Citons pour commencer le lecteur Louis : « Il y a un facteur important qui est négligé dans votre « calcul », c’est le bonheur que l’on peut obtenir en utilisant l’argent plus tôt.
(J’ai soudain pensé à tout ce bonheur qui m’échappait en me retenant de vider mon REER…)
Le « calcul » auquel fait référence notre ami est celui des probabilités (neuf sur dix) de perdre son pari en réclamant ses prestations du Régime de rentes du Québec (RRQ) à 60 ans plutôt qu’à 65 ans. colonne, Le pari perdu sur sa morts’appuie sur une étude de trois professeurs de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
Louis poursuit : « J’ai 60 ans, je suis musicien amateur et j’utilise cet argent pour acheter tout de suite le saxophone de mes rêves, j’en jouerai pendant 20 ans. Évidemment, si j’attendais 70 ans, je pourrais acheter deux saxophones, mais j’en profiterais moins longtemps.
Ne pensez pas que cette touchante naïveté du lecteur Louis puisse s’expliquer par ses intérêts artistiques. La preuve, cet autre message signé Jacques, un homme de chiffres :
«Je vois dans vos chroniques sur les rentes des rentes du Québec que vous abordez toujours cette question du même point de vue, c’est-à-dire en avoir le plus possible dans vos poches au décès. […] De mon point de vue, et je suis comptable de profession, je considère qu’entre 60 et 75 ans, je suis plus en mesure de bénéficier de l’argent que je reçois du RRQ qu’à 80 ou 100 ans. Donc reporter la retraite jusqu’à 72 ans, c’est risquer d’avoir plus d’argent sans pouvoir en bénéficier et enrichir les héritiers à mes dépens.»
Si le comptable se trompe, j’ai quelques inquiétudes pour les autres…
Les gens imaginent que pour retarder le déclenchement de leurs rentes (le RRQ ET la Rente de la Sécurité de la vieillesse – PSV), ils doivent se priver pendant quelques années afin de bénéficier par la suite d’un revenu accru.
C’est le contraire ! Vous pouvez dépenser PLUS tout au long de votre retraite, y compris dans les premières années, car vous pouvez compter sur des rentes plus élevées et indexées pendant 20 à 30 ans.
Cette stratégie n’est possible que si vous disposez d’une épargne accumulée sur laquelle puiser davantage dans la première phase de votre retraite.
Voici quelques chiffres pour convaincre les sceptiques, la démonstration repose sur l’hypothèse d’un décès à 90 ans et d’un rendement de l’épargne de 4% par an.
Imaginons quelqu’un qui termine sa carrière à 65 ans avec un salaire de 68 500 $ et qui aimerait compter sur un revenu de retraite équivalent à 70 % de ce qu’il a gagné, soit environ 48 000 $. Cette personne doit avoir accumulé 455 000 $ en poche pour maintenir ce mode de vie pendant 25 ans, ce qui inclut la prestation du RRQ et la rente de la Sécurité de la vieillesse versée à partir de 65 ans.
S’il repousse son PSV à 70 ans et son RRQ à 72 ans, croyez-le ou non, ses besoins d’épargne seront moindres pour maintenir le même rythme, soit 397 000 $. Ce coussin sert dans un premier - à financer la totalité des cinq premières années de retraite.
Lorsque le PSV augmenté de 42 % entrera en vigueur à 70 ans, les économies seront moins nécessaires. Et lorsque le RRQ majoré de 58,8 % entrera en vigueur deux ans plus tard, les deux régimes publics fourniront la majeure partie des revenus. Seule une petite partie du coût de la vie sera couverte par l’épargne personnelle.
Mieux protégé
En plus de pouvoir dépenser un peu plus, les retraités sont mieux protégés contre les fluctuations des marchés financiers, leur rente étant garantie à vie, quoi qu’il arrive en bourse. Elle est également protégée contre l’inflation puisque les deux prestations sont indexées. Et s’il venait un jour à dépasser l’âge de 90 ans, il aura épuisé son argent, mais il recevra quand même la majorité de ses revenus de la RRQ et du PSV, jusqu’à son décès. Il est donc mieux couvert contre le risque de longévité.
Et si cela peut rassurer le lecteur Jacques, il ne devrait pas rester grand-chose à ses héritiers, si c’est ce qui l’inquiète.
J’ai effectué mes calculs à l’aide d’un outil de la Chaire en fiscalité et finances publiques de l’Université de Sherbrooke. Allez vous amuser avec, c’est très pédagogique.
Et la performance dans tout ça ?
Certains lecteurs se demandent s’il n’est pas plus avantageux de réclamer sa rente plus tôt lorsque son portefeuille génère des rendements plus élevés. Personne ne m’aurait posé la question après deux ans de marché baissier, ce qui veut dire qu’une confiance excessive règne !
Celui qui obtient des gains nets de frais de plus de 8% par an aurait sans doute intérêt à ménager son épargne et à prendre sa retraite rapidement, mais ces résultats sont possibles au prix d’une forte exposition boursière.
Pour prendre un tel risque à la retraite, vous devez disposer de ressources financières qui dépassent largement vos besoins. Une certaine marge de manœuvre est nécessaire. Si votre planification de retraite est un peu serrée, vous serez foutu par la première correction boursière qui s’éternise le moins du monde.
L’aversion aux pertes expliquée
Toujours dans la même chronique, j’évoquais le fait que les gens ressentaient plus de douleur à cause d’une perte qu’ils ne pouvaient ressentir de satisfaction à l’égard d’un gain équivalent, ce qui pesait sur leurs décisions financières. Voici une anecdote où les biais cognitifs sont à l’œuvre, un exemple pour faciliter la compréhension du lecteur Philippe.
L’histoire remonte à une trentaine d’années, cela ne nous rajeunit pas. Quatre d’entre nous, amis, faisons la queue pour assister à un concert dans une salle locale, lorsqu’un membre de notre groupe commence soudainement à paniquer en pensant au film qu’elle a oublié de rapporter au vidéoclub local. La perspective de frais de retard de 2 $ l’inquiétait au point qu’elle envisageait de rentrer chez elle en courant pour rendre la cassette, une affaire de 20 minutes maximum.
On lui a alors demandé si elle se donnerait la même peine si nous lui payions deux piasses.
Soudain, elle redevint calme.
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