L’Assemblée nationale est invitée à voter le traité de libre-échange entre l’UE et le Mercosur, tandis que le monde agricole se mobilise en France. La France parviendra-t-elle à avoir une minorité de blocage ? Et la Commission européenne compte-t-elle changer de position ?
Il s’agit d’un vote qui a des allures de déminage pour le gouvernement, mais sa portée pourrait-elle s’avérer uniquement symbolique ?
La question se pose en cette journée de débat sur le Mercosur à l’Assemblée nationale. Les discussions, réclamées par La France Insoumise (LFI), avaient pourtant été rejetées à plusieurs reprises par Michel Barnier. Mais aujourd’hui, le Premier ministre français ne prendra guère de risques en mettant sur la table un vote qui constituera l’une des rares occasions de voir les partis s’entendre sur un sujet. Dans ce cas, l’hémicycle a de (très) fortes chances de voir prévaloir le « non » au Mercosur, avec une assemblée votant un seul homme. Des écologistes, prônant un référendum sur le sujet, au Rassemblement national, qui devrait voter conformément à la ligne précédemment adoptée en juin 2023, tous ou presque devraient exprimer leur opposition au traité de libre-échange.
Mais avant tout, cette initiative permettra de faire preuve d’un peu d’écoute face à la colère qui s’est répandue dans le monde agricole ces dernières semaines.
Des actions sont en cours en France, notamment en Haute-Savoie, dans les Hauts-de-France et dans les Pyrénées-Orientales. Des emplacements stratégiques sont déjà occupés en Dordogne, des barrages filtrants ont également été signalés dans les Deux-Sèvres. Des tracteurs venus du Grand-Est ou encore de Bourgogne-France-Comté, entre autres, ont convergé vers Strasbourg vers le Parlement européen à l’appel de la Coordination rurale. Mais cette approche, marquée par son caractère direct, voire incisif, n’est pas forcément partagée à l’approche des élections professionnelles. Les syndicats optent ainsi pour des stratégies divergentes, et le patron de la FNSEA, Arnaud Rousseau, a prévenu qu’un troisième tour de mobilisation aurait lieu, sur la question des revenus des agriculteurs. Le syndicat majoritaire prévoit déjà des actions jusqu’à jeudi. Mais sur la forme, l’heure est plutôt à l’apaisement, puisque le modus operandi consiste désormais à éviter « les atteintes aux biens et aux personnes », marquant un changement avec les actions musclées dont l’organisation est depuis longtemps coutumière.
Le gouvernement français espère donc peser sur les négociations menées par la Commission européenne, et parvenir à une minorité de blocage en ralliant à sa cause quatre autres pays de l’Union, représentant 35% de la population européenne.
Mais ce faisant, serait-il pertinent de bloquer un accord dont la dernière version a été finalisée en juin 2019 ? “Ce n’est pas un accord qui a été conclu il y a trois semaines”, en référence aux 25 années de discussions qui ont abouti au traité en question.
« Il faut apporter des arguments, dire pourquoi on est contre », estime Pascale Joannin, politologue et directrice de la Fondation Robert Schuman, rappelant que « les États membres, dont la France, ont transféré la politique commerciale à l’Union européenne. « . « Il faut que ce soit constructif et garder les choses en perspective. Il y a des aspects [de l’accord] qui ne posent pas de problème, donc il ne faut pas tout bloquer [des dispositions]».
La Commission, de son côté, pourrait-elle tenter de faire adopter ce texte en force ?
«Non», répond Pascale Joannin. «Je pense qu’il faudrait plutôt essayer de trouver une voie médiane. La Commission examinera sans doute les points qui posent problème [pour la France]et examinez-les spécifiquement. “Les articles concernant les vins et spiritueux ne posent pas de problème, contrairement à ceux sur les produits alimentaires, et notamment sur la viande.”
Un appel à la nuance, donc, pour ne pas nuire aux intérêts des 27. « Il ne faut pas se tirer une balle dans le pied », prévient-elle, évoquant « la tournée » du « président chinois à l’occasion du G20 ». “Si on veut jouer à se faire peur, on sera seuls.”
Il conviendrait donc d’envisager un certain nombre d’outils juridiques, comme une « application temporaire », ou « la mise en place de garde-fous sur certains points mais pas sur d’autres », afin de « faire passer un message ».
Des changements potentiels auxquels Patrick Martin-Genier, enseignant à Sciences-Po Paris, spécialiste des questions européennes, ne croit guère. En cause, tout d’abord, les atermoiements qui ont longtemps caractérisé la position de Paris sur ce dossier.
« La France n’était pas forcément opposée [à ce traité]», constatant un revirement lié à la mobilisation du monde agricole. “Les tracteurs sont allés jusqu’au Parlement européen, et c’est un élément qui avait été sous-estimé”, assure l’universitaire.
“Elle n’a pas toujours été active pour tenter de trouver une alternative ou une opposition à Bruxelles, étant donné que nous votons à la majorité qualifiée au sein du Conseil des ministres.” Mais certains États montrent désormais des signes d’hésitation, pour des raisons de politique intérieure.
« Il y a effectivement la possibilité d’obtenir une minorité de blocage, car l’Italie et la Pologne ont vu leurs « agriculteurs manifester l’an dernier », poursuit Patrick Martin-Genier.
« Les Polonais ont été brûlés par la concurrence agricole ukrainienne (importations exonérées de droits de douane pour les produits de ce secteur). En Italie, Giorgia Meloni rencontre également des difficultés avec sa coalition, donc la situation a évolué car « c’était encore différent il y a deux semaines ».
L’Allemagne, quant à elle, assiste à la désintégration de la coalition d’Olaf Scholz. Le pays est monopolisé par une campagne dont les plans sociaux dessinent la toile de fond, entre « la suppression de milliers d’emplois chez Bosch », les suppressions d’effectifs chez ThyssenKrupp, qui licencieront 40 % de ses salariés, et les difficultés de le groupe Volkswagen, qui a confirmé des fermetures de sites.
Le surnom du Mercosur, qualifié de « vaches contre voitures », n’a jamais été autant dépassé par les dernières évolutions qui mettent à mal l’industrie outre-Rhin, qui s’ajoutent à l’inflation qui pénalise depuis plusieurs mois la consommation des ménages. Acculée par les difficultés, « l’Allemagne n’abandonnera pas » [sur la nécessité d’appliquer ce traité]», jauge ce spécialiste.
Compte tenu des choix qui ont marqué le début du deuxième mandat d’Ursula Von der Leyen à la tête de la Commission européenne, faut-il s’attendre à des compromis ?
Le président de la Commission n’a pas manqué de souligner que « tout dépend de la dernière ligne droite » dans une récente interview. « Elle est capable d’obtenir un accord dans la précipitation », constate Patrick Martin-Genier. « C’est grâce à Giorgia Meloni qu’elle a été reconduite dans ses fonctions. Et elle écoute moins la France, fragilisée par la situation que connaît aujourd’hui le pays.»
“Ursula Von der Leyen ne va pas céder face à Paris”, assure-t-il, “tout se décidera au dernier moment”, reprenant l’exemple des négociations sur le Brexit, qui ont traîné en longueur avant d’atteindre un tournant. crucial dans les semaines qui ont précédé l’adoption de l’accord il y a cinq ans.
« En cas de minorité de blocage, une clause de révision peut par exemple être mise en place. Mais au Parlement, une majorité [de députés]de tendance plus libérale, sont favorables au Mercosur », en vue de le « ratifier ». « La présidente de la Commission a donc encore un atout dans son sac », elle qui avait précisé qu’il était « hors de question de rouvrir les négociations sur le volet agricole ».
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