L’espérance de vie ne cesse d’augmenter en Belgique. Il en va de même pour l’espérance de vie en bonne santé, quoique dans une moindre mesure. Un argument en faveur du recul de l’âge de la retraite ?
Ne touchez pas à la pension ! C’est ce qu’ont scandé les 30.000 manifestants dans les rues du centre de Bruxelles ce lundi. Dans le viseur des syndicats, réunis en front commun, les projets de réforme des retraites sont dans les cartons de la future (probable ?) coalition de l’Arizona. Rien de concret pour l’instant, puisque des formations fédérales sont toujours souhaitées, mais le mot d’ordre serait l’économie. Les cheminots, policiers, militaires et autres bénéficiaires d’un régime préférentiel sont les plus inquiets.
La Belgique ne fait pas exception à la tendance européenne en matière de système de retraite avec l’idée qu’il faut allonger la durée de carrière pour compenser le vieillissement de la population. Début 2023, les personnes âgées de 65 ans et plus représentaient près de 20% de la population belge, et le Bureau fédéral du Plan prévoit que cette proportion dépassera 25% d’ici 2050. L’âge légal de la retraite est donc désormais prolongé à 66 ans depuis ce 1est janvier 2025contre 65 ans auparavant, elle sera encore repoussée à 67 ans en 2030. Toutefois, certains travailleurs ont le droit de partir dès 55 ans, à condition d’avoir un nombre d’années de carrière suffisant, compte tenu du caractère « pénible » de leur métier.
À l’heure où l’espérance de vie ne cesse d’augmenter, est-il pertinent de travailler plus longtemps ? Chaque année depuis les années 1970, les Belges ont gagné deux à trois mois d’espérance de vie, rapportait Thierry Eggerickx, chercheur principal et professeur au Centre de recherche en démographie de l’UCLouvain dans un précédent article du Vif. Selon Statbel, un homme né cette année peut espérer vivre en moyenne 80,6 ans, contre 72,9 ans en 1992, et une femme 84,7 ans, contre 79,7 ans il y a 33 ans.
Cependant, vieillesse ne rime pas toujours avec forme physique. L’espérance de vie en bonne santé à la naissance était de 62,5 ans pour les hommes et les femmes réunis en 2005, en 2021 elle est passée à 64,6 ans. Pas très rassurant. Mais en zoomant, à l’heure actuelle, un Belge de 65 ans a une espérance de vie d’environ 20 ans, mais une espérance de vie en bonne santé d’une dizaine d’années.
En démographie, deux théories s’affrontent, explique Vincent Lorant, professeur de sociologie de la santé à l’UCLouvain. La théorie de la compression de la morbidité affirme qu’à mesure que l’espérance de vie augmente, l’invalidité physique ou mentale survient de plus en plus tard chez les personnes âgées. Au contraire, la théorie de l’expansion soutient que l’augmentation de l’espérance de vie va de pair avec la maladie. En Belgique, il semble que la population penche en faveur de la théorie de la compression : « Des années supplémentaires de vie riment avec en bonne santéplus pour la population instruite, et plus pour les femmes que pour les hommes », précise le sociologue.
« Jusqu’à 70 ans, il n’y a pas d’incapacité physique radicale de travailler », estime Vincent Vandenberghe, professeur d’économie à l’UCLouvain. Dans les années 1970, les travailleurs quittaient le marché du travail à des âges beaucoup plus élevés, alors que l’espérance de vie était plus faible. La Belgique est l’un des pays qui sont allés le plus loin dans la réduction des carrières, en vue de réduire le chômage. C’est donc difficile d’y retourner aujourd’hui».
Le retour à une carrière professionnelle plus longue est une question politique. Certains pays, comme le Danemark ou les Pays-Bas, font cela : l’âge de la retraite est indexé sur l’espérance de vie.
“La santé reste une loterie”
Mais est-ce valable pour tous les métiers ? Au XXIe siècle, il n’est pas facile de définir le pénibilité au travail et son impact sur la santé. Historiquement fondé sur des critères physiques, « il vaut mieux aujourd’hui exercer un métier physique que d’être en chômage de longue durée», précise Vincent Vandenberghe. Le travail peut avoir un effet « protecteur et structurant », il donne « du sens à la vie, aide à se construire et confère une reconnaissance sociale ». « La retraite est aussi associée à une dégradation de la santé, ajoute Vincent Lorant, car le travail dynamise et procure de la satisfaction. Cela peut tout à fait être source de bien-être, encore une fois cela dépend de lequel et pour qui.
Mais plus que d’une profession à l’autre, l’espérance de vie en bonne santé varie fortement. d’une classe sociale à une autre. « Il y a une différence de six ans entre les personnes plus instruites et les personnes moins instruites », explique Vincent Lorant. L’augmentation des maladies chroniques, comme le diabète ou l’obésité, touche davantage les populations les moins instruites. “La santé reste une loterie”, estime Vincent Vandenberghe. Chez les personnes de 65 ans et plus, l’espérance de vie en bonne santé varie de 4 ans. « On peut être dans la catégorie du travail acharné et être en bonne santé, et vice versa. Il y a des gens qui prennent leur retraite à 62 ans en bonne santé et d’autres qui sont en mauvaise santé et qui doivent continuer à travailler.
Pour déterminer la pénibilité du travail, il faudrait aussi prendre toute une carrière. Cela varie au cas par cas ; Aujourd’hui, de nombreuses personnes ne font pas le même métier tout au long de leur vie professionnelle. Outre les difficultés physiques, il y a aussi difficultés mentales, ce qui est encore plus difficile à objectiver, souligne l’économiste. Cependant, un système de retraite n’est pas mis en place pour prendre en compte le cas par cas. “J’ai entendu dire à quel point il était difficile de calculer l’âge de la retraite depuis dix ans… J’ai des doutes sur la capacité de mettre en place un tel système”, déclare Vincent Vandenberghe.
Mais pour lui, il s’agit de revoir le système de travail dans sa globalité. La retraite basée sur un critère de pénibilité suggère qu’il faut « indemniser le travailleur ». Mais il faut « éradiquer les difficultés » : « À mesure que les politiques ont réduit les horaires de travail, ils se sont retirés de la question du bien-être et de la santé au travail. »
.
Related News :