C’était une nuit d’hiver de janvier. Après avoir reçu un appel d’un enquêteur, Gilles Rivard s’est rendu au commissariat de Granby. Avant même qu’on le lui dise, il savait que sa fille avait été tuée.
Chloé Lauzon-Rivard a été assassinée par son conjoint Michael Dugas-Farcy, le 5 janvier, à Granby. Il s’agissait du premier féminicide survenu en 2024 au Québec.
M. Rivard avait un mauvais pressentiment à l’égard de sa fille aînée, qui n’avait plus de nouvelles de lui depuis plusieurs jours.
Ma fille, elle nous écrivait tout le temps. C’est elle qui organisait les soirées et comme c’était la période des fêtes, nous interagissions sur les réseaux sociaux. À un moment donné, elle a arrêté de nous écrire. J’avais quelques doutes. Mais quand vos enfants approchent la trentaine, vous vous dites : « je vais leur laisser un peu de marge ».
Il était à New York pour célébrer le Nouvel An lorsqu’il reçut le dernier message de sa fille : Bonne année, papa.
En supposant que cela vienne réellement d’elle, dit-il. Je n’ai jamais revu ma fille.
J’avais un doute sur le fait que quelque chose n’allait pas. Je l’ai senti. Lorsqu’ils me l’ont dit au commissariat, j’ai été surpris, mais pas surpris.
Le reportage de Pascal Robidas.
Le début d’un long cauchemar
Au cours des semaines qui suivirent, M. Rivard se réveilla systématiquement toutes les nuits à 0 h 15. C’est à ce moment-là qu’il reçut l’appel téléphonique de l’enquêteur qui allait bouleverser sa vie. Il passe des nuits blanches à revivre les événements, se posant des questions auxquelles il n’aura jamais de réponses.
Même s’il soupçonnait que quelque chose n’allait pas chez sa fille Chloé, celle-ci ne lui parlait jamais des problèmes qu’elle vivait à la maison.
Chloé, quand elle arrivait, elle était toujours contente, raconte-t-il. Je n’ai jamais vu de marques sur elle. Je pense qu’elle me l’aurait dit, mais peut-être qu’elle me cachait des choses parce qu’elle connaissait mon caractère à ce sujet. Peut-être qu’elle voulait aussi résoudre ses problèmes elle-même. Il n’y a que deux personnes sur Terre qui le savent, et il y en a une qui n’est plus là pour nous le dire. Pour ma part, je ne l’ai pas vu venir.
M. Rivard a retrouvé le sommeil, mais une pensée continue de le dévorer.
Ma crainte est qu’elle ait souffert. Je pense que c’est ce qui blesse le plus un père ; qu’elle a souffert le jour où cela s’est produit, explique-t-il, la gorge nouée. Il n’est pas normal que votre enfant parte avant vous. Ça fait mal aussi. Et je n’aurai jamais de réponse. Je pense que ça va être un cauchemar pour le reste de ma vie, imaginer des choses. Il n’y a rien qui puisse résoudre ce problème. Rien.
L’importance de parler
Lors de cette semaine de sensibilisation contre la violence faite aux femmes, Gilles Rivard a souhaité prendre la parole. Il voulait que nous entendions sa douleur, son drame, mais surtout son message : la violence doit cesser.
Nous devons ouvrir les yeux sur cela. Oui, il y a beaucoup de problèmes dans le monde, j’en conviens. Mais pouvons-nous, aujourd’hui, prendre soin de nos propres femmes, enfants, mères ou pères ? Nous ne sommes pas censés perdre des gens comme j’ai perdu ma fille.
Pour que les choses changent, M. Rivard est catégorique : il faut que les gens se parlent davantage et se confient lorsqu’ils vivent des difficultés.
Le monde doit s’ouvrir. Si les parents ont des doutes sur leurs enfants, ils doivent les retirer. Au pire, vous vous disputez avec votre enfant. Même si vous le perdez pendant un an ou deux, vous auriez peut-être sauvé une vie. Faire les premiers pas, c’est ce qui est important.
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Sensibiliser à la violence faite aux femmes est devenu une sorte de mission pour Gilles Rivard.
Photo : Radio-Canada / Pascal Robidas
Sensibiliser à la violence faite aux femmes est devenu une sorte de mission pour M. Rivard. Pour faire changer les choses, mais aussi pour l’aider à faire son deuil et prévenir d’autres morts évitables.
Je ne sais pas ce que ça fait d’être bousculé à la maison. Je n’en ai pas fait l’expérience. Mais je me mets à leur place. Être écrasé, malmené… Il faut que quelqu’un les défende. C’est ce que j’essaie de faire, en en parlant le plus possible. Pour briser les tabous […] Il faut que les choses avancent. Si on n’en parle pas, avec le temps, tout s’efface.
Mais le souvenir de Chloé est encore bien présent dans le cœur de M. Rivard. Il l’accompagne partout, à chaque étape, et le pousse à persévérer dans sa mission.
Mes enfants, je les adore. Mais c’était mon premier. Celui qui m’a fait découvrir ce que c’est qu’être père. C’est ce que je trouve très, très dur.
Avec les informations de Pascal Robidas
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