« J’ai écrit dans mon premier livre que les combats extrêmes du 21e sièclee Le siècle était entre désinformation et information. Je peux vous dire que cette semaine, la désinformation a pris une sacrée avance. »
Publié à 6h00
Alain Saulnier, ancien directeur du service de l’information à -, digère mal le changement d’approche en matière de modération des contenus qui vient d’être annoncé par Mark Zuckerberg.
Il y a quelques jours, le PDG de Meta a annoncé qu’il allait supprimer le fact-checking sur Facebook, à commencer par les États-Unis. Elle sera remplacée par des « notes communautaires ».
Elle s’inspire ainsi de ce que fait Elon Musk sur son réseau – une approche controversée, car beaucoup moins efficace.
Le résultat ? « Nous ouvrons les vannes à une désinformation infinie. Il n’y a plus de limites. Il n’y a plus d’encadrement», explique Alain Saulnier.
Ce qui me semble d’autant plus inquiétant que le PDG de Meta a également annoncé que les contenus politiques seraient désormais davantage priorisés par les algorithmes de Facebook.
Entre autres changements troublants, les lignes directrices sur les « conduites haineuses » ont été modifiées pour autoriser « les allégations de maladie mentale ou d’anomalies fondées sur le sexe ou l’orientation sexuelle ».
Voir Mark Zuckerberg annoncer des changements dans la modération du contenu
J’ai demandé un entretien avec Alain Saulnier dans la foulée de l’annonce de Mark Zuckerberg, mais aussi en raison des récentes frasques d’Elon Musk.
Il y a quelques semaines, le journaliste publiait un deuxième essai en trois ans sur les géants du numérique1. Il rappelle notamment que « ce sont les réseaux de ces nouveaux super riches qui alimentent abondamment mensonges et désinformation tout en propageant la haine » dans nos sociétés.
Elon Musk le fait lui-même, ces jours-ci, avec beaucoup d’enthousiasme.
Il a par exemple insulté les dirigeants de certaines démocraties occidentales (dont Justin Trudeau) et soutenu que le Premier ministre britannique, Keir Starmer, devrait être mis derrière les barreaux.
Il affiche également son soutien au parti d’extrême droite allemand AfD, répétant que ce dernier est le seul à « pouvoir sauver » le pays. Il a même mis en avant la leader de ce parti, Alice Weidel, en l’interviewant sur X.
Il a des ambitions gigantesques car il veut changer le cours des choses, et pas seulement aux Etats-Unis. C’est la première fois dans l’histoire que l’homme le plus riche de la planète tente d’imposer ses vues un peu partout.
Alain Saulnier
Des opinions qui rejoignent celles de la « nouvelle internationale réactionnaire », résumait début janvier le président français Emmanuel Macron.
« Musk est quelqu’un d’ultra-droite. C’est un libertaire, c’est quelqu’un qui ne veut aucune forme de régulation. […] Donc moins il y a d’État, mieux c’est », explique Alain Saulnier.
Selon lui, l’entrepreneur est « un personnage dangereux pour la démocratie », d’autant qu’il prône l’absolutisme en matière de liberté d’expression.
« Il affirme être favorable à la liberté d’expression la plus large possible. Mais la liberté d’expression dont il parle est la liberté de mentir. Et il n’existe aucune forme de supervision ou de réglementation qui empêche ce mensonge de se propager. »
Cette définition de la liberté d’expression qui s’impose à X depuis qu’Elon Musk l’a acquise est aussi celle à laquelle semble désormais souscrire Mark Zuckerberg, pour Facebook.
Qu’est-ce qui a pu pousser Mark Zuckerberg à changer de cap ? La réponse, nous en convenons, tient en deux mots : Donald Trump.
Ce dernier n’a jamais tenu dans son cœur le PDG de Meta et a même menacé, l’année dernière, de le mettre en prison pour le reste de ses jours.
Les deux hommes auraient-ils fait la paix lors d’un dîner ensemble à Mar-a-Lago, quelques semaines après la deuxième victoire de l’homme politique républicain ?
«Je pense qu’il a fait son mea culpa», a déclaré Alain Saulnier. Il a probablement aussi dit à Trump toutes les bonnes choses qu’il pensait de lui à partir de maintenant. Comme Jeff Bezos l’a fait. »
Car le fondateur d’Amazon, qui est également propriétaire de Washington Postdonne aussi l’impression de s’incliner devant Donald Trump depuis plusieurs mois.
Rappelons qu’en octobre dernier, le prestigieux quotidien avait décidé de ne soutenir (éditorialement) aucun candidat à l’élection présidentielle pour la première fois depuis 36 ans.
Par ailleurs, le 4 janvier, Ann Telnaes, caricaturiste publiant dans le quotidien, a démissionné après avoir appris que son dessin ne serait pas publié. On y a notamment vu Mark Zuckerberg et Jeff Bezos, avec des sacs d’argent en guise d’offrandes, s’incliner devant une immense statue de Trump.
À la même époque, on apprenait qu’Amazon avait offert 40 millions de dollars pour les droits d’un documentaire sur Melania Trump.
“Hier, je me suis désabonné de Washington Post en réaction à ce qui s’est passé avec cette caricature et à ce qu’a fait Bezos lors de la campagne électorale américaine », indique Alain Saulnier.
Le moment est venu, selon lui, de tenir tête à ces géants qui pratiquent le « colonialisme numérique » et tentent de nous imposer leur modèle.
Cela passe entre autres par le travail de nos élus – notamment en mettant en place des instances de régulation qui permettront de mieux encadrer les nouvelles plateformes.
Les journalistes doivent aussi continuer à faire leur travail… mieux, ajoute Alain Saulnier.
“Laissons-les le faire d’une manière encore plus expérimentée, avec plus de connaissances, d’expertise et de profondeur”, a-t-il déclaré. Nous devons être capables de faire davantage de journalisme d’investigation, d’analyse et de perspective. Et faites un peu plus d’histoire pour que les gens comprennent ce qui se passe. »
Et ainsi expliquer, entre autres, comment et pourquoi « nous sommes dans une époque étrange où la démocratie se perd et où des multimilliardaires tentent de dicter leur vision libertaire des choses ».
1. Faire face aux géants du web : une revendication démocratiquepublished by Éditions Écosociété (2024)
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