L’ancien préfet Patrick Stefanini a été nommé représentant spécial de Bruno Retailleau sur l’immigration. “Cette nomination s’inscrit dans une volonté ferme du ministre de l’Intérieur de lutter pour une meilleure maîtrise des flux migratoires et de renforcer la sécurité des Français”, a expliqué le ministère dans un communiqué. L’ancien directeur de campagne de François Fillon et Valérie Pécresse s’exprime à Paris Match et dévoile sa feuille de route.
Paris Match. Que vous confie Bruno Retailleau en tant que représentant spécial du ministre de l’Intérieur ?
Patrick Stefanini. Cette lettre de mission s’inscrit dans ce que j’appellerais une reconquête de la souveraineté de la France en matière de politique migratoire. Depuis qu’il est au ministère de l’Intérieur, Bruno Retailleau a fait de la question migratoire une priorité absolue. Cela faisait longtemps que cela n’était pas arrivé. On peut remonter à Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux. Ma mission se concentre spécifiquement sur deux aspects : d’une part, la réadmission des personnes en situation irrégulière et, d’autre part, la prévention des départs.
Plus de 90 % des réadmissions effectives se font vers des pays avec lesquels la France a signé des accords. Aujourd’hui, les principales difficultés d’application concernent l’identification des immigrants illégaux. Une personne arrêtée en France peut fournir une fausse identité ou prétendre appartenir à une autre nationalité. Certaines personnes ont même accumulé des dizaines d’identités différentes. Ceci explique une partie des difficultés rencontrées, notamment avec les pays du Maghreb.
Quelles solutions concrètes envisager aujourd’hui pour simplifier l’identification ?
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La première solution consiste à développer des fichiers biométriques et à généraliser la prise d’empreintes digitales ou d’autres moyens d’identification. Ce sera l’un des apports du règlement « filtrage » adopté dans le cadre du pacte européen. Mais cela suppose que les pays d’origine disposent également de telles bases.
Quels sont les principaux objectifs de votre mission ?
Il comporte deux volets principaux : étendre et renforcer les accords de réadmission : cela signifie négocier de nouveaux accords ou améliorer ceux existants pour les rendre plus opérationnels. Par exemple, certains accords doivent être actualisés ou complétés par de nouvelles clauses, comme celles concernant les ressortissants de pays tiers conformément aux dispositions de la Convention de Chicago. Lorsqu’une personne en situation irrégulière transite par un pays avant d’arriver en France, il faut pouvoir l’expulser vers ce pays si le retour vers le pays d’origine est impossible parce que ce pays est en guerre ou que le pays est en guerre. L’étranger court un risque pour sa vie. Bruno Retailleau a par exemple signé un accord avec le Kazakhstan pour que ce pays puisse reprendre les immigrants illégaux ayant transité par son territoire. Il faut aussi améliorer la coopération avec le Royaume-Uni : cela passe par notre implication dans le groupe de travail franco-britannique « Upstream », qui vise à empêcher les départs des pays d’origine. Il s’agit d’intervenir dans les pays d’origine pour dissuader les migrants d’aboutir à Calais. Cela pourrait inclure des programmes de développement, des campagnes d’information ou même un renforcement des contrôles.
La priorité est d’instaurer un dialogue et de proposer des accords plus précis et plus opérationnels
Quels pays sont les cibles prioritaires de cette mission ?
Outre les pays traditionnels avec lesquels les accords doivent être actualisés, la lettre de mission identifie quatre zones géographiques prioritaires : l’Asie centrale, le Proche et Moyen-Orient, la Corne de l’Afrique, avec des pays comme la Somalie, et l’Afrique australe. De nouveaux pays, non identifiés auparavant, sont désormais des points de départ pour les étrangers. C’est ainsi qu’arrivent à Mayotte non seulement des Comoriens, mais aussi des ressortissants de pays d’Afrique australe avec lesquels nous n’avons pas d’accord.
Comment comptez-vous gérer les réticences de certains pays à coopérer ou à appliquer des accords de réadmission ?
A ce stade, il n’est pas question de sanctions immédiates. La priorité est d’établir un dialogue et de proposer des accords plus précis et plus opérationnels. La loi Darmanin introduit cependant la possibilité de réduire ou de suspendre les visas pour les ressortissants des pays qui refuseraient de coopérer en matière de réadmission. Cette option reste sur la table, même si elle n’est pas systématique et que son recours peut être ciblé.
Avez-vous des objectifs chiffrés dans le cadre de cette mission ?
A ce stade, la lettre de mission que j’ai reçue ne fixe pas d’objectifs chiffrés précis. Cela dit, il est évident que le gouvernement souhaite des résultats concrets, notamment une augmentation du taux d’exécution des Obligations de quitter le territoire français (OQTF). Aujourd’hui, ce taux est encore trop faible, même si la loi Darmanin et la construction prévue de nouveaux lieux de détention ont permis des progrès.
Pensez-vous que les accords du Touquet pourraient être remis en cause dans ce contexte ?
Non, cela n’est pas prévu dans la lettre de mission. Les accords du Touquet concernent le contrôle des liaisons régulières : les dénoncer compliquerait ces contrôles sans résoudre les problèmes de traversées irrégulières de la Manche. Ma mission se concentre exclusivement sur la gestion des flux migratoires et de la réadmission et des filières.
Pourquoi pensez-vous avoir été choisi pour cette mission ?
Probablement à cause de mon expérience sur ces sujets. J’ai travaillé sur les questions de migration à plusieurs reprises au cours de ma carrière, notamment en tant que secrétaire général du ministère de l’Immigration. J’ai également participé à la négociation de nombreux accords de réadmission dans le passé. Mon profil mixte, à la fois administratif et politique, correspond bien à la nature de cette mission.
Pensez-vous que cette mission peut vraiment changer les choses ? N’y a-t-il pas une fatalité liée à l’immigration clandestine ?
Absolument pas. Ce qui est en jeu, c’est la capacité de la France à retrouver une partie de sa souveraineté en matière migratoire. Cela nécessite des accords concrets, des réformes législatives et des actions sur le terrain. Rien n’est fatal. L’histoire récente montre que des pays comme la Grèce, après avoir été submergés en 2015, ont réussi à reprendre le contrôle de leurs frontières grâce à des mesures efficaces – notamment les centres d’accueil et de traitement des demandes d’asile sur l’île de Lesbos. Mais il faut être conscient que chaque État européen est responsable du contrôle de ses frontières extérieures pour lui-même mais aussi pour les autres membres. Et la lutte contre l’immigration clandestine est un combat qui recommence toujours.
Comment percevez-vous les résultats obtenus par Giorgia Meloni en Italie qui a réduit l’immigration clandestine ?
Giorgia Meloni s’inspire de méthodes déjà mises en œuvre par d’autres pays européens, comme l’Espagne ou encore la France à partir de 2004 ou 2007. L’Espagne avait par exemple signé des accords avec la Mauritanie ou le Sénégal pour limiter les arrivées en 2004.
Je reste cependant prudent sur certains aspects. Externaliser totalement la gestion des flux migratoires vers des pays tiers, comme c’est le cas avec la Tunisie ou l’Albanie, soulève des questions de souveraineté et peut exposer son pays à un chantage financier ou migratoire. Contrôler les frontières extérieures et notamment maritimes de l’Union européenne est une tâche ardue. Cela nécessite bien sûr une coopération avec les pays de transit d’où partent les traversées méditerranéennes, mais cela ne remplace pas un véritable contrôle des frontières extérieures.
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