Les grandes entreprises françaises, dont Michelin et nous le regrettons, n’ont pas fait la lumière sur la politique économique de ces dernières années et ont applaudi ce qui était présenté comme une politique d’approvisionnement brillante alors que la poursuite de la désindustrialisation était gravée dans le marbre : on en voit le résultat aujourd’hui.
Un patron charismatique « Monsieur François » (Michelin) a propulsé une entreprise clermontoise au sommet de l’industrie mondiale du pneumatique. Après lui, l’entreprise continue de prospérer, présente dans 175 pays, avec 135 000 salariés tout en conservant 16 usines en France. Avec un chiffre d’affaires de plus de 28 milliards et un bénéfice de plus de 2 milliards, l’entreprise mondiale Michelin reste l’un des fleurons français du secteur.
Le président de l’entreprise, depuis mai 2019, Florent Menegaux, a conservé la discrétion et l’humilité du Père Fondateur. Le « paternalisme » assumé par les dirigeants successifs met en avant la nécessité de satisfaire les salariés du monde entier en prenant soin de leur vie au travail et en dehors, en privilégiant les progrès en matière de qualification.
La surprise du monde industriel est venue fin 2023 lorsque le patron de l’entreprise a fait un grand communiqué de communication, très inhabituel pour « Michelin » sur la nécessité d’un salaire « décent » pour tous les salariés de l’entreprise holding en tenant compte de la contexte de chaque région ou pays et correspondant pour la France à 1,5 à 3 fois le SMIC ! Compréhensible comme une communication de motivation interne, ce discours a été un choc pour de nombreux dirigeants de petites, moyennes ou grandes entreprises qui luttent avec leur masse salariale pour rester compétitifs. En particulier, les sous-traitants des grandes entreprises (dont Michelin) n’ont pas compris cette « sortie » alors que les directeurs « achats » de leurs clients leur demandent des prix très bas et des gains de productivité annuels souvent irréalisables en raison des charges sociales et fiscales venant les déstabiliser. avec l’appui de normes et de réglementations dont les Grands Groupes se désintéressent. Cette « leçon » donnée à tous les chefs d’entreprise « indécents » ! » s’est mal passé alors que Michelin a fermé son site de Roche sur Yon à partir de 2019 montrant les faiblesses des implantations françaises du géant du pneumatique.
C’est dans ce contexte que l’annonce à l’automne 2024 de la fermeture de deux autres sites dans l’Ouest, Cholet et Vannes, a stupéfié le monde industriel national, notamment en analysant les raisons avancées par le chef d’entreprise. . Le coût de l’énergie a été multiplié par 2, celui du gaz par 5, la masse salariale a dépassé les plafonds avec les charges sociales, la fiscalité est insupportable et les Français achètent des pneus chinois et indiens moins chers que ceux que nous produisons : la compétitivité s’est donc dégradée depuis 2019. et Michelin doit en tirer les conséquences !
Le discours de fin 2024 est donc bien différent de celui du début d’année, suscitant le désarroi des salariés viscéralement attachés à « leur » entreprise et même si tout le monde était au courant de la baisse des commandes ces derniers mois, ils n’en ont guère je m’attendais à des changements. fermetures aussi complètes et rapides. Est-il logique de donner des leçons un jour à ses collègues et fournisseurs tout en argumentant le lendemain sur la « non-compétitivité » française sans même avoir tenté de lutter sur ce terrain ?
En fait, de nombreuses entreprises ont critiqué le marché européen de l’électricité en introduisant une concurrence artificielle avec de nombreux « fournisseurs » qui ne produisent rien, ne transportent rien et ne distribuent rien. Le coût de l’éolien français est de 9 milliards d’euros par an, alors que la structure nationale n’a pas besoin d’énergie intermittente et aléatoire. Si l’énergie électrique est aujourd’hui deux fois plus chère pour nos constructeurs qu’aux Etats-Unis, c’est parce que ces décisions ont conduit à doubler notre prix de production pour satisfaire les inventeurs du « marché ».
Le poids des coûts salariaux et la non-protection de notre marché envers les produits asiatiques ne sont pas non plus nouveaux. Les grandes entreprises françaises, dont Michelin et nous le regrettons, n’ont pas fait la lumière sur la politique économique de ces dernières années et ont applaudi ce qui était présenté comme une politique d’approvisionnement brillante alors que la poursuite de la désindustrialisation était gravée dans le marbre : on en voit le résultat aujourd’hui.
La démission du CAC 40 et des instances dites « représentatives » est désormais évidente et le dialogue avec les salariés est difficile à engager malgré le traitement de faveur que Michelin réserve à ses salariés : tout le monde dans la filière savait ce qui allait se passer, seul un quelques tireurs de francs ont tiré la sonnette d’alarme, vite noyés par les laudateurs d’une politique économique suicidaire.
C’est la deuxième leçon de ce qui se passe aujourd’hui chez Michelin : les dirigeants industriels ont le devoir de protester lorsqu’ils constatent une politique néfaste pour le pays, la vague qui va emporter une grande partie de l’industrie automobile provoquée par la décision des pays. et l’Union européenne était prévisible, la sortie de la fabrication de véhicules thermiques en Europe était une erreur industrielle et sociale, ce n’est pas aux organismes dominés par l’idéologie de faire des choix techniques, c’est au consommateur de décider, aujourd’hui il le fera la voiture électrique en marche arrière, c’est une solution française et européenne drame, tous les constructeurs auraient dû se mobiliser à temps.
La troisième leçon, sans doute oubliée aujourd’hui, est celle de « Monsieur François » qui résonne toujours à mes oreilles : « le patron, c’est le client » ! Combien de fois l’ai-je entendu, et comme cette répétition est utile pour nous tous ! La fermeture des usines de Vannes et de Cholet se conjugue avec la disparition des commandes et donc du marché. Il existe encore des poids lourds et des camionnettes en France, mais les coûts élevés ne permettent pas de rivaliser avec les pays « low cost », notamment l’Inde et la Chine. Cela signifie que le client n’a pas conscience de la différence de qualité entre le pneu Michelin et les autres. Ce constat peut s’appliquer à un nombre important de constructeurs, notamment pour les voitures électriques chinoises construites environ deux fois moins cher que les nôtres. Nous avons effectivement délégué la fabrication de quantités de produits à l’Asie, la Chine devenant l’usine de l’Europe, tout en oubliant que le savoir-faire s’exige. Le « client », notre patron, souhaite-t-il cette évolution ou souhaite-t-il un autre destin pour l’industrie de notre pays ? C’est un choix collectif qui mérite d’être présenté au peuple souverain. On peut imaginer des droits de douane bien sûr mais on peut aussi mesurer la part « charbon » dans chaque produit puisque le faible coût repose souvent sur une multiplication des centrales à charbon dans ces pays. On pourrait donc imaginer une taxe « charbon » qui permettrait à de nombreux produits français ou européens de relever la tête. M. François nous dirait qu’il faut demander au « patron-client » ce qu’il pense et influencer la politique française et européenne pour préserver notre savoir-faire dans nos usines tout en accélérant les programmes de recherche pour rendre les nôtres plus efficaces et moins chers. Je ne l’ai jamais vu abandonner même dans les moments difficiles ! Mais cela demande de la volonté et de la pédagogie face à un gouvernement très éloigné de la vraie vie économique et industrielle.
Un quatrième enseignement est celui du crédit d’impôt recherche toujours traqué par des inspecteurs financiers hostiles. Inventé il y a longtemps, il a fait ses preuves même si le pays n’arrive toujours pas à consacrer 3% de son PIB à la recherche comme ses voisins, nous en sommes toujours à 2,2%. En écoutant les vociférations des parlementaires sur les millions dont Michelin a bénéficié et la nécessité de « contrôler » la manière dont était dépensé ce qu’ils appellent l’argent de l’État, j’ai été consterné par la profonde nullité des connaissances économiques et l’incompréhension de ce qu’était une entreprise qui avait été envahie. l’ensemble de l’Assemblée. Cette idée du CIR était géniale, elle permit à de nombreux laboratoires industriels de s’implanter en France, dont en priorité ceux de Michelin, dont le comportement fut exemplaire. Il faut protéger le CIR, protéger nos laboratoires industriels nationaux pour préserver notre savoir-faire sur notre sol, cesser de soupçonner nos entreprises industrielles d’effets d’aubaine et surtout constater que cet argent n’est pas celui de l’État, c’est d’abord celui de l’État. celui de l’impôt payé par les entreprises qui nous est modestement restitué au profit de la collectivité.
Michelin est un trésor français, les critiques et les soupçons sont honteux, aidons-les plutôt à trouver des solutions à la perte de compétitivité que connaissent toutes nos entreprises et évitons de taxer et taxer une industrie malade au lieu de décider de réformer l’Etat dépensier sans grande efficacité. Une coalition nationale d’entreprises doit être constituée, Michelin sera le bienvenu.
Loïk Le Floch-Prigent
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