Déjà 25 ans depuis l’an 2000. Le Devoir revient en décembre sur un quart de siècle ponctué d’événements marquants et de nouvelles tendances qui façonnent encore notre société. Dans cet article : les lecteurs de Devoir jetez un œil à cette génération qui arrive à maturité au début du nouveau millénaire.
Alors que les belles années des Spice Girls et des Backstreet Boys étaient déjà révolues, Éric Lapointe chantait Mon ange sur tous les stands et que Jean Leloup était toujours à Je joue de la guitare, ces trois femmes entraient dans les années charnières entre l’adolescence et le début de l’âge adulte.
La « nouvelle économie » était pleine de promesses et toutes les illusions sur Internet étaient encore permises. L’anxiété climatique était aussi une expression que l’on ne connaissait pas vraiment.
« Nous n’avons pas été noyés sous toutes les informations qui arrivaient de partout à tout moment. Je ne pouvais pas savoir quel était le taux de meurtres à l’autre bout du monde et m’inquiéter un peu», souligne Véronique Gareau-Chiasson. C’est ainsi qu’elle se souvient ne pas s’être beaucoup inquiétée du bug de l’an 2000 et, plus tard, avoir même échappé aux images du 11 septembre 2001 pendant plus de 10 ans.
« Oui, nous étions jeunes, mais nous n’y avions pas accès non plus », constate-t-elle. Née en 1985, elle a dû attendre près de cinq ans après l’an 2000 pour accéder à son premier téléphone portable, un téléphone à clapet.
Elle fait carrière dans la technologie depuis 18 ans, mais à l’aube de sa vie adulte, elle n’était pas « particulièrement douée en technologie ». Elle la lit toujours Devoir en format papier, et a d’abord étudié dans la mode. « Mon premier souvenir d’Internet, quelques années avant 2000 en tout cas, c’est que je trouvais ça compliqué pour rien ! Il n’existait pas de bons moteurs de recherche et je me souviens avoir pensé que je préférerais consulter les fiches de la bibliothèque. »
Plus qu’un passe--
Mais le domaine « évolue vite » et elle est attirée par la nécessité de se mettre à jour constamment et l’impossibilité de « tout savoir ». En 2006, lorsqu’elle a commencé à travailler, même ses supérieurs ayant des années d’expérience lui ont demandé son avis « simplement parce que c’était le Web et que c’était nouveau ».
Elle entre alors directement dans la « génération numérique » et la « nouvelle économie », deux termes qui semblent pouvoir s’étendre jusqu’à aujourd’hui. Contrairement aux autres générations à venir, celle-ci n’est pas née avec les réseaux sociaux et les smartphones. Mais ses membres « ne sont pas pris au dépourvu comme leurs parents ». Ce sont même eux qui les « socialisent » à ces nouveaux usages plus avancés de l’informatique et d’Internet, décrit Jacques Hamel, professeur émérite de sociologie à l’Université de Montréal.
Avant l’iPhone et Facebook, les adolescents des années 2000 étaient pourtant plongés dans le monde des machines à boutons, à commencer par la télécommande du téléviseur, les ordinateurs personnels et leurs logiciels, et les jeux vidéo, rappelle M. Hamel, qui a mené des études sur ces générations. au cours de la première décennie de 2000.
Ceux qui deviennent jeunes adultes au tournant du millénaire sont ainsi les « premiers représentants » à expérimenter les nouveaux domaines économiques du multimédia : l’informatique sort des loisirs pour devenir un travail plus répandu. Le spectacle d’une armée de jeunes devant leurs écrans dans des locaux du Vieux-Montréal était alors inédit. « Ils avaient commencé à apprendre dans le sous-sol de leurs parents et, tout à coup, ils étaient devenus maîtres en technologie et se disaient : « Je vais créer ma propre entreprise ». »
Ils possédaient un certain « pouvoir sur leur employeur » et développaient alors un sentiment de loyauté différent de ceux des générations précédentes, explique M. Hamel.
Après l’avènement, les excès
Cette génération, de plus en plus collée aux écrans au fil des années, a « sans doute été précurseur des usages qui se sont généralisés », et élargis, au point de prendre parfois une place excessive, ce qui inquiète aujourd’hui le professeur.
« Je me considère comme ayant une petite addiction, mais je me dis que j’ai de la chance de ne pas avoir connu le téléphone intelligent à l’adolescence. Quand j’avais 15 ans, j’étais capable d’attendre le bus et de regarder dans le vide. Nous connaissions le luxe de ne rien faire », déclare M.moi Gareau-Chiasson.
« Chanceux », c’est aussi le mot qu’Émilie Leclerc prononce dès la première minute de l’entrevue. « Nous avons été des cobayes en étant les premiers jeunes à avoir accès à Internet », dit-elle en se souvenant du chat en ligne sur des plateformes comme ICQ, mIRC et MSN Messenger.
« Mais en même -, nous sommes aussi, dans un sens, plus protégés des excès », poursuit-elle. La jeune femme exerce désormais comme créatrice numérique et blogueuse sous l’identité « La petite bière ». Elle raconte avoir été victime de harcèlement au début du lycée (vers les années 2000 en fait), mais « c’était uniquement au téléphone ; nous ne connaissions même pas le mot « intimidation ».
M.moi Leclerc se sentait encore « tout seul » [sa] gang » dans un milieu plus rural où « si vous ne deveniez pas agriculteur, dentiste ou ouvrier du bâtiment, vous étiez bizarre « . Les réseaux sociaux auront permis d’explorer « davantage d’intérêts de niche » et de trouver des communautés en ligne au-delà de sa petite ville, estime-t-elle.
Dissiper l’optimisme
Une autre lectrice ayant répondu à notre appel à témoignage, Iman Rankoussi, a elle aussi directement observé les dérives des dernières évolutions sur le Web et l’informatique. Bien qu’elle soit née en 1989, en France, elle a vu son petit frère se perdre dans le monde numérique, sa mère ayant décidé d’avoir un enfant en l’an 2000, poussée par « la frénésie bébé du nouveau millénaire ». Elle prend soin de lui de manière maternelle, se souvient-elle, et est attristée de le voir devenir un « cobaye » d’écrans sans limites, alors qu’elle est « la dernière génération à y échapper ».
C’est également à partir de 2001 que le ton du discours public change. Elle constate des « discours racistes assumés, clivants » et une « ambiance hostile » qui classent rapidement ses deux frères dans la case des « jeunes arabes dangereux », relate-t-elle. Racisés, pauvres, élevés dans des milieux délaissés par l’administration publique, « quasiment ségrégués », les Français comme elle sont une génération qui a « lutté et vécu le racisme », sans vraiment savoir comment en parler. En 2005, l’ancien président français Nicolas Sarkozy a qualifié ses camarades de classe et ses voisins de « racailles » et de « voyous », donne-t-elle en exemple.
Quand s’ajoutent la crise économique de 2008 et le boom immobilier, elle éprouve un « désenchantement » semblable à celui que connaît le Québec aujourd’hui, estime-t-elle.
L’optimisme n’est pas vraiment permis, et raison de plus pour venir au Québec et voir si l’herbe y est plus verte, poursuit M.moi Rankoussi. Arrivée en 2020 pour y séjourner, elle s’étonne d’être « une Française maudite » aux yeux de certains Québécois, qui l’accusent d’arriver « les poches pleines d’euros » et de déséquilibrer le marché locatif montréalais.
Elle reste interloquée d’être ainsi amenée à endosser un rôle « privilégié », alors que sa mère est sans abri et vit dans un hébergement d’urgence en France. Pour elle, et son petit frère, qui la suivra un an plus tard en immigré au Canada, « il s’agissait aussi de pouvoir trouver un logement, ce qui devenait une perspective impossible car nous n’avions pas de garants là-bas », explique-t-elle.
Si elle relève ici quelques « reflets » du discours politique sur les musulmans et les Arabes, elle constate aussi que les raisons d’optimisme s’essoufflent partout. « Dans les années 2000, le capitalisme et la mondialisation semblaient une voie positive d’ouverture, mais aujourd’hui on en voit toutes les limites », résume-t-elle.
Une vision révolue ?
Cette vision plus pessimiste de la jeunesse en France ne surprend pas María Eugenia Longo, professeur à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS). Dans les années 2000, le Québec est devenu « un modèle de réflexion sur la question de la jeunesse », dont se sont inspirées d’autres provinces canadiennes, mais aussi d’autres pays.
La province organise ses premiers Sommets de la jeunesse à la fin des années 1990 et développe alors une vision plutôt optimiste. « On fait confiance à cette jeunesse, on mise sur elle pour la transformation sociale, et il y a une forme de valorisation positive, contrairement aux visions stigmatisantes d’ailleurs », explique-t-elle.
Il faut dire que la conjoncture économique est favorable, et cette génération du tournant des années 2000 réussit à élargir sa marge de choix et de négociation, notamment dans le domaine de l’emploi. Il existe bien sûr une grande diversité d’aspirations, hier comme aujourd’hui, mais celle d’un meilleur équilibre entre travail et famille se répand comme une traînée de poudre. “Ils ont peut-être une plus grande conscience de ce qui ne marche pas dans l’organisation du travail et des réalités économiques”, ajoute M.moi Longo, également co-titulaire de la Chaire du Réseau québécois de recherche sur les jeunes.
Un certain mouvement de pendule s’opère cependant selon elle. Au cours du dernier quart de siècle, les jeunes étaient considérés comme des moteurs du changement, des acteurs du développement social. «Ensuite, l’accent est mis discrètement sur la montée du chômage, la criminalité chez les jeunes et les gangs de rue. Ces représentations ont des conséquences sur la manière dont nous accompagnons cette jeunesse. »
“S’il y a bien une chose qui ne change pas, ce sont les inégalités au sein des jeunes”, rappelle M.moi Longo. C’est toujours une pluralité qui cohabite. »
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