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Quel jihadisme prône Hayat Tahrir al-Sham ?

Quelle est l’idéologie de Hayat Tahrir al-Sham (HTC), le groupe rebelle syrien qui a renversé le régime de Bachar al-Assad, après quatorze ans de guerre civile ? Le mouvement est décrit comme islamiste, salafiste et djihadiste, ce qui est à la fois exact et imprécis. Fils du chef Abou Mohammed al-Joulani (photo) est un ancien membre d’Al-Qaïda. Il a cependant coupé les ponts avec la formation d’Oussama ben Laden et avec sa logique d’un jihad mondial, multipliant les foyers d’insurrection sur toute la planète. Le HTC ressemble-t-il davantage à l’État islamique en Irak et au Levant, l’autre grande organisation djihadiste contemporaine ? Pas vraiment. Daesh partage avec Al-Qaïda l’idée d’une lutte globale contre l’impérialisme d’un Occident qu’il considère comme mauvais. La différence réside dans la stratégie : Al-Qaïda n’a pas immédiatement cherché à construire une structurenature politique; l’État islamique considère au contraire que le combat mondial doit commencer par la construction d’une base territoriale, d’un califat, que l’organisation s’est efforcée de réaliser au Moyen-Orient, à cheval sur plusieurs États. Au contraire, le HTC semble promouvoir un jihad national, visant à l’instauration de la loi islamique, la charia, à la seule échelle de la Syrie, dans un cadre respectueux des frontières internationales. L’adversaire de ce jihad, jusqu’à la victoire de décembre, était le régime résolument laïcisé de Bachar al-Assad. Son ennemi est politique plutôt que civilisationnel ou religieux. Nous sommes confrontés à un «troisième nouvelle voie», selon le journaliste et essayiste Wassim Nasr.

Quant au salafisme – qui défend une lecture littérale et la rigueur du Coran, et s’oppose à toute forme de démocratie – elle ne peut pas non plus s’appliquer au HTC sans nuance. Certes, le salafisme reste une influence pour le mouvement, mais, « en quête d’acceptabilité sociale, HTC [réhabilite] les écoles classiques de jurisprudence », écrivent Jérôme Drevon et Patrick Haenni dans un article publié par le Centre européen Robert-Schuman. Cette concession est une manière de se rapprocher de l’islam traditionnellement pratiqué par les populations, de « s’enraciner localement ». On est assez loin du dogmatisme extrême des salafistes de Daesh : « La diversité religieuse est acceptée dans le domaine religieux. » Cette relative ouverture religieuse se ressent dans la vie quotidienne : pas de code vestimentaire strict, pas d’interdiction de fumer, pas de contrôle d’Internet. Les femmes peuvent marcher seules. Les minorités religieuses jouissent d’une liberté de culte contrôlée.

Contrairement à Daesh qui concentre ses objectifs globaux au détriment des populations, HTC accorde également une certaine attention aux conditions matérielles d’existence. Le groupe « cherche à obtenir le soutien du plus grand nombre » en garantissant « l’organisation des services de base – bitumage des routes, collecte des ordures ou ouverture des pharmacies », souligne Wassim Nasr. Le jihad promu par al-Joulani se veut un « djihad populaire », pas un « djihad d’élite ». La rhétorique est, bien entendu, égoïste : se soucier de la vie quotidienne des gens permet à HTC d’asseoir son pouvoir. Il faut donc se méfier de tout angélisme. Les concessions du rigorisme religieux ne sont peut-être qu’une stratégie passagère pour prendre pied et accéder au pouvoir. Personne ne sait ce qui va se passer maintenant qu’Abou Mohammed al-Joulani est le nouvel homme fort de la Syrie.

 
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