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quelle culture pour quel avenir ? » , le Centre Pompidou se métamorphose

Bonjour à vous, je suis ravie d’avoir enfin l’opportunité de partager un moment avec vous. Ma première question est simple, merci de vous présenter ?

Je m’appelle Mathieu Potte-Bonneville, je suis responsable du service culture et création du Centre Pompidou depuis 2019, ça ne date pas d’hier ! Le service culture et création est en charge de la programmation vivante de cet établissement. Par ailleurs, je suis philosophe de formation, maître de conférences à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon. Et voilà !

Et c’est déjà pas mal ! Et toi Eva ?

Je m’appelle Eva Daviaud, responsable de la prospective et de l’innovation sociale au sein du département culture et création. Je travaille à la fois sur des sujets de programmation sur des enjeux sociétaux et j’œuvre pour la transformation de l’établissement sur des enjeux de responsabilité sociétale.

Vous connaissant un peu tous les deux, il y a une chose qui m’a surpris lorsque j’ai découvert le programme, c’est son nom… J’imagine que vous ne le nommez pas de manière artificielle ? Ce que j’aurais naturellement appelé un « focus » ou un « festival » (rires), vous appelez ça un « forum », ça vient d’où ?

MPB : Il y a d’abord une tradition. Le forum est le nom d’un des espaces du centre. Le forum est l’espace central, « forum zéro – forum moins 1 » – que Piano et Rogers pensaient en réalité comme faisant face à la Piazza, prolongement direct de cet espace public extérieur par un espace public intérieur et donc l’idée de forums en l’architecture du bâtiment est l’idée que le Centre Pompidou est un lieu qui doit pouvoir accueillir. Qu’elle a un rôle, une fonction quasi politique, en tout cas civique, à la fois de rapprochement de visions et de différentes modalités d’expression. De là sont nés les forums sociaux qui sont intervenus assez régulièrement dans la programmation du centre tout au long de l’histoire.

Alors, ce terme « Forum » n’est pas nouveau ?

MPB : En effet, il faudrait faire une « histoire des forums sociaux depuis 1977 ». A plusieurs reprises, et depuis longtemps, des programmes ont pris ce titre. Récemment, Jean-Marc Scolard, au service de la parole, a programmé « grands forums sociaux »après l’incendie de Notre-Dame par exemple ou après la première élection de Donald Trump… (visages consternés) C’est terrible de dire « la première élection de Donald Trump… ». Finalement, il y a trois ans, l’idée de ces forums a lentement émergé, chaque fin d’année : offrir un moment de rencontre et de convergence, de disciplines et de discours citoyens, autour de problématiques artistiques et sociétales.

Quels étaient les forums précédents ?

MPB : Le premier s’appelait « Climat, quelle culture pour quel avenir ? »la deuxième « Ouvrir la voie »pour le 40e anniversaire de la marche pour l’égalité contre le racisme.

Pour cette 3ème édition autour de la biodiversité, Eva, avez-vous remarqué une évolution dans le travail des artistes dans les formes utilisées ? L’art est évidemment politique. Comment les artistes abordent-ils ce sujet de société, existe-t-il des mouvements particuliers comme le stand-up, le documentaire, etc. pour porter ces sujets ?

ED : Il y a différentes manières de présenter les sujets et c’est quelque chose qui a suscité un débat au sein de l’équipe, en tout cas qui a fait réfléchir sur ce qu’est un artiste engagé ? Est-ce un artiste qui, par exemple, s’intéresse aux sujets environnementaux dans ses engagements personnels mais qui n’aborde pas forcément ces sujets dans son travail ? C’est une question délicate : « où placer le curseur ? » », un artiste qui aborde ces sujets peut aussi avoir un style de vie qui s’écarte parfois de la radicalité écologique. S’agit-il de projets qui d’un point de vue esthétique ont tout à fait du sens et vous entraînent dans une histoire mais qui d’un point de vue scientifique ne tiennent pas du tout ? Nous avons eu des discussions très intéressantes avec

il y avait parfois des idées qui, du point de vue poétique et esthétique, étaient intéressantes, mais au contraire ne tenaient pas la route du point de vue scientifique.

Il y a ce nouveau projet avec Bjork, au Centre chenille, ça a l’air génial ?

MPB : Je pense que la programmation du forum reflète assez bien cette diversité d’approches. Les sujets peuvent faire l’objet d’appropriations par des supports très différents les uns des autres et dans la programmation. Samedi particulièrement, nous avons affaire à l’un de ces artistes qui pratiquent la performance, le cinéma, les arts visuels comme Fabrice Hubert, le design donc qui fait en fait jouer toute la palette. Nos choix se sont portés sur des artistes qui trouvent un équilibre entre l’attention portée aux modalités de leur propre pratique et au message qu’ils souhaitent délivrer et qui dessinent des croisements intéressants, par exemple Momoko Seto, qui est à la fois chercheuse et cinéaste, porte un double casque. Fabrice Hyber, artiste plasticien, interroge le territoire et les pratiques agricoles sous ses différents aspects.

Question importante, combien d’artistes et d’intervenants sont mobilisés pour ce forum ?

ED : Une trentaine tout de même. Nous avons aussi 80 étudiants ingénieurs – 40 institutions culturelles, qui travailleront ensemble, de manière très concrète, sur la façon dont nous changeons collectivement nos pratiques et ensuite des professionnels qui se réuniront également lors d’une conférence ce vendredi.
MBP : Une préoccupation importante de l’Office français de la biodiversité est de considérer que « le public n’existe pas », il y a des publics, des expertises et beaucoup de manières de se préoccuper du sujet. D’où la pluralité d’experts et d’artistes demandée, il ne s’agira pas que de spectacles.

Quels experts par exemple ?

Des experts de la responsabilité sociétale qui se sont réunis en réseau informel depuis 2022 à l’initiative du « forum climat » et qui reviennent simplement échanger de bonnes pratiques entre musées, lieux d’art et de culture. On parle au final entre 30 et 300 personnes.

C’est énorme ! Je veux vraiment qu’on revienne à Björk si tu veux ?

MBP : oui, le fameux « fil conducteur », Bjork et Aleph. Björk est un artiste qui s’intéresse depuis très longtemps et avec beaucoup d’insistance à la question écologique. Sans doute parce qu’elle est rattachée à un territoire, l’Islande, particulièrement révélateur des enjeux de transformation écologique.

Pour en revenir à elle, en quoi Bjork est-elle une figure de proue sur ce forum, au-delà de sa popularité ?

MBP : Bjork, comme vous le savez, travaille sur l’hybridation : dans ses propres tenues de scène, ses masques. L’ensemble de ses travaux récents tourne autour de l’hybridation avec le vivant, d’où cette idée d’hybridation entre sa voix et celle d’espèces disparues ou menacées. La figure de Björk se démarque par une « œuvre sonore », pour rappeler la menace qui pèse sur les vivants, sorte d’alerte, retentissant à intervalles réguliers, au Centre Pompidou.

Ça a l’air vraiment génial, tu auras beaucoup de monde j’espère. Ce qui nous amène à ma prochaine question. Avez-vous des retours, de visiteurs, qui, grâce à vos forums, ont changé, réfléchi, sur leur pratique, leur impact environnemental ?

ED : Oui, je pense à une personne qui est venue me voir à la suite du « Forum Climat », pour me dire qu’elle avait changé de métier et s’était engagée dans Extinction Rebellions. Oui, c’est radical ! (Approbation générale et rires) ED : En fait, nous semons des graines avec ces forums – la question de la mesure d’impact est un des sujets que nous aborderons avec mes homologues référents développement durable de mon établissement – ​​car aujourd’hui il n’y a pas encore de référentiel de mesure .

Vous parlez d’autres établissements, qu’entendez-vous par là ?

MBP : Nous avons choisi d’inclure le mot « culture » dans le titre du forum en 2022, puis en 2024, car nous considérons que cela fait partie du travail culturel. La culture, c’est évidemment, d’une part : les œuvres de création, au sens institutionnel du terme, l’art et la création. Un établissement culturel a un rôle presque anthropologique. Mais, c’est aussi la culture commune, les représentations, les manières de voir les façons de faire. S’interroger sur ce qui peut amener les gens à changer ou non leurs pratiques peut créer des bifurcations d’ambition, d’idées, dans les parcours de vie.

C’était donc une des ambitions de ce projet en 2022, montrer des alternatives inspirantes face à l’urgence écologique, ou est-ce que je me trompe ?
MBP : Oui absolument. Réunissez les étudiants, demandez-leur de prendre la parole et imaginez une sorte de spectacle qui dit essentiellement : « Eh bien, c’est essentiellement ce geste, c’est culturel. Elle concerne la culture car elle fait bouger les lignes, y compris l’art et la création. »

Ma dernière question concerne enfin le centre lui-même. Vous allez bientôt fermer, le Centre Pompidou s’inscrit-il aujourd’hui dans les idées soutenues par l’initiative de ce forum ?

MBP : (rires) Alors, on ne ferme pas, on se transforme !
ED : Au contraire, nous allons nous ouvrir sur le monde, à travers ces rénovations. Depuis 4 ans déjà, un plan d’action environnemental, qui avec ces forums marque notre évolution, j’ai pu réellement constater des progrès dans la sensibilisation des équipes.

Avez-vous des exemples ?

ED : la question de l’espace de stockage était auparavant impensable. L’idée a toujours été d’avoir le plus d’espace possible pour accueillir du public, sauf qu’il s’agissait de parvenir à une éco-conception et à un réel emploi et donc aussi à des économies budgétaires. Les équipes du musée étaient tout à fait conscientes de la nécessité de se battre pour les mètres carrés de stockage car nous avons admis que c’était la condition pour pouvoir exercer les métiers tels qu’ils le seront en 2030 selon l’accord de Massy. Initier un événement comme le « Forum Biodiversité » est l’occasion de questionner chaque étape de la conception de l’événement, de la production jusqu’à la communication elle-même (les brochures papier). La grande majorité des artistes invités viennent en train.
MBP : C’est une bonne question. Il n’existe aujourd’hui aucun lieu, aucune institution qui soit concrètement en adéquation avec les exigences de l’époque en matière d’écologie et d’environnement.

Et comment pensez-vous que cela se fasse ? Quel est l’enjeu de ce manque d’adéquation ?

MBP : Nous vivons dans un monde fracturé. Nous luttons tous, à différentes échelles, contre des contradictions. En ce sens, il n’y a rien de plus facile que de mettre une institution en contradiction avec elle-même et de pointer du doigt ce qui ne va pas. Notre conviction est que « ceci » est le bien, le point de départ de la réflexion et de l’analyse et qu’à partir de là il faut avancer, il faut évoluer.

Ma question n’est pas du tout incriminante, elle n’est que le fruit de ma curiosité !

MBP : (rires) oui je sais. Le Centre Pompidou est un bâtiment conçu dans les années 1970, avant le premier choc pétrolier. Aujourd’hui, c’est un tamis thermique. Si nous devons fermer, c’est pour résoudre nos problèmes. Isolation, pour changer le système de climatisation, pour protéger les ouvrages sans dépenser une énergie folle. Une grande institution doit opérer cette métamorphose et s’aligner sur les impératifs écologiques, de pré-sérialisation de la biodiversité, de l’époque.

 
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