Merci Gisèle, merci Gisèle, l’ogre Dominique est condamné, l’incroyable cirque de ses esclaves à qui il a offert le corps de sa femme pour assouvir la sienne et leur faim pathologique de sexe, je suis en prison avec lui. Vingt ans pour Dominique, des peines allant jusqu’à cinq ans pour les autres (beaucoup moins que ce que le parquet avait demandé, jusqu’à 15 ans). Justice, peut-être, a été rendue, mais ce procès Mazan a marqué la France comme aucun autre. Pas même comme celui du Bataclan, car là-bas les extraterrestres islamistes sanguinaires étaient sur le banc des accusés. En cela, la France a regardé en elle-même, face aux êtres humains les plus normaux du monde, M. Tout le monde se sont retrouvés sur le banc des accusés : des pompiers, des journalistes, des chauffeurs, des camionneurs, un conseiller municipal, un gardien de prison, une infirmière, des ouvriers, des informaticiens, un militaire, un commis de supermarché. Ouvriers et retraités, certains au chômage. Parmi eux, trente-sept pères de famille, tous sans casier judiciaire, tous à la recherche de quoi assouvir leurs fantasmes érotiques. Un corps de femme à leur disposition, une poupée de chair, un sextoy, leur petite existence qui entra pendant quelques minutes dans un de ces films porno dont ils étaient tous de fervents consommateurs. Chacun avec sa petite histoire de violences et d’humiliations subies au sein de la famille. Un portrait effrayant de l’intérieur national.
De toute cette désolation humaine est née la figure de cette petite femme, Gisèle Pélicot qui, à soixante-dix ans, a découvert que son mari Dominique l’avait droguée pendant dix ans et l’avait vendue sur un site d’échanges et d’aventures érotiques coco.fr comme si elle étaient une marchandise. Les clients arrivaient en masse, il filmait tout, des vidéos de cette entreprise sur le disque dur de son ordinateur.
Les détails sont terrifiants, même à écrire dans cette courte note, mais pour comprendre l’histoire, il faut se plonger dans l’horreur. Tout est documenté, des heures et des heures de vidéos personnelles conservées comme des films de famille, les dîners d’anniversaire, la dernière soirée avec les grands-parents, le voyage à la montagne. Dans ces images, montrées sans pitié au tribunal et au public, parce que Gisèle le voulait, on voit Dominique tenant la bouche de sa femme ouverte pour permettre à un de ses clients de mieux la pénétrer. Et sa voix donne les consignes nécessaires, encourage, rassure : « Vas-y, vas-y, ne t’inquiète pas, elle est d’accord ». Il montre comment on fait : « Il faut le prendre comme ça. » Il assiste : « Attention, ne la touchez pas avec vos ongles, vous pouvez la réveiller ». Stimule l’incertain : « Ça t’excite, ça t’excite, hein ». Il donne le rythme : « Doucement, doucement. » Il raille les hésitations : “Alors tu ne bandes pas ?”
Ils ont attrapé Dominique parce qu’il se promenait dans les supermarchés avec un appareil qu’il avait construit et qui lui permettait de filmer sous les jupes. Un agent de sécurité l’a vu, l’a arrêté, l’a dénoncé, un policier têtu ne s’est pas arrêté au simple signalement, mais a voulu voir la maison et regarder à l’intérieur de l’ordinateur de cet homme de soixante et onze ans, apparemment un paisible retraité qui vivait à sa petite maison à Mazan, Vaucluse, avec son épouse Giséle, depuis 2013, après une vie passée en région parisienne. Trois enfants adultes, petits-enfants, le tout selon l’image tranquille d’une famille plus que normale, voire banale. Un « bon » père, un grand-père affectueux.
Face à l’inouï, Giséle prend le chien, met ce qui s’est passé dans sa valise, et part se réfugier auprès de sa fille. Mais entre--, une réaction impensable s’est produite. Non pas pour tout enterrer dans le secret d’une famille anéantie, mais pour tout mettre au grand jour, jusqu’à l’exploit final : un procès à portes ouvertes, où les vidéos, c’est-à-dire son corps inerte, ont été exposées aux juges et au public, des heures et des heures d’images et de voix qui étaient elles-mêmes le réquisitoire contre Dominique et les accusés.
Il aura fallu peu de - au ventre de la France pour en faire une icône. La salle d’audience de la cour d’assises d’Avignon a été transformée en théâtre national, Gisèle arrive escortée par le cortège des féministes, accueillie par des applaudissements et des émotions. Des manifestations de rue répétées ont eu lieu dans tout le pays. “Nous sommes tous Gisèle», nous sommes tous Gisèle. Les journaux, les talk-shows et tout l’appareil médiatique contemporain ont transformé l’affaire en un débat entre le juridique et le psychiatrique, où beaucoup de choses sérieuses ont été dites et beaucoup de bavardages. Interventions très savantes de juristes et témoignages intellectuels et déchirants de femmes pour les violences qu’elles ont subies, ce qui est sûr c’est que le choix de Gisèle a fonctionné comme une révélation pour beaucoup de femmes de leurs propres expériences familiales, on a compris une fois de plus que la violence conjugale est une grave problème et bien plus répandu qu’on pourrait le penser. En résulte une histoire sociale et nationale d’un mélange pathologique de libertinage, d’échangisme, de paraphilie, accompagné d’une consommation maniaque de pornographie, d’un besoin débordant de sexualité.
Dans un aveu froid, glaçant mais suggestif, Dominique Pélicot n’a jamais nié les faits, mais les a révélés au public : « Je suis un violeur, comme tout le monde ici. » Une phrase inquiétante qui a marqué le procès. Comme celui de Giséle, qui, racontant son histoire, s’adressait à toutes les femmes : « Si vous vous réveillez le matin groggy après une soirée animée, vous pouvez penser que vous avez vécu ce que j’ai vécu. »
Bref, l’histoire a déclenché des réactions en chaîne qui n’aboutiront pas à la sentence, jusqu’à la limite de l’analyse de la relation homme-femme comme domination historique que l’affaire Pélicot a restituée dans sa forme la plus extrême. Mais une fois qu’un dossier est clos, d’autres s’ouvrent. Le procès contre le réalisateur Christophe Ruggia est déjà en cours pour des allégations d’agression sexuelle sur l’actrice Adèle Haenel alors qu’elle avait 12-14 ans. Et il y a à peine trois jours, l’actrice Anna Mouglalis (la belle fille de Novel Criminale) a témoigné au Parlement devant la commission d’enquête sur la violence dans le monde du divertissement, racontant des castings cauchemardesques. La commission rendra sa décision en mars. Et ce sera terrible.
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