Primé en 1990 à Cannes pour “Sailor et Lula”, le cinéaste américain est décédé ce jeudi 16 janvier à l’âge de 78 ans. De “Twin Peaks” à “Mulholland Drive”, il a irrévocablement marqué le septième art de son empreinte culte. et un travail sans précédent. En dix films, retour sur la filmographie de l’artiste.
Tête de gomme (1977)
Chairs gonflées, cheveux hirsutes, rideau de velours (déjà), briques en lambeaux… Monstruosité hypertexturée, nourrie de grondements métalliques comme de sons synthétiques, le premier long métrage de David Lynch fait bouillir les matières dans une transe kafkaïenne empruntant aux surréalistes comme aux expressionnistes. Sans ressembler à rien de connu, hormis les peintures de Lynch. Un no man’s land industriel fait de mutants chanteurs («Au paradis tout va bien»), de poulet bilieux, de voyage dans l’espace. Un choc esthétique.
Le Londres victorien dessiné dans les noirs et blancs les plus purs, les plus profonds pour raconter la vie de John Merrick, un monstre au visage difforme exhibé dans un cirque, pris en main par le chirurgien Frederick Treves qui découvrira en Merrick un être sensible et sophistiqué. Adaptation libre de la vie de Joseph Merrick et clé de l’immense champ d’exploration qui deviendra l’œuvre de David Lynch, premier grand pas et vers le grand public que l’on doit à Mel Brooks, clown superlatif et producteur inspiré, enthousiaste et aventureux. .
La gigantesque pétaudière est passée entre plusieurs mains (notamment celle d’Alejandro Jodorowsky) avant d’être récupérée par le producteur Dino de Laurentiis qui l’a confiée à Lynch, Dune n’est pas le blockbuster attendu. Tout en étant critiqué pour avoir condensé à l’extrême la saga de Frank Herbert, Lynch crée un space opera lent, moins intéressé par l’espace et les étendues désertes d’Arrakis que par ce qui s’y passe. Les décors baroques délirants, et les errances intérieures de Paul (Kyle MacLachlan, qu’il retrouvera sur Velours bleu et Pics jumeaux). Échec commercial retentissant. Un vilain petit canard que l’on aime beaucoup ; presque autant que la critique meurtrière et brillante alors publiée dans Libé.
Les clôtures soignées des banlieues, la pelouse bien tondue, les rues et ruelles immaculées – et derrière eux, l’horreur qui couve, secrète et indescriptible. L’étudiant Jeffrey Beaumont rentre chez lui en Caroline du Nord après que son père ait subi une crise cardiaque. En rentrant de l’hôpital, il trouve dans un terrain vague une oreille humaine coupée qui le plonge dans le cœur ombragé de la petite ville, nourri de sexe, de violence, de drogue, de sadomasochisme, de kidnapping, de pendaisons de velours et de bluettes amoureuses.
L’histoire d’amour picaresque, sanglante et sensuelle, entre Sailor (Nicolas Cage), petit tube romantique, et Lula (Laura Dern), fiancée électrique, activement recherchée par sa mère, qui a lancé des tueurs brisés après le couple aux pratiques vaudou. Au cœur d’un monde infernal et ravagé, Lynch raconte la possibilité d’être non seulement heureux, mais disproportionné, passionnément, exagérément heureux. Un conte de fées plein de crânes qui explosent, de dents pourries, de rock’n’roll et de câlins sauvages. Palme d’Or à Cannes 1990.
Twin Pea s : Fire Walk With Me (1992)
Vendu en annexe de la série Pics jumeaux, dont il prétendait révéler les multiples mystères restés non résolus au terme de deux saisons télévisées, Marche de feu avec moi proposait en fait exactement le contraire : une descente vertigineuse, indicible et éprouvante au cœur de la vérité, dans ses couches profondes et inaccessibles. Si Homme éléphant est le film qui a ouvert Lynch au grand public, Marche de feu avec moi est celui qui a jeté tout le monde, sans ménagement, dans un grand gouffre de flammes.
D’une sombre histoire de chantage à la vidéo volée, de menace par l’image filmée, Lynch dessine un faux film noir aux blondes et brunes en miroir, un film occulte jusqu’à l’abstraction, où le regard chirurgical du cinéaste sur des objets ou des lieux banals (une banale cour d’un restaurant de Los Angeles) semble capable de transformer la nature même des choses, au point de les rendre étrangères et terrifiantes. Comme ces personnages réduits à l’état de signes ou cet Hollywood rongé de l’intérieur. Un labyrinthe schizophrénique, déchiré en son milieu, porté par la bande originale d’Angelo Badalamenti et le spectre dérangé de David Bowie. L’aboutissement d’un chemin commencé vingt ans plus tôt avec le bébé monstre Tête de gomme. Un chef-d’œuvre.
Lorsqu’il apprend que son frère Lyle, qui vit reclus et à qui il n’a pas parlé depuis des années, a subi une crise cardiaque, Alvin Straight décide de lui rendre visite. Vieilli et affaibli, il ne sait plus conduire et se lance dans ce périple de près de 400 kilomètres entre l’Iowa et le Wisconsin au volant d’une… tondeuse à gazon automotrice. Film clair, léger, comme allégé, d’une telle simplicité qu’à sa sortie, il a complètement décontenancé les fans du réalisateur.
Une jeune actrice arrive à Hollywood pour faire sa marque et sombre peu à peu dans un rêve cauchemardesque aux ramifications tentaculaires. Avec Promenade MulhollandLynch pénètre dans les territoires les plus aboutis et les plus reculés de sa vision, celui où les repères disparaissent, où les derniers repères s’effacent. Un film qui n’est pas fait pour être vu mais revu, revisité, sans cesse. A chaque nouveau visionnage, les pulsations s’intensifient, les murmures deviennent plus clairs, les atours plus intimes. Film à sensation, film somme. Une référence indépassable pour beaucoup aussi.
Derrière le rideau de velours, sous la pelouse tondue, après les braseros, au bout de l’autoroute perdue, que reste-t-il ? Un tunnel long, impitoyable et froid. Où une actrice – encore une fois – auditionne pour obtenir un rôle. Où un hypnotiseur tue avec un tournevis. Où les prostituées parcourent la Pologne dans les années 1930. Où les lapins parlent un langage indéchiffrable. Où vous devrez avancer comme dans un blizzard, prêt à vous battre. Pas un film, un cri. Effrayant. Capturé dans l’obscurité d’un espace sans fin.
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