Que pouvons-nous faire lorsque nous sommes quotidiennement confrontés à la maladie et à la souffrance pour ne pas nous enfoncer ou devenir complètement insensibilisés ? Pour la psychiatre et poète Ouanessa Younsi, écrire est un moyen de retrouver cet équilibre.
« La littérature est cet espace où je peux être en contact avec mes propres zones de fragilité pour accueillir aussi celles des autres », indique dans un entretien l’auteure qui compte à son actif cinq recueils de poésie et deux essais littéraires.
Son dernier essai poétique, Prends soin de toi, écrisa été publié en novembre, dans le cadre du prix du magazine études françaises, qui « souligne une contribution exceptionnelle à la réflexion sur la littérature et l’écriture de langue française ». Parmi ses prédécesseurs, on retrouve des noms comme Marie-Claire Blais et Hélène Dorion.
Son livre a été publié environ huit ans après son précédent essai, Guérir, aimerqui a été finaliste pour le Prix littéraire du Gouverneur général canadien. À l’époque, elle se considérait comme médecin le jour et poète la nuit. Aujourd’hui, elle constate que ces deux identités s’entremêlent et se nourrissent. Il lui serait toujours « impossible d’être psychiatre sans être poète ».
« Ce sont deux métiers qui ont pour fondement la question de la vulnérabilité et la question du langage. En psychiatrie, nous n’avons pas d’autre choix que d’écouter le patient, car nous ne pouvons pas simplement imager un cerveau et voir si la personne souffre de schizophrénie ou de maladie bipolaire. Il faut donc prendre en compte l’histoire du patient, l’histoire des proches, l’histoire sociale et culturelle”, explique la médecin qui écrivait “dans les interstices”, entre deux patients et entre deux verres à son fils.
Ce sont les liens entre ces rôles qu’Ouanessa Younsi explore dans son dernier opus, inspiré de son quotidien de médecin sans smartphone ni voiture. La mort est un thème central. Les suicides et les maladies mortelles font inévitablement partie de sa vie de psychiatre, au même titre que « les autres formes de mort, le deuil qui nous habite, les pertes non digérées ».
Dans ce contexte, le poète « transforme la mort en mots ». « Je trouve, dans cette idée, peut-être pas la paix, mais un calme », écrit-elle. « Les morts ont besoin de mots pour rester en vie. »
Sous sa plume sensible et colorée, les patients qui entendent des voix, qui ont des hallucinations visuelles, qui sont plongés dans des pensées noires ou qui perdent la parole à cause de troubles cognitifs deviennent immortels, même s’ils restent anonymes.
Elle estime que ses deux métiers « posent la question de savoir comment on marche vers la mort ». « La poésie regarde la mort en face », note-t-elle dans son livre.
Du soignant au patient
L’auteure explore ses propres défauts – hypocondrie, phobies, désir de perfection, entre autres – et ceux de ses confrères. Ils troquent ainsi leur position de soignants contre celle de patients. « Ces rôles sont interchangeables. Ce qui me fait rester assis sur ma chaise, c’est une série de coïncidences et d’inconvénients. Je pourrais toujours être de l’autre côté », juge-t-elle.
Dans ses récits réflexifs émaillés de citations littéraires et académiques, Ouanessa Younsi fait référence, entre autres, au médecin et professeur Rita Charon, mère de la médecine narrative, pour qui « écouter un patient et lire une histoire sont des compétences similaires ». “C’est une tendance que j’ai découverte plus récemment et qui m’a permis de mettre des mots sur des intuitions ou des façons de faire que j’avais”, rapporte-t-elle à Devoir.
Elle aborde également son inconfort face à certains vocabulaires utilisés dans sa pratique, comme celui de qualifier les patients de « cas ». «Quand on regarde le langage, on voit bien que ces mots réduisent la subjectivité d’une personne», explique-t-elle. Peut-être que la littérature, pour moi, est une manière d’utiliser les mots différemment et d’en voir la charge symbolique que je ne vois pas quotidiennement à l’hôpital. »
Confidentialité oblige, les récits concernant les patients sont largement modifiés, voire inventés. « Quand je parle de moi ou de mes collègues, c’est vrai. Mais j’ai l’impression qu’on parle toujours de nous. Même lorsque je décris quelque chose d’extérieur, il y a toujours une partie de mon look ou de ma vision », souligne-t-elle.
Finalement, Prends soin de toi, écris parle de notre humanité commune, que nous pouvons admirer si nous écoutons, envers nous-mêmes et envers les autres.
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