Une ombre au paradis des mégaprojets ? L’Arabie saoudite sort d’une décennie frénétique de chaos d’investissement et d’explosions de dépenses : le PIF, le fonds souverain saoudien, a dépensé 31,5 milliards de dollars en 2023, alors que l’ensemble des fonds souverains dépensaient 123,8 milliards de dollars.
L’ambitieux plan Vision 2030, destiné entre autres à libérer le pays de sa dépendance aux pétrodollars, combine des projets pharaoniques dont Neom, un complexe futuriste au bord de la mer Rouge, à quelque 1.460 kilomètres de Riyad, et Diriyah. Gate, un quartier commercial et résidentiel aux portes de la capitale.
Investissement estimé pour l’ensemble ? 565 milliards de dollars, et ce ne sont là que deux des cinq mégaprojets développés par le PIF. Dans le même temps, le Fonds a créé 93 entreprises nationales, allant d’une entité saoudienne de café à des sociétés de prêts hypothécaires, de recyclage des déchets et de jeux, dans le but de créer de nouvelles industries.
À cela s’ajoute une stratégie agressive de puissance doucequi engloutit des milliards, dont l’organisation de la Coupe d’Asie de football en 2027, des Jeux asiatiques d’hiver en 2029 et de l’Expo 2030. Le royaume est également le seul candidat à l’organisation de la Coupe du monde de football en 2034. Autrefois en sommeil, le PIF est devenu l’un des fonds souverains les plus prestigieux et les plus importants du Golfe.
Un « recalibrage » financier pour une Arabie Saoudite dépensière
Désormais, une période de « recalibrage » attend le royaume, explique le Financial Times dans une analyse publiée le 16 octobre. Le royaume de la péninsule arabique se familiarise avec une notion méconnue de son économie : la prudence, et change la donne. Premier écueil : la (trop) lente « diversification » de l’économie, qui laisse Riyad encore à la merci des aléas des prix du pétrole.
Même si les exportations non pétrolières ont augmenté, pour atteindre 24,2 % du PIB non pétrolier, elles sont « bien en dessous » de l’objectif de 50 %, selon Capital Economics. Malgré une politique fiscale et une réglementation attractives, le royaume peine également à attirer les investissements directs étrangers. Toujours selon Capital Economics, les flux d’investissements directs s’élèveraient à 12,3 milliards de dollars en 2023, quand l’objectif du prince Mohammed ben Salmane (MBS) est de 100 milliards de dollars par an d’ici 2030.
Même le secteur pétrolier est un vecteur d’incertitude dans le pays de l’or noir, dont le gouvernement reste dépendant pour près des deux tiers de son budget et plus de 70 % de ses recettes d’exportation. Le Fonds monétaire international estime que le royaume a besoin d’un baril de pétrole brut à 96 dollars pour équilibrer son budget, et les économistes de Bloomberg Economics penchent même vers 112 dollars, rappelle Gulf Time. On en est loin puisque le baril de Brent oscille actuellement autour de 70 dollars, ce qui pèse sur les recettes de l’État.
Les tensions accrues au Moyen-Orient et la popularité du brut russe sur le marché asiatique ajoutent à l’incertitude quant aux revenus à tirer du pétrole. Dans ce contexte, “on s’interroge de plus en plus, notamment avec la baisse des prix du pétrole, sur les rendements du PIF”explique un initié du Fonds au Financial Times.
« Un peu de pragmatisme »
Côté maxi-projets, le temps de l’émerveillement est révolu : place à la réalité. Le Fonds est confronté à des questions sur la surchauffe de l’économie liée aux dépenses de projets. La Ligne, ville élancée et ultramoderne en plein désert, n’offrira qu’une poignée de kilomètres à ses premiers habitants en 2030, contre les 170 km initialement prévus. Neom accuse des retards et coûtera près de 150 milliards de dollars de plus que prévu (soit 500 milliards de dollars au total).
Au Financial Times, un cadre d’un cabinet de conseil travaillant avec des entités gouvernementales affirme que de nombreux projets ne respectent pas les délais ou le budget. « Il y a simplement un besoin fondamental de recalibrage »déclare-t-il.
Je n’ai pas l’impression que cela signifie une réduction de l’ambition, mais seulement un peu de pragmatisme et une reconnaissance de la complexité de la mise en œuvre de ces projets.
« Tout le monde se serre la ceinture »» déclare un autre cadre d’un cabinet de conseil, ajoutant que les dépenses de Neom en consultants ont chuté de 20 à 30 pour cent au cours des six derniers mois.
Et si de nombreux acteurs du secteur veulent rester optimistes, les chiffres ne mentent pas. Dans un rapport publié fin septembre, le ministère des Finances du Royaume saoudien a revu à la baisse ses prévisions économiques. La croissance du PIB ne sera pas de 4,4%, mais seulement de 0,8% cette année. L’autorité espère cependant un rebond à 4,8% en 2025, grâce à la croissance des secteurs non pétroliers.
Le déficit budgétaire va se creuser, à 2,9% du PIB pour 2024. Pour 2025, il atteindrait 2,3% du PIB avant de se creuser encore un peu à 3% en 2027. Le ministère a déjà prévu de réduire ses dépenses de 5% pour la prochaine année. année, mais la Vision 2030 de Prince MBS reste intouchable.
Article initialement publié le 17 octobre.
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