La guerre en Ukraine vient sans doute d’être le théâtre d’une nouvelle arme : le missile balistique intercontinental (ICBM). Cette arme, conçue essentiellement pour transporter des charges nucléaires, peut également être utilisée pour larguer des explosifs conventionnels. La Russie est accusée d’avoir eu un tel usage à Dnipro.
Il s’agit d’une attaque qui constitue un tournant dans la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Lors d’une frappe visant la ville ukrainienne de Dnipro, située à environ 350 km au sud-est de Kiev, l’utilisation, pour la toute première fois pendant le conflit, d’un missile balistique intercontinental a été signalée. (ICBM, missile balistique intercontinental, en anglais).
Interrogé sur ce point, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a éludé. Il a expliqué que les questions concernant les allégations de Kiev concernant l’utilisation présumée par la Russie de missiles balistiques intercontinentaux en Ukraine devraient être adressées au ministère de la Défense, selon le résumé fourni par l’agence Tass, financée par Moscou.
Il a toutefois ajouté que l’administration américaine sortante continue d’alimenter le conflit ukrainien, empêchant sa conclusion. Ces derniers jours, la Maison Blanche a pris des mesures pour accélérer les transferts d’équipements militaires vers l’Ukraine, ainsi que les dépenses liées aux fonds, avant le retour au pouvoir de Donald Trump.
Frappes successives sur Dnipro en Ukraine
En particulier, il a été noté le feu vert accordé à Kiev par Washington pour utiliser MGM-140 ATACMS sur le territoire russe. Ces armes sont déjà utilisées depuis l’automne 2023 pour frapper des zones du pays occupées par l’armée russe. Il s’agit de missiles balistiques tactiques d’une portée allant jusqu’à 300 km.
Autre évolution notable : la fourniture de mines antipersonnel d’un type un peu particulier. Ces appareils sont équipés d’un module d’autodestruction (ou d’auto-désactivation). On parle notamment de munitions d’artillerie à déni de zone (ADAM, pour Area Denial Artillery Munitions). Certains modèles ont une durée de vie de 4 ou 48 heures, selon les besoins.
Sur les réseaux sociaux, des vidéos prétendant montrer la grève du Dnipro ont commencé à circuler (notamment ce clip et cette autre scène, relayées par le compte Clash Report). Il y a également eu le partage par le récit de Visegrád 24 d’images de meilleure qualité montrant des salves de missiles tombant verticalement, par vagues successives.
« C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’un ICBM est utilisé en temps de guerre. », a souligné Visegrád 24. « C’est une première », a ajouté Clash Report. Si la nature du missile balistique intercontinental n’était pas certaine au départ, la voie qui se dessine actuellement est celle d’un ICBM de type RS-26 Rubezh.
Un ICBM doté d’armes non nucléaires
« Lors de l’attaque matinale sur Dnipro le 21 novembre, les occupants russes ont frappé pour la première fois avec un missile balistique intercontinental Rubezh, qui est un porteur potentiel d’ogives nucléaires. », écrit le compte MAKS 24. Cette particularité ne signifie cependant pas que cette frappe particulière incluait des armes nucléaires.
Il est en effet possible d’adapter un ICBM pour mener une frappe conventionnelle, avec une charge explosive « classique ». Preuve en est : on ne voit aucun éclair lumineux typique d’une frappe nucléaire ni aucun champignon atomique sur l’image. Les dégâts seraient également incommensurables. Et d’ailleurs, il n’y a pas de tollé général dans les états-majors militaires occidentaux.
Il n’en demeure pas moins que les premières condamnations officielles ont commencé à sortir, dont celle de Volodymyr Zelensky et de la France, via le ministère des Affaires étrangères. Cependant, les chancelleries occidentales ont indiqué qu’elles étudiaient toujours le profil de l’attaque – et s’il s’agissait bien d’un ICBM.
« Tous les paramètres – vitesse, altitude – correspondent à ceux d’un missile balistique intercontinental. Toutes les expertises sont en cours », a ajouté le président ukrainien. Même prudence observée à Paris, ainsi qu’à Londres. Officiellement, Paris indique ne pas avoir eu de confirmation de l’utilisation d’un ICBM.
Il est pourtant vrai que le développement des ICBM vise avant tout à disposer d’un vecteur capable de frapper avec l’énergie nucléaire. Plusieurs pays disposent de cette technologie : la Russie, comme on peut le voir, mais aussi les Etats-Unis, la Chine, Israël, l’Inde, le Royaume-Uni, la Corée du Nord et la France avec le missile M51.
Habituellement, un missile balistique suit une trajectoire parabolique, c’est-à-dire une sorte d’arc de cercle. L’engin s’élève d’abord très haut dans le ciel, et franchit parfois la limite de l’atmosphère, avant d’atteindre son point culminant. Ensuite, le missile descend vers sa cible et délivre sa ou ses charges explosives, par vagues ou non.
Il est rapporté que le tir de cet ICBM RS-26 Rubezh a eu lieu depuis la base aérienne russe de Kapustin Yar. Cette installation militaire est située à un peu moins de 800 km de Dnipro, une distance largement à la portée de ce RS-26, puisque ses performances supposées sont capables d’atteindre des cibles jusqu’à 5 800 km.
Un signal stratégique pour l’Occident
Le consultant international en risques Stéphane Audrand a fourni des explications nuancées sur les capacités du RS-26 et ce contexte d’emploi. Il note que c’est « une signalisation stratégique très forte », visant notamment les autres puissances nucléaires, puisqu’il s’agirait d’une première depuis 2022 et l’invasion du reste de l’Ukraine.
Cependant, il note que le RS-26 Rubezh appartient à peine à la classe ICBM. S’il peut atteindre 5 800 km, il est quasiment vide. Equipé de ses armes, sa portée serait à peu près deux fois moindre – de plus, le pas de tir s’avère être relativement proche de Dnipro et n’a pas eu lieu depuis un centre de lancement situé au plus profond de la Sibérie.
Les experts interrogés par ABC nuancent également l’hypothèse d’un ICBM, évoquant plutôt un missile qui se situe dans la classe juste en dessous.
Pour ce spécialiste, cela semble être une réaction aux tirs du MGM-140 ATACMS, car « La Russie a sans doute très peur des frappes ukrainiennes utilisant des missiles occidentaux dans ses profondeurs (états-majors de commandement, dépôts, nœuds logistiques) » ce qui pourrait perturber sa dynamique offensive sur le théâtre ukrainien.
Il voit deux autres explications :
- Premièrement, soutenir l’entrée en vigueur de la doctrine nucléaire russe élargie pour mieux prendre en compte les attaques aériennes massives, notamment émanant d’un pays non nucléaire, mais soutenu par un État qui l’est. Il s’agit de démontrer la capacité à utiliser un vecteur pouvant transporter des armes nucléaires.
- Ensuite, cherchez à pousser les partisans de l’Ukraine à faire attention à ce qu’ils livrent à l’Ukraine. Bref, limiter ou continuer d’empêcher l’arrivée entre les mains de Kiev de SCALP-EG/Storm Shadow (France et Royaume-Uni), Taurus (Allemagne) ou encore MGM-140 ATACMS et AGM-158 JASSM (ÉTATS-UNIS). Tous sont des missiles de croisière, à l’exception de l’ATACMS.
Le risque d’un mauvais calcul
Le théâtre ukrainien s’avère être un théâtre d’emploi d’un certain nombre d’armes nouvelles. On l’a vu avec l’utilisation de drones et de drones navals, mais aussi avec la mise en œuvre de missiles hypersoniques, comme les russes Zircon et Kinjal. L’utilisation conflictuelle d’un RS-26 Rubezh, même si sa portée n’est qu’intermédiaire, en est une preuve supplémentaire.
Une réalité que déplore Volodymyr Zelensky, après plus de mille jours de guerre. ” Il est évident que Poutine utilise l’Ukraine comme terrain d’essai. », a-t-il dénoncé sur Telegram. Paris a également dénoncé le « poursuite de l’attitude escalade de la Russie ».
Il n’en reste pas moins que l’utilisation d’un tel ICBM (la nomenclature tend à les classer en MRBM, pour les missiles balistiques de moyenne portée, de 1 000 à 3 000 km), ou en IRBM, pour les missiles balistiques de portée intermédiaire, de 3 000 à 5 500 km) constitue un risque possible si la signalisation stratégique est mal comprise.
Dans une guerre qui implique directement un État nucléaire – la Russie – contre une nation qui ne l’est pas, mais soutenue par trois autres puissances nucléaires (États-Unis, Royaume-Uni, France), ces vecteurs doivent être maniés avec la plus grande précaution. Un problème d’identification et de mauvaise interprétation est toujours possible.
L’escalade aussi.
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