Par
Emilie Salabelle
Publié le
8 décembre 2024 à 7h08
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“Je suis venu vendre un lingot d’or.” Derrière l’élégant comptoir en bois protégé par une vitre pare-balles, les cambistesagence d’achat et de vente de métaux précieux Godot & Fils hoche poliment la tête. Cette institution créée en 1933 est l’une des plus anciennes de la rue Vivienne à Paris (2e), où se trouve le bureaux de change sont mesurés de chaque côté du trottoir. Antoine Tahar, son directeur, nous livre les secrets d’une entreprise qui, bien que peu connue, ne connaît pas la crise.
Une agence historique
Couvrant les vitrines aveugles, l’éclat doré des lingots, pièces de monnaie et bijoux contraste avec la grisaille ambiante de ce matin de décembre 2024. Son regard glissant d’une vitrine à l’autre sous la pluie, Anne, la tête emmitouflée sous un chapeau, s’arrête dans devant la boutique Godot & Fils.
« J’ai un médaillon que je cherche à revendre », explique le passant, habitué à fréquenter la rue de Vivienne. « C’est pratique, comme tout est concentré, on peut comparer les offres. Et puis, tu récupères l’argent immédiatement», argumente-t-elle en serrant dans sa paume le bijou hérité de sa famille. « Celui-ci n’a pas beaucoup de valeur. Mais j’ai déjà vendu des médailles de baptême par exemple. J’ai besoin d’argent pour aider mon fils », explique-t-elle avec un sourire discret.
Créée en 1933, la marque Godot & Fils séduit depuis près de 100 ans toutes sortes de clients. Il s’agit de la plus ancienne agence française spécialisée dans l’achat et la vente de métaux précieux, assure son actuel directeur, Antoine Tahar. En près d’un siècle, la maison mère n’a pas changé de place. Comme ses concurrents, elle reste dans le Quartier historique de la Bourse . « C’était le centre d’affaires de l’époque. Il y a eu les enchères, où nous avons vendu et racheté des actions », explique Antoine Tahar. La maison faisait le commerce de devises et de métaux précieux. « Comme il y avait une énorme concurrence, elle s’est spécialisée dans le change de l’or. »
Avec la modernisation des systèmes bancaires dans les années 1980, les échanges s’informatisent et l’intérêt pour le métal jaune diminue. Dans les années 1990, le crise de l’or
oblige de nombreuses agences historiques à fermer boutique. « Tout a été fait avec les banques. Ceux qui disposent d’actions privilégiées et d’une assurance-vie pour acheter des métaux précieux. L’épargne est devenue dématérialisée. » Le lingot perd de sa valeur : « Il valait 9 000 euros le kilo ». Histoire ancienne : aujourd’hui, la même quantité se vend 80 000 euros.
L’or, « une valeur refuge contre l’inflation »
Le commerce de l’or prospère au fur et à mesure que les crises économiques ou géopolitiques se succèdent. ” Plus c’est pire, plus son prix augmente», illustre Antoine Tahar. Et de relire le prix de l’or à l’échelle des cataclysmes modernes. Crise des subprimes en 2007 : le kilo d’or passe de 14 000 à 45 000 euros en trois ans. Covid en 2020 : il s’envole jusqu’à 60 000 euros en quelques mois, avant d’atteindre des records au moment où les conflits en Ukraine et au Moyen-Orient font rage. Qui dit guerre, dit inflation, explique le spécialiste.
L’or a toujours joué son rôle de valeur refuge en - de crise, c’est un bouclier contre l’inflation. De peur de voir leurs économies rongées par le coût de la vie, certains choisissent d’investir leurs économies dans l’or. Chaque fois qu’une guerre éclate, les gens achètent de l’or, car une crise géopolitique peut conduire à des situations d’endettement et d’inflation.
Pour répondre à une demande importante depuis 2005, les fonderies ont adapté leurs formats. Le lingot d’un kilo est désormais disponible en briques plus petites : 500 g, 250 g, 100 g…. « C’est devenu accessible . Avant 2008, cela n’existait pas », rappelle l’expert. Les produits les plus vendus dans son agence ? “Le lingot de 100 g, vendu aujourd’hui 8.300 euros, ou la pièce de 20 francs Napoléon, à moins de 500 euros.”
De « bon père » à survivaliste
Derrière les comptoirs, une clientèle variée se présente. Parmi les acheteurs d’or, on retrouve souvent « le bon père de famille qui diversifie ses actifs pour ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier : actions, immobilier et or », énumère Antoine Tahar. L’esprit survivalisteIl connaît aussi bien les bureaux de change : « Il craint un effondrement bancaire comme ce qui s’est passé en Grèce et préfère garder son or chez lui. »
Plus marginal chez Gaudot & Fils, le numismatiquereprésente 15% du chiffre d’affaires de l’agence fondatrice. Les anciennes monnaies dites d’investissement trouvent leur valeur en fonction de leur poids en or. Les collectionneurs s’intéressent aux pièces rares : « C’est un achat passion, et non un investissement », précise le courtier en métaux précieux. D’autres fois, les grands-parents désireux d’offrir un cadeau original à leur petit-fils jettent leur dévolu sur une pièce de 10 ou 20 francs.
En passant timidement par le sas de l’établissement, Ilham est venu s’enquérir du prix d’un Louis d’or. « Je n’ai jamais fait ça, c’est un ami qui m’a recommandé cette marque. J’aimerais en faire un petit bracelet”, explique-t-elle.
Bijoux de famille sur le comptoir
Pour attirer les clients, l’agence met en avant sa longévité et son savoir-faire. « Nous développons également beaucoup de choses en ligne via notre site Internet. » Godot & Fils achète également des métaux précieux aux particuliers. « Ce que nous prenons le plus, ce sont bijoux de famillequi sont beaucoup plus lourds que ceux fabriqués aujourd’hui. On ne les porte plus parce qu’ils ne sont plus à la mode et parce que les gens ont peur de se faire arnaquer s’ils les portent », explique Antoine Tahar.
Avec la flambée du prix de l’or, ces ventes sont souvent avantageuses. « Un bracelet peut coûter 5 000 euros aujourd’hui, illustre le directeur de l’agence. Les lingots reçus en héritage ou en cadeau sont également rachetés par l’institution. « Nous avons beaucoup de vendeurs au moment du paiement des impôts, lorsqu’ils doivent payer une grosse facture », illustre-t-il.
Repérer les arnaques
Les spécialistes sont passés maîtres dans l’art de débusquer les faux lingots et les fausses pièces. Pour authentifier l’or, ils le pèsent, l’observent et le sonnent. « La densité de l’or est très particulière, il est donc très difficile d’imiter un lingot. Seul le tungstène peut tromper. En revanche, il existe de nombreuses fausses pièces. Cela se remarque généralement rapidement à la vue, l’écriture nous paraîtra grossière. » Enfin, l’origine de l’or acheté est toujours vérifiée.
Le cabinet Godot & Fils compte aujourd’hui 80 agences en France. Le marché parisien dispose d’un atout de premier ordre pour la clientèle, vante Antoine Tahar. « Nous avons une concurrence directe dans la rue. On sait que le client va regarder directement, ça nous oblige àêtre le plus compétitif possible. C’est pour cela que les gens traversent la France pour s’approvisionner chez nous.
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