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Prospective Cooking #1 : quel avenir pour Intel ?

Tenez bon, nous allons nous éloigner de l’actualité classique pour entrer dans un nouveau territoire : celui de la prospective. Cette discipline scientifique consiste à préparer l’avenir à travers une approche rationnelle et holistique. Cependant, elle ne cherche pas à prédire l’avenir (c’est la futurologie), mais à élaborer des scénarios probables basés sur l’analyse des informations disponibles et prenant en compte les processus systémiques de notre société (psychosociaux, économiques, écologiques, etc.). Elle s’appuie donc sur l’analyse des tendances et des signaux faibles du présent et sur les enseignements du passé.

Je propose donc d’inaugurer cette pratique en regardant le cas très préoccupant de la plus grande entreprise de l’industrie du silicium des 40 dernières années : Intel. Êtes-vous prêt pour cette toute première Perspective Kitchen ? Nous y sommes donc !

Scénario U : chute et renaissance d’Intel

Pour ceux qui n’ont pas suivi les dernières actualités, je vous renvoie dans un premier temps à notre article sur les nombreux problèmes que rencontre Intel avec sa fonderie. Pour les autres, on peut partir du constat suivant : renoncer à utiliser sa gravure Intel 4 pour confier à son concurrent TSMC la gravure (en 3 nm) de ses dernières gammes (Lunar Lake et Arrow Lake S), puis mettre un Fin du développement de la gravure 20A, Intel mise clairement beaucoup sur la gravure 18A prévue pour 2025. Il s’agit du fameux “2 nm all-in” entre Intel, Samsung et TSMC dont j’ai déjà parlé dans cet article.

Ce pari est extrêmement risqué pour Intel, car l’énorme déficit financier provoqué par le développement quasi-à perte des Intel 4 et 20A, et la lourde facture de TSMC, mettent en péril l’avenir de l’activité de fonderie au-delà de 2025 en cas d’échec du 18A : Intel n’en a plus les moyens. investir les milliards de dollars nécessaires au développement d’un nouveau procédé. Si ce scénario devait se produire, la crise qui en résulterait serait terrible, mais pas sans précédent.

En effet, AMD a déjà connu un incident similaire à la fin des années 2000, impliqué dans les nombreux problèmes de sa gamme Phenom et mis sous pression par Intel dans la rapidité d’innovation des procédés de gravure (45/32/28 nm entre 2007 et 2010). ), AMD, qui n’avait pas encore fini de digérer le rachat d’ATI en 2005, a assumé l’entière responsabilité de la crise des subprimes, qui a conduit fin 2008 à une violente restructuration et à la vente de son activité de fonderie, devenue depuis GlobalFoundries . Si le succès n’a pas forcément été au rendez-vous (GlobalFoundries a renoncé à la course au grain fin en 2018), AMD a ainsi réussi à faire le ménage et à rebondir en 2017 grâce à son excellente architecture Zen et à la montée en puissance de TSMC.

Pour résumer, ceci Scénario U prédit la faillite de 18A suivie d’une restructuration majeure d’Intel, avec notamment la vente de son activité de fonderie qui sera probablement rachetée par un concurrent américain compte tenu de l’importance de cette activité aux yeux du gouvernement américain. Après avoir traversé le désert de quelques mois (voire années), Intel, qui peut encore compter sur une confortable part de marché de 75%, va pouvoir réapparaître pleinement comme un fabuleux concepteur de CPU/GPU comme tous ses concurrents.

Scénario V : reprise rapide d’Intel

Vous l’aurez compris, Intel a misé tout son avenir sur sa gravure 18A. Si le scénario U explore les conséquences d’un échec, le scénario V il s’intéresse donc à ceux qui réussissent.

Les premières gammes qui devraient en bénéficier sont déjà connues : Panther Lake pour PC et Clearwater Forest pour les serveurs. Avec la finesse de gravure maîtrisée par (très) très peu de fonderies dans le monde (sans doute TSMC, et peut-être Samsung, mais pas sûr), Intel devrait se redresser rapidement face à AMD et Qualcomm et maintenir sa domination sur le marché des CPU en poursuivant sa croissance. Entreprise de GPU.

Le véritable défi sera alors de ne pas retomber dans les schémas anciens qui sont à l’origine de la crise actuelle, en réservant l’exclusivité aux meilleurs savoir-faire de la gravure. La récente décision d’Intel de scinder sa fonderie est clairement un pas dans la bonne direction, mais elle a été prise en réaction à la crise actuelle. Si la situation devait se résoudre rapidement, Intel pourrait être tenté de faire marche arrière, ce qui risquerait effectivement de conduire à une crise similaire d’ici quelques années (les mêmes causes générant les mêmes effets). D’ailleurs, si Intel a décidé d’ouvrir ses fonderies à la concurrence dès 2021, rien ne presse ! La faute est évidemment due aux subtilités peu attrayantes, mais aussi sans doute à une forte méfiance des acteurs envers un Intel qui a toujours eu une dent très sévère à leur égard, n’hésitant pas à user à de nombreuses reprises de l’arme judiciaire pour terroriser le marché et maintenir son influence technologique. Confier vos secrets industriels à ce type de partenaire n’est pas chose aisée.

Dans ce contexte, la meilleure solution pour Intel serait de rechercher un partenaire qui reprendrait une partie du capital d’Intel Foundry pour partager les énormes coûts de développement et donner des garanties d’indépendance au marché, tout en se réservant un accès privilégié aux meilleurs enregistrements. processus de son ancienne succursale. Une fusion avec un autre fondateur serait donc l’option la plus logique, et des rumeurs circulent également sur des discussions entre Intel et Samsung. Mais voilà : Samsung est (sud) coréen et l’élection de Trump rend très improbable un rapprochement qui irait au-delà d’un simple partenariat technologique. De mon point de vue, une fusion entre Intel Foundry et l’américain GlobalFoundries serait bien plus conforme aux attentes de chacun, mais on verra si l’histoire me donne raison.

Scénario X : disparition d’Intel suite à des fusions et acquisitions

Le dernier Scénario X c’est sans doute le plus obscur et le moins probable. Cela suppose également un échec du 18A, mais suppose une évolution très rapide du marché (en 1 ou 2 ans) à l’avantage des concurrents d’Intel. Confronté à une baisse drastique de ses revenus, le fondateur serait incapable de financer sa restructuration et se retrouverait à la merci des opportunistes. Et après le violent effondrement des Bourses cet été, les candidats ne manquent pas : Qualcomm, Apollo Global Management et Broadcom se sont déjà positionnés (cette dernière voulant sans doute laver l’affront de 2018, mais traînant toujours le boulet de sa prétendue proximité avec le gouvernement chinois). Le gouvernement américain, de son côté, inquiet de l’avenir de la fonderie, aurait songé à la marier avec l’américain AMD ou Marvell. Bref, la faible capitalisation boursière d’Intel aiguise les appétits et inquiète les principaux stratèges. Mais parmi tous les vautours qui tournent au-dessus de la bête blessée, il en manque un, et il est grand : Nvidia.

Pourtant, c’est de loin le candidat idéal :

  • Les deux sociétés présentent une complémentarité technologique quasi parfaite, entre NVIDIA, leader écrasant du marché du matériel d’IA et fer de lance du marché des GPU, et Intel, acteur majeur sur le marché des CPU et des puces réseau. L’expertise acquise par NVIDIA sur le marché ARM avec ses puces Tegra pourrait également s’avérer précieuse dans le contexte de l’essor de cette architecture.
  • NVIDIA est une entreprise américaine patriotique qui a fait de son mieux pour garder les choses simples dans le conflit entre les États-Unis et la Chine. Un mariage arrangé par le gouvernement sauverait Intel de la faillite en créant un acteur national puissant, mais sans poser trop de problèmes aux autorités antitrust, ce qui ne serait pas le cas d’un mariage avec AMD. En effet, l’aboutissement d’une fusion Intel/AMD se retrouverait dans une situation de monopole quasi absolu sur le marché des CPU X86, ce qui est inacceptable au pays de l’Oncle Sam.
  • La capitalisation boursière de NVIDIA a explosé jusqu’à atteindre des records tandis que celle d’Intel a fondu comme neige au soleil. Et comme les fusions et acquisitions de cette ampleur se font souvent via les bourses, NVIDIA est idéalement placé pour lancer ce type d’opérations. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : la capitalisation d’Intel est d’environ 105 milliards de dollars (divisée par 3 par rapport aux plus hauts de 2022) tandis que celle de NVIDIA dépasse les 3,48 billions de dollarssoit presque 35 fois plus ! À titre de comparaison, Broadcom vaut 767 milliards de dollars, AMD 224 milliards de dollars, Qualcomm 174 milliards de dollars et Apollo Global Management 100 milliards de dollars. Bref, NVIDIA est clairement en position de force.

Cependant, si les choses s’annoncent particulièrement bonnes pour la marque caméléon, quels sont les éléments qui pourraient la motiver à racheter Intel ? Parce qu’il ne suffit pas d’avoir les moyens, il faut aussi les vouloir ! De mon point de vue, trois facteurs pourraient déclencher un rapprochement :

  • Tout d’abord, et comme cela a été évoqué à plusieurs reprises, le gouvernement américain pourrait intervenir avec force pour que ce mariage puisse avoir lieu. L’élection de Trump ne devrait pas changer cette volonté, étant donné que c’est lui qui a déclenché le conflit techno-commercial sino-américain lors de son précédent mandat. Et un tel mariage serait un excellent moyen de maintenir la domination américaine sur un marché des semi-conducteurs de plus en plus contesté par les Chinois.
  • Ensuite parce que NVIDIA aura besoin de relais de croissance dans les prochains mois. Jensen HUANG est parfaitement conscient que l’euphorie autour de l’intelligence artificielle va bientôt s’estomper et que la bulle spéculative dont NVIDIA est la cible va tôt ou tard éclater. Il a donc tout intérêt à échanger une partie de ses actions surévaluées contre des actions sous-évaluées d’Intel, et plus encore si cela lui permet de mettre les pieds sur un marché des CPU dont il est cruellement absent. Cette volonté s’est récemment manifestée avec l’annonce du lancement d’une gamme ARM en 2025.
  • Enfin, parce que NVIDIA a un vieux compte à régler avec Intel. Peu de gens s’en souviennent, mais dans le passé, la société a tenté d’obtenir une licence pour le X86 afin de pouvoir rivaliser avec Intel et AMD sur le marché des processeurs. En 2009, NVIDIA a même entamé des négociations pour racheter VIA qui détenait alors la seule licence X86 en dehors d’Intel et d’AMD, puis a changé d’avis face aux menaces de guérilla judiciaire d’Intel qui estimait que la licence de VIA ne pouvait être transférée d’un contrat d’achat. Finalement, c’est Intel qui a racheté l’activité CPU de VIA en 2015 pour mettre fin à toute tentation. On imagine donc aisément la satisfaction que pourrait tirer Jensen HUANG d’un rachat d’Intel, après tout, la plus douce vengeance se mange froide.

Mon dernier, petit Scénario X se confirme et qu’un tiers achète Intel (peu importe), tôt ou tard la question de l’avenir d’Intel Foundry se posera. Une fonderie qui ne serait plus en lice ne serait qu’un poids mort pour la plupart des concurrents d’Intel qui ont bâti leur prospérité sur des contes de fées. Les options à considérer seront donc sensiblement les mêmes que celles évoquées dans les scénarios U&V.

En bref

Voilà, cet exercice de prévision est terminé et il ne me reste plus qu’à me retrouver dans quelques années pour voir lequel de nos trois scénarios l’emportera. Par expérience, je sais qu’il s’agit souvent de scénarios hybrides qui se présentent en fonction des imprévus, mais que généralement les grandes tendances sont respectées. Rendez-vous dans 3 ans !


 
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