Volodymyr Zelensky était à Paris où il a rencontré Emmanuel Macron et Donald Trump. Tout en appelant à une solution diplomatique, le président ukrainien a également rappelé la nécessité « une Ukraine forte avant toute diplomatie ». Réitérant sa demande de bénéficier d’équipements avec des armes à longue portée. Pour Christophe Gomart, ancien directeur du renseignement militaire et désormais député européen (LR), Europe «pris entre deux feux» Il faut se réarmer en urgence, explique-t-il de retour d’un séjour en Ukraine.
« Il peut être envisagé, une fois la paix rétablie, de déployer en Ukraine des forces européennes capables d’intervenir. Cette option devrait déjà être sur la table et les conditions de sa mise en œuvre par l’Europe sont en cours de réflexion. Quoi qu’il en soit, les engagements doivent être fermes. La présence de soldats européens serait un signe très fort tant envers les Ukrainiens que envers les Russes. L’Europe ne peut pas abandonner l’Ukraine »ajoute-t-il également.
Que retenez-vous de votre séjour à Kiev et de vos rencontres avec les autorités ukrainiennes ?
Les Ukrainiens sont tenaces. Mais ils savent aussi qu’il sera très compliqué de récupérer les territoires actuellement occupés par les Russes. Les autorités nous ont une nouvelle fois demandé des armes, notamment des armes anti-missiles. Malheureusement, je ne suis pas convaincu que l’Europe soit aujourd’hui capable de faire davantage et même de tenir ses promesses. On laisse croire aux Ukrainiens que nous allons les mener à la victoire sans y parvenir. Tout ce que nous pouvons faire, c’est les aider à tenir le coup.
Que vous ont dit les anciens combattants que vous avez rencontrés ?
Ils ont évoqué les difficultés de leur réinsertion. Ce qui n’a rien de nouveau. Les soldats de toutes les guerres y font face. Une jeune femme m’a dit que pour elle c’était encore plus compliqué. Ils auraient préféré ne pas se battre pour rien. Enfin, il existe une inquiétude liée à la démographie ukrainienne. La population ukrainienne était estimée à 50 millions d’habitants en 1991. Elle était tombée à 40 millions en 2022 et avoisinerait les 30 millions aujourd’hui. Les plus pessimistes l’estiment même entre 23 et 26 millions d’habitants. Au moins huit millions d’Ukrainiens ont quitté leur pays. Et tout le monde ne reviendra pas. La question de la survie de l’Ukraine se pose aujourd’hui. D’où l’importance d’apporter de réelles garanties de sécurité à l’Ukraine en cas de cessez-le-feu.
Qu’est-ce qui vous inquiète dans la situation actuelle ?
La période actuelle rebat les cartes. Les Européens doivent se réveiller et se réarmer le plus rapidement possible. Trois événements auraient dû nous faire réagir : d’abord avec l’élection de Trump en 2017 qui exprimait le souhait de quitter l’OTAN, suivi par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et maintenant la réélection de Donald Trump qui constitue un nouveau coup de semonce. Sa priorité, ce sont les États-Unis et ceux qui achètent américains. 80 % des armes destinées à l’Ukraine ont été achetées hors de l’Union européenne : 63 % aux Etats-Unis, entre 17 et 18 % avec la Corée du Sud et un peu Israël. Il est nécessaire que les Etats européens dépensent davantage en défense avec des produits européens pour limiter nos dépendances car acheter américain conditionne notre liberté d’action. Si nous voulons que les États membres achètent en Europe, nous devons augmenter la production de nos industries et, pour ce faire, nous devons augmenter les marchés publics. Ainsi, contrairement à ce que dit Emmanuel Macron, nous ne sommes pas aujourd’hui dans une économie de guerre. En fait, les commandes fermes n’ont pas augmenté, donc pas de réarmement à ce stade malgré l’urgence.
L’Europe est-elle prête à avancer sur ce sujet ?
Il y a des discussions. Certains appareils vous permettent d’acheter rapidement des armes. Mais achète-t-on européen de la conception à la fabrication ? La plupart des États membres continuent d’acheter américain pour assurer la protection de Washington en cas de besoin mais aussi, il ne faut pas le négliger, pour garantir les contreparties commerciales. Le nouveau commissaire à la Défense, Andrius Kubilius, admet lui-même qu’il n’est pas prêt à déclencher une guerre commerciale avec les États-Unis.
Se libérer de la dépendance américaine
Que faut-il souligner ?
La conception des équipements militaires européens doit se faire en Europe pour garantir notre autonomie stratégique. Ainsi, l’industrie française cherche à ne plus dépendre de la réglementation américaine en matière d’exportation d’armes, notamment en raison de la norme ITAR (qui impose à toute utilisation de matériel militaire de nécessiter un feu vert américain, même en cas de conflit). Lorsque nous avons cherché à vendre des satellites aux Émirats arabes unis, les Américains nous l’ont d’abord interdit avant de donner leur feu vert. Cela arrive à de nombreux autres pays. La leçon est qu’il faut remplacer les composants ITAR présents dans nos équipements par d’autres conçus et fabriqués en France ou en Europe.
Les normes comme moyen de maintenir les marchés ?
Les Américains sont ainsi en mesure de limiter la souveraineté des pays. C’est la raison qui explique l’intérêt des Egyptiens, des Serbes et des Croates, et depuis peu des Saoudiens, pour le Rafale et non pour le F35. Ils se méfient beaucoup des Américains.
« Dissuader davantage en réarmant »
Le sort de l’Ukraine sera-t-il décidé dans les prochaines semaines ?
Sans aucun doute. Et je n’ai rien dit d’autre depuis des mois face à des décideurs qui, étonnamment, nient la réalité du terrain. Nous avons perdu du -. Nous nous dirigeons vers un cessez-le-feu, des négociations et un armistice. Mais les Ukrainiens ne cesseront de vouloir récupérer les territoires perdus : les nations ont une mémoire. Les Russes, pour leur part, veulent une Ukraine neutre sous leur contrôle. Quant aux Européens, leur souci doit être d’empêcher les Russes d’envisager d’aller plus loin. Et pour moi, il n’y a pas d’autre alternative que de dissuader davantage en réarmant.
L’Europe est-elle capable de faire céder la Russie ?
Dans ces discussions, les Chinois peuvent être un allié. C’est également le cas de Donald Trump. Poutine a vécu l’effondrement de l’URSS comme une humiliation. En discutant d’égal à égal avec Trump, cela peut contribuer à effacer en partie les cicatrices laissées par cet événement. Poutine ne s’adresse pas à l’Europe. Il la considère comme une naine. La France a peu ou pas d’importance en Europe en raison de son instabilité politique et du poids de sa dette. Qui a envie de faire confiance à un pays qui change si souvent d’avis ? La seule certitude est qu’il est urgent de réfléchir à une nouvelle architecture de sécurité pour l’Europe.
« L’Europe ne peut pas abandonner l’Ukraine »
L’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN est-elle une possibilité sérieuse ?
Plusieurs options sont sur la table. L’intégration de l’Ukraine à l’OTAN en échange de l’acceptation de la perte des territoires occupés par la Russie en fait partie. Je n’y crois pas… Mais pour assurer l’indépendance de l’Ukraine, objectif principal de Zelensky, il peut être envisagé, une fois la paix réalisée, de déployer en Ukraine des forces européennes capables d’intervenir. Cette option devrait déjà être sur la table et les conditions de sa mise en œuvre par l’Europe sont en cours de réflexion. Quoi qu’il en soit, les engagements doivent être fermes. La présence de soldats européens serait un signe très fort tant envers les Ukrainiens que envers les Russes. L’Europe ne peut pas abandonner l’Ukraine.
La coopération avec le Royaume-Uni est-elle une nécessité ?
Nous ne pouvons pas penser à la défense européenne sans le Royaume-Uni. Même si aujourd’hui l’armée britannique est clairement en perte de vitesse, faute d’investissements. Elle ne peut pas réellement armer ses deux porte-avions. Certaines frégates allemandes sont à Hambourg mais ne peuvent naviguer faute d’équipage. L’Europe doit développer une véritable culture de défense.
En tant que député européen, êtes-vous favorable à l’intégration de l’Ukraine dans l’Union européenne ?
Je ne soutiens pas l’élargissement de l’Union européenne. Je préfère la formule des États associés. Regardons déjà les difficultés que nous rencontrons en termes de gouvernance à vingt-sept États. Le recours à la majorité qualifiée deviendrait la règle et une partie de la souveraineté de la France serait encore plus diluée. Ce n’est pas dans l’ADN français.
Les Ukrainiens, de leur côté, affirment avoir besoin d’un réel soutien européen.
C’est pourquoi je parle de statut d’État associé. Et c’est aussi la raison pour laquelle je plaide pour la présence de soldats européens sur le sol ukrainien une fois que nous aurons conclu un armistice. L’idée est de montrer notre détermination face à une Russie conquérante.
Le fait que la Russie continue son travail de déstabilisation de l’Europe vous inquiète-t-il ?
Poutine veut affaiblir l’Europe et ses agents commettent de véritables actions déstabilisatrices. Mais il n’est pas le seul. C’est aussi l’objectif de Donald Trump. C’est pourquoi je parle du réveil de l’Europe. Nous sommes dans une guerre économique. L’Europe est prise entre deux feux. Le risque de dépérissement de l’Europe est réel. Regardez ce qu’Elon Musk a fait : il a partagé une carte de la démographie de l’Europe et a écrit : « L’Europe est en train de mourir. » (L’Europe se meurt). Au-delà de cette anecdote, on assiste à une désoccidentalisation du monde. La structure du monde telle que nous la connaissions après la Seconde Guerre mondiale n’existe plus.
Comment expliquer la montée de l’euroscepticisme dans un tel contexte ?
Les Français ne voient pas le rôle que joue l’Europe dans leur vie quotidienne. Les élections au Parlement européen restent très floues. Le vote est national. L’une des principales difficultés actuelles est la faiblesse de la France et dans une moindre mesure de l’Allemagne. Pour avancer, l’Europe a besoin de ces deux pays. Je ne croyais pas trop à cette locomotive franco-allemande. Il faut cependant reconnaître son importance, mais comment convaincre les Allemands de ne pas faire cavalier seul ?
Que dites-vous à ceux qui sont tentés de se replier sur nos frontières nationales ?
Économiquement, le marché national est insuffisant. La force de l’Europe repose sur l’alliance des pays qui la composent. Cela nous a quand même permis de vivre en paix pendant 80 ans. L’Europe doit être forte militairement pour être puissante économiquement. Il y a de la force dans l’unité. Je défends cette alliance de pays souverains sans être favorable à une fédération. Il faut savoir accepter de partager certaines de nos prérogatives pour continuer à être prospère et sûr.
Croyez-vous à la menace nucléaire ?
Cette menace existe. Pour les Chinois, alliés des Russes, il n’en est pas question. Parce que cette guerre perturbe le commerce mondial. Il est vrai que de plus en plus de pays cherchent à acquérir une telle arme, directement ou indirectement. Simplement, pour dissuader une éventuelle attaque.
Related News :