Le meurtre de Brian Thompson, patron de United Healthcare, premier assureur maladie privé aux Etats-Unis, ébranle l’Amérique. Le suspect, Luigi Mangione, un Italo-américain de 26 ans, aurait tiré sur cet homme, symbole pour lui d’un système injuste. Les douilles retrouvées sur place portaient les mots « delay » et « deny », un sinistre clin d’œil à des pratiques dénoncées depuis des années dans le système d’assurance maladie américain. Si le geste est évidemment inacceptable, il a suscité une étrange vague de soutien sur les réseaux sociaux. Luigi Mangione est devenu, aux yeux de certains internautes américains, un héros. Son visage apparaît sur les mèmes, ses messages de soutien comptent des centaines de milliers de likes et des millions de vues. Pourquoi cet écho ? Que nous apprend-il sur l’Amérique d’aujourd’hui, ses colères et ses fractures ? Et surtout, pourquoi cet exemple nous concerne-t-il, nous Français, alors que certains prônent un système social libéral à l’américaine pour notre pays ?
Pour comprendre, revenons au système américain. Les deux tiers des Américains sont assurés de manière privée, souvent par l’intermédiaire de leur employeur. Les compagnies d’assurance maladie privées gèrent des milliards de dollars et réalisent d’énormes profits. En 2023, United Healthcare a déclaré un chiffre d’affaires de 281 milliards de dollars et un bénéfice de 16 milliards de dollars. Mais ce modèle repose sur des pratiques impitoyables. Les assureurs retardent, refusent et défendent les demandes de remboursement à chaque étape. Les assurés doivent souvent payer de leur poche ou s’engager dans d’interminables batailles juridiques. Une logique qui rappelle un mécanisme dénoncé depuis longtemps, en France comme aux Etats-Unis : la bureaucratie. Qu’elle soit publique ou privée, elle peut devenir une machine déshumanisée, écrasant les individus au nom d’une rationalité purement comptable.
En plus d’être inhumain, ce système ne fonctionne pas. Les Américains consacrent 17 % de leur PIB à leur santé, contre 11 % en France, mais leur espérance de vie est de 76 ans, la 35e mondiale. En France, il a 82 ans. Comment expliquer cet écart ? D’un côté, un système qui fragmente les soins, exclut les plus précaires et privilégie les logiques de profit. De l’autre, un modèle où l’État joue un rôle central, garantissant l’accès à la santé pour tous.
Le spectre du libéralisme en France
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En France, certains parlent de l’opportunité d’un modèle américain. Plus de concurrence, moins d’État, plus de responsabilité individuelle. Mais à quel prix ? Le modèle français, bien que certainement perfectible, repose sur des principes d’égalité et de solidarité qui sont l’héritage de la République. Victor Hugo ou Zola ont pensé et écrit la question sociale mieux que quiconque dans ce XIXème siècle qui a vu émerger les débuts du système capitaliste et ses aspects cruels s’il n’était pas régulé. Ils mettent la France sur la voie des grandes politiques sociales du XXe siècle. Grâce au Front populaire, au CNR, puis au général de Gaulle, la France a pu construire son État providence, pilier fondamental d’une société où personne n’est laissé pour compte.
Adopter le modèle américain reviendrait à rompre ce pacte social. Cela créerait des inégalités flagrantes, de profonds troubles sociaux et, à terme, des divisions dangereuses. Rappelons ici qu’une démocratie est toujours menacée lorsque les inégalités augmentent.
Face à ces défis, la France doit lutter pour préserver et améliorer son modèle. L’État providence n’est pas un fardeau : c’est un atout. Elle contribue à garantir la cohésion sociale, à éviter les fractures et à garantir la dignité de chacun. Alors que le monde devient de plus en plus incertain, il est essentiel de maintenir cette sécurité collective. Bien entendu, cela ne veut pas dire que toutes les politiques sociales en France sont parfaites. Des mesures d’économie peuvent évidemment être prises, mais les fondements de l’État-providence doivent être protégés.
Le geste de Luigi Mangione, aussi répréhensible soit-il, est un symptôme. Celui d’une société où les individus se sentent abandonnés, exploités, écrasés par des motivations de profit qui les dépassent. La France ne doit pas emprunter cette voie. Au contraire, elle doit rester fidèle à ses valeurs de solidarité et de justice sociale. Jean-Jacques Rousseau a prévenu : Il n’y a « pas de liberté sans égalité. » Et dans le domaine de la santé, cette égalité n’est pas un luxe : c’est une nécessité vitale, un devoir élémentaire de l’humanité.
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