Si les Nymphéas de Claude Monet affichent aujourd’hui des prix parmi les plus élevés du marché de l’art, il fut un temps où ces tableaux n’intéressaient presque personne. Sauf une marchande d’art parisienne, Katia Granoff. C’est l’un des moments dont parle l’historienne de l’art Clotilde Scordia Larock-Granoff, histoire d’une galerie (éditions Mare et Martin), qui paraît à l’occasion du centenaire de cette entreprise familiale.
Après la Seconde Guerre mondiale, grand moment pour l’art abstrait et l’avant-garde américaine, l’impressionnisme en général et les dernières années de Monet en particulier n’inspirent plus. «Nous pensions que c’était un doodle. Monet était démodé et on le faisait paraître sénile. »Clotilde Scordia a déclaré à l’AFP. L’artiste, décédé en 1926, ne voit pas ses Nymphéas exposées au musée de l’Orangerie l’année suivante. Et vingt ans plus tard on se demande si cette idée était la bonne.
La galeriste Katia Granoff, originaire de l’actuelle Ukraine, considère Monet comme « le plus grand peintre français de notre temps ». Il disait pouvoir contempler en toute tranquillité ces fresques qui attirent aujourd’hui chaque jour des milliers de visiteurs. « Les salles étaient toujours désertes et la somnolence du gardien l’incitait à danser dans la salle »» dit l’historienne de l’art dans son ouvrage.
Même sentiment d’abandon chez moi à Giverny, village de la vallée de la Seine. Après la mort en 1947 de la belle-fille de Monet, Blanche Hoschedé, le célèbre jardin tombe en ruine. Son fils Michel, unique héritier, passionné de voyages, souhaite transmettre l’héritage. Ce sera avec Katia Granoff, l’une des rares femmes du milieu des galeries. « Michel Monet avait une personnalité assez difficile, il se méfiait des institutions. Mais lorsqu’il la rencontre en 1950, le respect et l’amitié naissent. Il lui fait confiance et elle pourra acquérir les fonds de l’atelier Giverny »explique Clotilde Scordia.
A l’intérieur se trouvent des nénuphars considérés comme invendables. La galeriste, qui s’est lancée dans la vente d’art dès son arrivée à Paris à l’âge de 29 ans en 1924, trouve preneur. Principalement des Américains.
« Elle était retraitée en Suisse, elle est multilingue, très curieuse et ouverte. Elle a toujours dû se débrouiller seule. Son instinct lui dit que le public redécouvrira inévitablement Monet, ce qui n’est qu’une question d’années. Il ne peut pas vendre les nénuphars.”selon l’historien de l’art. Les archives de la galerie montrent que certains clients ont dû abandonner. Trop cher pour eux.
Parmi les lauréats du prix figurait Alfred Barr, premier directeur du Museum of Modern Art (MoMA) de New York. « Je ne suis pas responsable du fait que les gens étaient aveugles avant vous, cher M. Barr. Apportez les dernières peintures de Monet en Amérique et exposez-les dans votre grand musée. »Katia Granoff lui écrit.
Un incendie à New York en 1958 a détruit l’un des tableaux, « Les Nuages ». Il reviendra à Paris pour en acheter trois autres. Et Katia Granoff lui offrira un autre tableau. Non seulement cela, écrit-il, parce que Barr en était un “le premier à comprendre l’importance de la dernière période de Monet”mais aussi sans reconnaissance pour “l’armée américaine” après la Libération.
Monet est aujourd’hui l’un des artistes les plus chers au monde. Dix-huit tableaux de sa série des Nymphéas ont déjà dépassé les 30 millions de dollars aux enchères. Chez Christie’s New York en novembre 2023, « Le Bassin aux nymphéas » (1917-1919) atteint 74 millions de dollars.
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