L’auteur Simon Roy (Ma vie rouge Kubrick) est décédé d’un cancer du cerveau en octobre 2022. Gravement malade plusieurs mois avant son décès, il a demandé l’aide médicale à mourir, préférant mourir chez lui, entouré de sa famille, plutôt qu’à l’hôpital.
Présenté aux Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal (RIDM), Simon et Marianneréalisé par Pier-Luc Latulippe et Martin Fournier (Manoir, Dehors Serge dehors), retrace les derniers instants de sa vie marqués par sa complicité avec sa compagne, Marianne Marquis-Gravel, également écrivaine.
Ce dernier participe vendredi à une table ronde, avec les deux cinéastes, dans le cadre du Salon du livre de Montréal, sur l’aide médicale à mourir comme élément de création artistique. Quelques jours seulement avant la sortie en salles du film, nous les avons rencontrés pour mieux comprendre comment ils ont décidé d’aborder ce sujet relativement nouveau au Québec, tant d’un point de vue éthique qu’esthétique.
Force vitale
Les réalisateurs ont rencontré l’auteur lors d’une projection de Dehors Serge dehorsau Collège Lionel-Groulx, à Sainte-Thérèse, où il enseigne, tout comme son épouse. « Il nous a posé une question après le film, et nous avons été impressionnés par la pertinence de son intervention », explique Pier-Luc Latulippe. Martin l’a également reconnu parce qu’il l’avait vu à Tout le monde en parleil a été très touché par son histoire. Et j’avais été marqué par Ma vie rouge Kubrick quand j’étais étudiant. En rentrant ce soir-là, nous avons senti qu’il fallait immortaliser les dernières semaines de sa vie. »
Les quatre vont ensuite boire un verre. « On ne connaissait pas Marianne, se souvient Martin Fournier. Mais quand on a vu à quel point ils s’aimaient, à quel point ils avaient besoin l’un de l’autre, il est devenu évident qu’il fallait s’intéresser particulièrement à leur couple. » Autrement dit, même si l’aide médicale à mourir « fait partie de l’histoire de Simon », « nous n’avons pas voulu qu’elle soit le sujet central du projet », souligne Pier-Luc Latulippe.
On assiste ainsi, dans le film, à des moments francs de leur quotidien. Ils partagent des réflexions sur la vie et la mort, affirmant un jour que leur amour constitue un acte de rébellion contre la finitude. Dès les premières scènes, Simon sait qu’il demandera éventuellement l’aide médicale à mourir. Puis, un matin, il appelle son médecin pour lui dire qu’il a choisi une date. Si l’on pouvait déjà constater la grande force vitale de l’auteur, chaque événement nous semble alors d’autant plus précieux: la dernière promenade dans son quartier, le dernier feu de camp dans son jardin, la dernière conversation devant la caméra avec sa fille, Romane…
Son dernier projet
« Simon, qui avait toujours écrit, mais qui n’en pouvait plus à cause d’un cancer, a décidé d’accepter l’invitation de Pier-Luc et Martin sur un coup de tête, car il voyait ce film comme son dernier projet artistique, explique Marianne Marquis-Gravel. Les gars lui ont demandé quelle esthétique il voulait. C’est lui qui leur a dit qu’il préférait que ce soit en noir et blanc, parce qu’il aimait Les ailes du désirpar Wim Wenders. Nous voulions quelque chose de plus poétique, qui ne serait pas un documentaire conventionnel, comme les autres films de Pier-Luc et Martin. »
Des questions éthiques se posent alors : comment s’immiscer dans l’intimité d’un couple ? Jusqu’à quelle étape du processus d’aide médicale à mourir faut-il filmer ? «Nous avons trouvé des réponses très rapidement et instinctivement», raconte Martin Fournier. Dès le départ, nous avons décidé de ne pas filmer la mort de Simon, de laisser ce dernier moment à lui et à sa famille. »
« Il faut dire qu’on est devenus amis avec les gars, ajoute Marianne Marquis-Gravel. Nous avons développé une complicité très forte, de par l’intensité des émotions que suscite le tournage, mais aussi parce que c’était pendant la pandémie et qu’on ne voyait quasiment personne d’autre. Simon aussi était de moins en moins en forme. Parfois, il ne pouvait se lever que 30 minutes par jour. C’est donc devenu le seul moment de la journée où nous pouvions tourner. Il est resté tellement motivé jusqu’au bout… »
“Une belle mort”
C’est aussi le lien d’amitié qui unissait le quatuor qui a permis aux deux amoureux de se sentir à l’aise devant la caméra. « Au début, j’avais une appréhension à l’idée qu’on me filme pendant que je faisais ma vaisselle, raconte Marianne Marquis-Gravel. Avec le temps, c’est devenu normal. La caméra atterrissait, restait souvent immobile, puis on l’oubliait. Au début des journées de tournage, les gars nous posaient quelques questions pour nous réchauffer, et cela finissait par nous lancer dans une discussion importante avec Simon sans qu’on s’en rende compte. »
Cette expérience est devenue « la plus importante » de la carrière des cinéastes, soutient Pier-Luc Latulippe. « Nous avons choisi d’aborder l’aide médicale à mourir en la tenant pour acquise », a-t-il déclaré. Nous sommes partis du principe que cela était normal au Québec, notamment pour poétiser le quotidien de Simon et Marianne. Cela nous a quand même fait comprendre à quel point on peut avoir une bonne mort si on choisit le meilleur moment. »
Lorsqu’on lui demande ce qu’elle ressent à l’idée de parler aux médias, deux ans après le décès de son conjoint, Marianne Marquis-Gravel se dit ambivalente : « J’aurais aimé que Simon soit à mes côtés pour en parler, mais je pense aussi que le film transmet toute sa force et sa passion. Peu de personnes auront vécu leur mort comme Simon : en l’acceptant, puis en la sublimant à travers l’art. Je trouve ça beau, finalement. »
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