La Croix : Comment relisez-vous ce projet quinquennal ? Quelle aventure humaine et spirituelle cela représentait-il ?
Mgr Laurent Ulrich : Tous ceux qui ont travaillé sur ce chantier ont eu le sentiment non seulement de faire leur travail, mais de réaliser une véritable vocation personnelle. Beaucoup ont témoigné d’un esprit de coopération entre les 250 entreprises qui ont travaillé en harmonie, dans une grande cohérence. Ce sont de beaux signes, très encourageants dans une époque marquée par l’individualisme où chacun cherche à bien faire.
Ce projet fut cependant marqué par certaines tensions, concernant le choix du mobilier liturgique, la question des vitraux, etc.
Mgr LU : C’est le signe de la vie. Nous pouvons avoir des opinions différentes sur le déroulement de telle ou telle chose. Cela veut dire qu’on discute, qu’on prend le temps de se mettre d’accord. Certains ne seront pas d’accord, mais une fois la décision prise, ils acceptent que la décision appartient à quelqu’un. Lorsque je présidais le comité artistique pour le choix du mobilier, tout le monde avait le droit de s’exprimer. Au comité artistique pour le choix du mobilier, chacun avait droit à la parole. Mais à un moment donné, une voie s’est dégagée vers une décision et le manager que je suis a été amené à prendre cette décision. Je l’ai fait en conformité avec ce que je souhaitais, tout en tenant compte des avis qui étaient exprimés.
C’est plutôt du côté de l’Église que nous avons voulu innover, aller vers quelque chose de évidemment plus moderne…
Mgr LU : C’est souvent comme ça, contrairement à ce qu’on croit. C’est Mgr Maurice de Sully qui décida de remplacer les églises précédentes par cette cathédrale, c’est lui qui commença à faire une église gothique. La cathédrale n’est pas un musée dans lequel sont conservées des antiquités, mais un lieu vivant où l’on prie le Seigneur, dans un temps qui continue, qui utilise de nouvelles techniques. Par exemple, la charpente n’a pas été refaite de la même manière au dessus de la nef et au dessus du transept. L’une a été reconstruite davantage dans le style du XIIIe siècle, et l’autre dans le style du XIXe siècle, pour témoigner de ces deux époques importantes pour la charpente. Cela signifie que les couches de l’histoire sont cohérentes les unes avec les autres. Ce n’est pas parce qu’un élément est contemporain qu’il entre en conflit avec ce qui l’a précédé.
Le nouveau visage de Notre-Dame sera dévoilé d’abord à Emmanuel Macron le 29 novembre, une semaine avant l’inauguration officielle par l’Église, avec des caméras même s’il y avait un embargo sur les images. Est-ce l’illustration d’une tension entre lieu spirituel et symbolisme politique ?
Mgr LU : C’est au Président de la République que l’on doit cette reconstruction rapide, personne ne peut l’oublier. Les commentateurs sont toujours à la recherche d’occasions de conflit, mais là n’est pas la question. Notre-Dame est un lieu d’envergure nationale, de bien commun, un lieu aimé des catholiques mais pas seulement.
Les cérémonies de réouverture des 7 et 8 décembre auront-elles un impact mondial comparable au couronnement du roi en Grande-Bretagne ?
Mgr LU : Ce n’est pas le même contexte, mais c’est un événement d’ampleur nationale, avec une dimension publique, pas seulement chrétienne. Cette dimension publique sera affirmée par une célébration catholique, samedi soir et dimanche. Nous continuons de proposer la foi comme le vecteur qui a rendu possible cette cathédrale et qui justifie que nous l’utilisions encore comme telle aujourd’hui. Il y a une dimension centrale dans cette réouverture. Il ne s’agira pas seulement d’un ruban coupé à l’entrée d’un établissement restauré.
Que va-t-on vivre lors de cette réouverture ?
Mgr LU Le Christ sera au centre. Quand j’ouvrirai la porte, je frapperai à la porte du Christ. Nous entrerons sous le portail du Jugement dernier, comme le feront ensuite les visiteurs et les fidèles, car le sens de la visite qui sera proposé a été modifié pour mettre en contact ceux qui entrent dans Notre-Dame avec le mystère chrétien. Une fois entrés, ils verront le baptistère, porte d’entrée de la vie chrétienne, l’autel, qui est le lieu du sacrifice du Christ, l’ambon qui est le lieu de la proclamation de la parole de Dieu et la cathèdre, qui rappelle le ministère de service. que l’évêque est appelé à rendre.
350 000 donateurs ont contribué à la reconstruction de Notre-Dame, qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
Mgr LU : Rares sont les collectes de fonds qui peuvent toucher autant de donateurs en un mois seulement. Certains étaient très modestes, mais ils voulaient participer. Cela témoigne d’un attachement très profond à Notre-Dame. L’un des symboles de la France sont les églises, en particulier les cathédrales, et notamment celle-ci. Cela indique que toute la vie n’est pas contenue simplement dans les affaires matérielles, dans la recherche du bien-être, mais dans une dimension supérieure qui est figurée par le mystère chrétien.
Parmi les catéchumènes que vous rencontrez et dont vous avez lu les lettres, certains ont-ils été touchés par l’incendie de Notre-Dame ?
Mgr LU : Bien entendu, il s’agit d’une composante très fréquente et de plus en plus forte des demandes de sacrement : beaucoup sont venus à la foi, qui ne leur était pas offerte lorsqu’ils étaient enfants ou adolescents, à travers l’atmosphère d’une église… Ils ont découvert que les églises étaient non pas des musées mais des lieux de vie où ils pouvaient trouver un écrin intérieur, la capacité de prier, la fraternité et une dynamique spirituelle… L’incendie de Notre-Dame fut à l’origine pour certains d’une quête spirituelle. Beaucoup ont été profondément émus.
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