel qu’elle avait introduit en février 2023, après la crise. Prévu pour entrer en vigueur à partir de 180€/Mwh, il n’a pas été déclenché.
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