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1,5°C de plus au thermomètre en 2024 : quels enseignements tirer ?

Le service Copernicus et d’autres centres mondiaux d’observation de la température viennent de le confirmer. 2024 est en effet l’année la plus chaude jamais enregistrée. Ce qui n’était qu’une anticipation est devenu réalité : l’augmentation de la température mondiale par rapport à l’ère préindustrielle dépassera légèrement 1,5°C en 2024.

Chiffres clés 2024 pour le climat, selon les dernières observations du service européen Copernicus.C3S/CEPMMT/ERA5

Il serait cependant erroné de conclure, sur la base de l’observation d’une seule année, que le monde a dépassé l’objectif de 1,5°C fixé par l’Accord de Paris. La cause n’est pas l’incertitude des mesures, qui sont actuellement d’excellente qualité, mais la variabilité à court terme du climat.

D’une année à l’autre, la température moyenne fluctue en fonction de multiples paramètres. C’est pourquoi le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) recommande d’utiliser un indicateur basé sur des périodes décennales pour juger du niveau de réchauffement climatique.

Dans tous les cas, il est crucial de comprendre les raisons de ce pic de température : les actions à mener face au réchauffement climatique en dépendent.

Comment mesure-t-on la hausse des températures ?

Dans son article 2, l’accord de Paris engage la communauté internationale à limiter le réchauffement par rapport à l’ère préindustrielle » nettement en dessous de 2°C ” et ” continuer l’action » pour atteindre l’objectif de 1,5°C. Il n’indique cependant pas quel indicateur utiliser pour se positionner par rapport aux objectifs.

Pour évaluer le réchauffement climatique, l’Organisation météorologique mondiale (OMM), une agence des Nations Unies basée à Genève, utilise les informations de six organisations disposant de systèmes d’observation et de bases de données historiques sur les températures mondiales.

  • Trois sont basées aux Etats-Unis : l’agence publique NOOA chargée d’observer les océans et l’atmosphère, le GISS qui dépend de la NASA et Berkeley Earth, une association de scientifiques à but non lucratif.
  • Au Japon, la base de données JRA-55 est gérée par le Service météorologique national, tout comme la base de données HadCRUT5 du Hadley Center au Royaume-Uni.
  • Enfin, le programme européen Copernicus gère la base de données ERA5.

Sur la période la plus récente, la dispersion des estimations de la température moyenne mondiale est très faible, mais elle augmente à mesure que l’on remonte dans le temps. Dans les périodes passées, nous avions en effet beaucoup moins d’observations, qui n’avaient ni la précision ni la fiabilité de celles fournies aujourd’hui par les satellites.

Cela pose la question de la référence historique à prendre en compte pour calculer le réchauffement par rapport à l’ère préindustrielle. Face à ce problème, le GIEC recommande de considérer la période 1850-1900 comme « procuration » pour représenter la période préindustrielle.

Dans son 6e rapport d’évaluation(1)il estime la hausse des températures à 1,1°C entre 1850-1900 et la décennie 2010. Ce chiffre a été actualisé à 1,2°C pour la décennie 2014-2023 dans l’étude Indicateurs du changement climatique mondial 2023(2).

Réchauffement climatique par rapport à la période de référence 1850-1900.OMM, Fourni par l’auteur

L’OMM reprend ce travail pour consolider les observations fournies par les six centres de recherche, lui permettant de produire l’estimation de référence pour chaque année. L’estimation pour 2024, qui fait suite au record mondial de chaleur de 2023, montre un pic sur la courbe de température globale sans pratiquement aucun équivalent dans le passé.

Sur quelle tendance sommes-nous ?

Pour juger si l’objectif de 1,5°C a été atteint, le GIEC recommande d’utiliser des moyennes décennales plutôt que des moyennes annuelles. Une façon de suivre cette recommandation serait d’attendre de connaître les températures de la décennie 2024-2033 pour interpréter, a posteriori, le résultat de l’année 2024. C’est une méthode sans risque, mais peu utile pour orienter le climat. action.

Une autre voie consiste à identifier les facteurs structurels qui conditionnent l’évolution tendancielle des températures, au-delà de leurs oscillations à court terme.

Dans son bulletin provisoire sur l’état du climat en 2024(3)l’OMM recommande, pour y parvenir, de combiner les travaux des scientifiques utilisant des modèles climatiques et l’identification des facteurs anthropiques de réchauffement avec l’approche statistique.

L’approche statistique consiste à identifier, à partir des données historiques de température, des tendances qui gomment les effets de la variabilité climatique à court terme. Selon un modèle linéaire, cette tendance prend la forme d’une droite autour de laquelle oscilleront les observations annuelles.

Au cours du 20e siècle, l’augmentation de la température moyenne n’a pas été continue. En raison de ces discontinuités, les tendances pouvant être calculées sur le très long terme ne sont pas statistiquement significatives. En revanche, la méthode statistique s’avère plus robuste pour la période commençant en 1950. Nous l’avons appliquée à quatre sous-périodes commençant respectivement en 1950, 1970, 1990 et 2005.

Met Office/calculs de l’auteur, Fourni par l’auteur

L’ajustement statistiquement le plus significatif (voir les coefficients dans le tableau) concerne la période de 1970 à 2024. Sur cette période, le réchauffement augmente de 0,2°C par décennie. Si la tendance se poursuit, l’objectif de 1,5°C sera atteint en 2034. Le pic de température en 2024 est donc nettement supérieur à la tendance au réchauffement, qui n’est que de 1,3°C en 2024.

Mais cette interprétation doit être confrontée à un autre résultat intrigant de la méthode statistique : la tendance au réchauffement semble s’accélérer avec le temps.

En appliquant la même méthode statistique à la période 1990 à 2024, la tendance au réchauffement passe de 0,2°C à 0,23°C par décennie et même à 0,29°C sur les vingt dernières années. Si cette tendance de 0,29°C se poursuivait, la limite des 1,5°C serait alors atteinte en 2029. Autrement dit : demain !

Augmentation des températures moyennes dans le monde par rapport aux années 1850-1900.Centre Hadley, Fourni par l’auteur

Au total, la méthode statistique écarte l’idée que nous soyons déjà entrés dans un climat où le réchauffement dépasse 1,5°C, malgré le pic de température observé en 2024. Elle nous alerte cependant sur la proximité de l’atteinte de cette limite.

Les observations historiques laissent enfin planer le doute sur la tendance récente au réchauffement, qui pourrait s’accélérer. Est-ce vraiment le cas ?

Pour y voir plus clair, il convient de compléter la méthode statistique par des analyses de climatologues, comme le préconise l’OMM.

D’où vient le pic de température ?

L’un des principaux facteurs de variabilité climatique à court terme est le mécanisme « d’oscillation australe » qui voit se succéder des épisodes dits « El Niño » qui accentuent le réchauffement et des épisodes « La Niña » qui agissent en sens inverse. .

Ce mécanisme s’est joué en 2023 et 2024. Un épisode El Niño est apparu au printemps 2023, pour s’affaiblir progressivement à partir de la fin de l’hiver 2024. De moindre intensité que celui qui a contribué au record de température de 2016, cet épisode ne permet pas, à lui seul, expliquer le pic de températures des deux dernières années, selon l’analyse de la majorité des climatologues. Il faut donc chercher d’autres explications.

Émissions de CO2 sont dans une phase de nette décélération depuis une quinzaine d’années, sans rebond observé en 2024. S’ils restent le premier facteur de réchauffement d’origine anthropique, ils ne peuvent avoir contribué à l’emballement du thermomètre ces dernières années.

En revanche, les rejets d’aérosols soufrés ont probablement joué un rôle important. Le rejet de ces polluants à court temps de séjour dans l’atmosphère refroidit la planète. Cependant, le renforcement des réglementations – principalement sur le transport maritime international et les centrales thermiques en Chine – a permis de réduire ces émissions. Ce déclin contribue à un réchauffement à court terme, dans des proportions qui font débat parmi les scientifiques.

Un autre facteur explicatif réside dans les rétroactions climatiques. Dans son analyse d’octobre 2024(4)l’OMM souligne que le stock atmosphérique de CO2 continue de croître à un rythme inchangé tandis que ses émissions ralentissent. Elle attribue cette discordance à l’affaiblissement des puits de carbone provoqué par le réchauffement : sécheresses, augmentation des maladies et de la mortalité des arbres, propagation des incendies de forêt, etc.

Des rétroactions climatiques sont également à craindre du côté du méthane. En raison de l’augmentation très rapide de son stock atmosphérique, la contribution du méthane au réchauffement a augmenté sur la période récente, rappelle l’OMM. Cependant, l’augmentation de son stock ne peut s’expliquer uniquement par les émissions anthropiques. Elle est amplifiée par le réchauffement qui accentue la production de méthane dans les zones humides et risque d’accélérer celle provoquée par la fonte du permafrost.

Un facteur supplémentaire est la réduction des émissions d’oxydes d’azote, un polluant dangereux pour la santé mais qui, une fois dans l’atmosphère, accélère la destruction du méthane.

Implications pour l’action climatique

Si le pic de température de 2024 ne nous a pas amené à dépasser l’objectif de 1,5°C, l’analyse de ses causes est utile pour renforcer l’action face au réchauffement climatique. Accélérer la réduction des émissions de CO2 reste la première priorité, mais cela ne suffira pas. Il faut également agir sur les autres facteurs à l’origine de la récente hausse du thermomètre.

Les stratégies d’atténuation doivent mieux prendre en compte toutes les émissions atmosphériques et leurs interactions complexes. Réduire les rejets d’aérosols et d’oxydes d’azote est une priorité sanitaire, mais cela contribue aussi à… réchauffer la planète à court terme.

Pour atténuer ce réchauffement indirect, l’un des moyens les plus sûrs consiste à agir sur les émissions de méthane, dont la réduction provoquerait un effet de refroidissement rapide. Ceci est d’ailleurs écrit intégralement dans le « Résumé pour les décideurs » sur 6e Rapport du GIEC(5) :

Réductions fortes, rapides et durables des émissions de CH4 limiterait également l’effet de réchauffement résultant de la réduction de la pollution par les aérosols.

Autre implication : la prise en compte des rétroactions climatiques. En effet, le réchauffement ralentit l’action des puits naturels de carbone et peut même les transformer en sources d’émissions supplémentaires (par exemple via les incendies de forêts ou le dépérissement des arbres). Elle intensifie également les rejets de méthane des milieux naturels.

La prise en compte de ces rétroactions climatiques rend quelque peu obsolète la distinction traditionnelle entre atténuation et adaptation au changement climatique. Protéger les puits naturels de carbone passe donc par adapter les systèmes agricoles et forestiers au réchauffement pour renforcer leur résilience et augmenter leur capacité à absorber le carbone de l’atmosphère et à le stocker durablement.

Sans de telles adaptations des activités basées sur l’utilisation du « carbone vivant », les réductions des émissions de « carbone fossile » ne suffiront pas à elles seules à nous remettre sur la bonne voie avec des scénarios en ligne avec les objectifs d’atténuation de l’accord. de Paris.

 
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