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la mort du « beau cinglé » du cinéma

Ce jeudi 16 janvier, on a appris le décès du réalisateur, acteur et musicien américain David Lynch. En dix longs métrages et une série mythique, le cinéaste nous entraîne sur des autoroutes perdues à la dérive vers un empire intérieur. Impair ? Sans aucun doute. Unique ? Sans le moindre.

C’est étrange. David Lynch est mort. Les notifications sont formelles, elles viennent de partout, de BFMTV à New York Times et tous répètent la même chose : David Lynch est mort. L’AFP aussi. Et c’est difficile à croire. C’est un sentiment insaisissable, sourd, irréel car presque trop fort. Bien sûr, il était malade, bien sûr, d’après les archives, il était vieux – il est né le 20 janvier 1946 dans le Montana, alors vous devinez. Mais ça ne veut rien dire, c’était Lynch. À tel point que nous, journalistes parfois paresseux, l’avons transformé en adjectif de son vivant.

Un univers est désormais « lynchien », comme une épopée est « homérique », l’horreur « dantesque », et bien sûr un dilemme « cornélien ». Un adjectif facile pour qui veut s’éviter le travail de définition et qui connaît le nom assez puissant pour évoquer tout un monde et ses étoiles, quand les mots s’échappent, perdent leurs contours. Peut-être leur nécessité.

« Lynchienne », donc, pour exprimer à la fois l’étrangeté familière et le quotidien inquiétant, la noirceur et la candeur, la « loge noire » de Pics jumeaux et son dîner. Révélé par son cinéma comme par une lampe magique.

Nouvelle langue

De David Lynch, on n’oubliera rien. Aucun de ses dix longs métrages, depuis Tête de gomme en 1977 jusqu’à Empire intérieurtrente ans plus tard, et surtout pas cette série citée quelques lignes plus haut, qui, à l’aube des années 1990, s’adressait au grand public de la télévision dans un langage nouveau, avec la politesse de le faire dans la grammaire que l’on connaît. On n’oubliera pas non plus le musicien, en compagnie d’Angelo Badalamenti ou en solo, composant pour Julee Cruise ou autres. On n’oubliera même pas Sting en slip dans sa version de Dunec’est ce que tu dis.

Depuis vingt ans et la sortie deEmpire intérieurDavid Lynch s’était fait rare, il est vrai, presque invisible. Oui, nous avions vu la troisième saison de Pics jumeaux en 2017 et ses 18 épisodes, tellement attachants et tellement frustrants et on n’était pas sûr de l’aimer. Et puis, elle n’avait jamais cessé de nous traverser l’esprit alors nous avons décidé que oui, nous l’aimions bien. Mais c’est un fait – et les faits sont têtus, même pour Lynch on l’imagine – il s’était éloigné des écrans, c’est-à-dire de nous. Les images tremblent un peu en mémoire. Nous leur pardonnons, c’est ainsi qu’ils ont trouvé pour rester pour toujours.

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Quelques photos

Il y a ces chaussettes sur le radiateur Tête de gomme. L’humiliation de John Merrick, le célèbre Homme éléphantsoulevé sur sa chaise par la foule moqueuse dans une scène qui nous a fait pleurer comme peu d’autres. Cette oreille coupée, arrachée à un terrain vague, et qui nous parle justement parce qu’elle n’entend plus dans Velours bleu. Et dans le même film, le dos blanc d’Isabelle Rosselini, la lumière bleue sur son visage. Les dents remplies de gencives de Willem « Bobby Peru » Dafoe dans Marin et Lula. Promenade Mulholland et sa symphonie de cauchemar, jusqu’à ce qu’il s’évanouisse quand elle se réalise au coin d’une rue.

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Et surtout, surtout, cet homme si pâle en pleine soirée qui semble abolir à jamais la possibilité de toute certitude avec un coup de téléphone en Autoroute perdue.

Dans la nuit, une chanson glisse sur quelques notes de piano et quelques fioritures. Elle nous fait remarquer : « Le cola a un goût amer « . C’est Le beau cinglépar Christophe. Et il a raison, Christophe.

 
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