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Le professeur Franck-Emmanuel Roux et trois autres médecins du CHU de Toulouse reviennent d’une mission en Ukraine. Ils ont prêté assistance aux équipes de l’hôpital de Dnipro dans le cadre d’une coopération qui ne fait que commencer.
Le professeur Franck-Emmanuel Roux, neurochirurgien, chef du centre de neurosciences au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse, a passé huit jours à Dnipro, dans le cadre d’une coopération en cours d’établissement avec cet hôpital ukrainien.
Vous revenez d’une mission en Ukraine pour le CHU de Toulouse, quel était le contexte ?
L’hôpital civil régional de Dnipro couvre une population de deux à trois millions d’habitants. Grâce à la guerre et à sa proximité avec la ligne de front, située à moins de 100 kilomètres, à Kamianske, il est en train de devenir le plus grand hôpital militaire d’Europe. Nous sommes arrivés après un bombardement quelques jours plus tôt. Dans les couloirs, nous croisions des menuisiers en train d’effectuer des réparations. En huit jours sur place, nous avons vu une centaine de patients, blessés de guerre, civils et militaires, et des patients plus traditionnels souffrant de tumeurs cérébrales, de pathologies de la colonne vertébrale ou ayant subi un accident vasculaire cérébral. Notre équipe était composée du Dr Benoît Viault et du Professeur Vincent Bounes, urgentistes, du Dr Géraldine Faure, anesthésiste-réanimateur, et de moi-même pour la neurochirurgie. Ces spécialités avaient été préalablement répertoriées par l’hôpital de Dnipro pour mettre en place une coopération.
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Quelle était la particularité de votre intervention ?
Dans les missions humanitaires, chacun apprend les uns des autres et, en matière de blessures de guerre, les Ukrainiens ont beaucoup à nous apprendre. Nous avons vu des blessures terribles, des brûlures, des éclats d’obus, des contusions importantes… Nous avons été confrontés à l’horreur de la guerre. Ces missions sont aussi des moments de témoignage et de soutien et les soignants de Dnipro n’avaient jusqu’à présent pas vu de neurochirurgiens civils, sauf par visioconférence. Ils ont donc été très touchés et moi aussi. J’ai été particulièrement surpris par leur envie de bien nous accueillir et par leur envie de communiquer sur notre visite, à la télévision et sur les réseaux sociaux. Ils voulaient envoyer un message à la population, lui dire qu’elle n’était pas seule.
Comment se portent les équipes hospitalières de Dnipro ?
Les personnes qui travaillent dans cet hôpital font preuve d’un courage extraordinaire en venant chaque jour. Ces soignants sont des héros du quotidien. Si certains sont partis, ils sont sur le pont depuis deux ans et demi, ils portent en permanence une énorme charge mentale, avec les nombreuses alertes aériennes. Le service de neurochirurgie est un bon service, doté d’expertises et de publications scientifiques, mais il est passé de 1 500 opérations par an avant la guerre à plus de 3 000 aujourd’hui. Il y a donc parfois un manque de matériel d’exploitation. Le but est de revenir après avoir établi ce dont ils ont besoin.
Vous avez une expérience de la médecine humanitaire (missions régulières au Cambodge) y compris dans des zones de guerre (Bosnie en 1994, Gaza en 2001), en quoi ces interventions à Dnipro étaient-elles différentes ?
On retrouve les mêmes comportements dans la tragédie : l’envie de continuer malgré tout, de prendre soin de chacun et de résister. En rentrant à la maison, j’ai rappelé à mes enfants cette citation de Thucydide : « il n’y a pas de bonheur sans liberté, ni de liberté sans courage » et c’est exactement cela que j’ai vu en Ukraine. . A quelques centaines de kilomètres du front et des Russes, j’ai vu deux femmes ukrainiennes marcher main dans la main, c’est une représentation concrète de ce que peut être la liberté.
Quelle est la prochaine étape, tu veux repartir ?
Bien sûr, je veux y retourner ! C’est le début d’une coopération entre le CHU de Toulouse et l’hôpital Dnipro et il faut se projeter sur une longue période pour tisser des liens, réévaluer les besoins, corriger et améliorer. Nous travaillerons également avec la faculté de médecine, par le biais de cours vidéo et sur place. Ces missions sont fondamentales, je n’ai pas l’impression qu’on ait fait quelque chose d’extraordinaire.
Une collaboration, trois priorités
A l’initiative d’Expertise France, l’agence publique française de coopération technique internationale, les équipes du CHU de Toulouse se mobilisent pour soutenir et renforcer le système de santé ukrainien. Au cours des deux prochaines années, la collaboration entre le CHU de Toulouse et le ministère de la Santé ukrainien s’articulera autour de trois priorités : la création d’un centre de formation en médecine d’urgence et gestion des catastrophes, le développement d’une équipe mobile d’intervention d’urgence en Ukraine avec un hôpital mobile comme celui de l’Hôpital Universitaire, un soutien à la reconstruction des services d’urgence de deux hôpitaux ukrainiens.
Tous ces projets ont été présentés à l’ambassadeur d’Ukraine en France Vadym Omelchenko lors d’une visite au CHU de Toulouse où il a pu visiter le centre de simulation SENS.
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