Du point de vue du climat terrestre, le bilan de l’opération est moins rose. Alors que le gaz est souvent présenté comme un « carburant de transition », une étude scientifique récemment publiée met à mal ce discours, et estime que le GNL exporté par les États-Unis réchaufferait l’atmosphère plus que le charbon ! Un constat frappant, alors que le monde continue de miser gros sur ce vecteur énergétique. Donald Trump devrait, dès son retour à la Maison Blanche, revenir sur le moratoire en vigueur sur l’installation de nouveaux terminaux de liquéfaction de gaz naturel sur les côtes américaines.
Les fuites de méthane sous-estimées
L’article en question, signé par Robert Howarth, professeur à l’Université Cornell, dans la revue Energy Science & Engineering et publié début octobre, était très attendu. “L’étude a eu un impact énorme, car elle s’attaque à une sorte de principe acquis par beaucoup de monde, selon lequel le gaz aurait un effet bénéfique sur le climat en remplaçant le charbon.», relate Anne-Sophie Corbeau, chercheuse au Center on Global Energy Policy de l’université de Columbia, aux États-Unis, et spécialiste du gaz naturel. La notoriété de l’auteur, qui avait montré les limites climatiques de l’hydrogène bleu (issu de gaz fossile combiné au captage du carbone), joue aussi. Au point que l’administration Biden avait présenté une première version de son étude pour justifier un moratoire sur les nouvelles installations de liquéfaction de gaz naturel, que Donald Trump envisage d’annuler.
Comment expliquer cette remise en question, alors que l’on sait depuis longtemps que le gaz naturel est une énergie fossile, et donc émet du CO2 lorsqu’il est brûlé. Selon Robert Howarth, ce n’est pas cette étape qui est la plus nocive pour le climat, mais le méthane qui s’échappe de l’extraction du gaz naturel, de sa liquéfaction et de son transport. Au total, l’empreinte carbone de la chaleur produite avec le GNL sur une période de 20 ans (160 g d’équivalent CO2 par mégajoule) dépasse de 33 % celle du charbon, et serait équivalente à celle du charbon sur 100 ans, estime le scientifique.
Le gaz naturel a souvent été présenté comme propre car, contrairement au charbon ou au diesel, sa combustion n’émet quasiment aucune particule toxique (NOx, SOx). Mais du point de vue climatique, «La communauté scientifique alerte depuis longtemps sur les fuites de méthane dont l’impact est catastrophique», soupire Thomas Lavaux, professeur des universités à l’université de Reims-Champagne Ardenne. Les observations satellitaires, notamment, ont déjà montré que «les installations pétrolières et gazières fuient et émettent beaucoup de méthane. Ces émissions sont sous-estimées dans les inventaires officiels, qui utilisent des facteurs d’émission mesurés en laboratoire trop faibles.», raconte le chercheur, qui a lui-même travaillé sur le sujet avec la start-up française Kayrros.
L’extraction reste la phase la plus critique
Ce n’est pas anodin. Même si la combustion du gaz naturel émet moins de CO2 que celle du charbon, »le méthane a un impact très fort à court terme, il est donc crucial d’ici 2050», résume Thomas Lavaux. S’il atteint l’atmosphère, il provoque un réchauffement environ 80 fois supérieur à celui du CO2 sur 20 ans. Contre 30 fois plus sur un siècle, du fait de sa courte durée de vie. Un fait qui conduit également certaines compagnies pétrolières à se lancer dans la chasse au méthane, pour ne pas faire exploser leur budget carbone et répondre aux réglementations émergentes. [voir encadré].
Selon l’étude de Robert Howarth, l’amont (c’est-à-dire l’extraction du gaz et son transport par pipeline) reste la phase la plus critique. Il représente 47% de l’empreinte carbone du GNL américain ! Vient ensuite la combustion, pour 34 % de l’apport de carbone. Ce n’est qu’alors que l’on retrouve la liquéfaction (qui permet d’abaisser la température du gaz à -162°C pour augmenter sa densité), et le transport par bateau, qui pèsent respectivement 9 et 6 %. “Le gaz naturel et le gaz de schiste sont mauvais pour le climat. Le GNL est pire», résume l’auteur.
Dans le détail, Robert Howarth estime notamment que 2,8 % du GNL produit aux États-Unis fuit lors de son extraction et de son transport vers les usines de liquéfaction. “C’est un chiffre cohérent avec les études de la communauté scientifique», juge Thomas Lavaux. Il met également en avant le travail détaillé du chercheur pour compter les fuites des navires méthaniers, qui s’avèrent plus importants lorsqu’ils sont équipés de moteurs deux temps modernes capables de réutiliser le gaz qu’ils transportent.
Plus de marge d’amélioration que le charbon
«Robert Howarth a raison de pointer le problème des émissions de méthane, et du bassin permien : un véritable labyrinthe de pipelines, où les fuites sont supérieures à la moyenne, car la production de gaz est associée à la production de pétrole.», juge de son côté Anne-Sophie Corbeau. La comparaison avec le charbon présente cependant certaines limites : d’abord parce que l’article s’intéresse à la production d’énergie sous forme de chaleur (et non sous forme électrique), et que les centrales à gaz sont généralement plus efficaces que leurs homologues au charbon. . Ensuite, parce que cumuler le dioxyde de carbone et le méthane en « équivalent CO2 » sur 20 ans peut conduire à sous-estimer le rôle à long terme du CO2. “Il est préférable d’utiliser des modèles plus complexes, qui prennent en compte l’impact sur le climat des émissions d’une centrale électrique sur toute sa durée de vie.», juge-t-elle, citant les travaux de son collègue Robert L. Kleinberg sur le sujet.
Pour un industriel qui souhaite décarboner, miser sur une centrale électrique ou un four qui sera alimenté en GNL pose donc question. À court terme, il reste cependant difficile de se passer du GNL tout en assurant notre sécurité énergétique, rappelle Anne-Sophie Corbeau. Au-delà, le chercheur souligne l’existence « d’une grande divergence dans les analyses sur l’avenir de la demande gazière », entre ceux (majoritaires) qui anticipent une forte croissance future compte tenu de la dynamique économique actuelle, et ceux qui espèrent qu’elle sera rapidement délogée par énergies bas carbone.
Attention au greenwashing
Dans tous les cas, “les opérateurs ne peuvent pas dire que le problème du méthane n’existe pas et doivent réduire son empreinte carbone», conclut Anne-Sophie Corbeau. Un constat partagé par de nombreux producteurs de GNL qui, à l’instar de l’américain EQT ou du français TotalEnergies, cherchent à limiter les émissions de leur production. Ils mettent en œuvre des solutions pour lutter contre les fuites de méthane, ou encore pour électrifier certains terminaux de liquéfaction.
Une stratégie contre laquelle de nombreux scientifiques appellent à la prudence, inquiets d’un risque de greenwashing. “Nous souhaitons toujours soutenir les entreprises qui font des efforts : c’est nécessaire et ça va dans le bon sens, notes Thomas Lavaux. Mais la liquéfaction électrisante, par exemple, ne réduit l’empreinte carbone du GNL que de 10 %. Il existe toujours le risque d’investir dans des infrastructures gazières qui fonctionneront longtemps au détriment des sources bas carbone comme les énergies renouvelables. Ce qu’il faut, c’est un changement d’énergie.»
La réglementation européenne met la pression sur le méthane
Libérer discrètement du méthane ne sera bientôt plus possible ! À la multiplication des technologies de détection des gaz à effet de serre – satellites en tête – s’ajoute l’arrivée imminente du règlement européen sur la réduction des émissions de méthane dans le secteur de l’énergie. Publié le 15 juillet 2024 par la Commission européenne, pour une entrée en vigueur début août, ce texte établit différents niveaux pour pousser les producteurs d’hydrocarbures à surveiller, déclarer, vérifier et réduire leurs émissions de méthane. L’acte délégué est encore en discussion à Bruxelles (il doit être adopté d’ici mi-2027) donc « les mécanismes sont encore assez flous, avec par exemple une mention selon laquelle les entreprises doivent faire « tous les efforts raisonnables » pour réduire leurs émissions, ce qui n’est pas défini », commente Anne-Sophie Corbeau.
Le périmètre pris en compte, les méthodes de vérification utilisées, ou encore l’intensité maximale en méthane des hydrocarbures qui arriveront sur le marché européen après 2030, restent notamment méconnus. Mais globalement, « la vision européenne est d’essayer d’obliger les exportateurs à réduire leurs émissions de méthane, avec des amendes pour le GNL qui ne seront pas à la hauteur », résume Anne-Sophie Corbeau. De quoi pousser l’industrie – qui a lancé une charte de décarbonation du pétrole et du gaz lors de la COP28 – à faire des efforts.
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