Environ 10 000 à 12 000 soldats nord-coréens sont sur la ligne de front dans l’oblast russe de Koursk, où l’Ukraine contrôle depuis cet été environ 100 kilomètres carrés de territoire. Pourquoi ces troupes étrangères combattent-elles au nom de Moscou ? Les experts font le point.
La Corée du Nord va-t-elle changer le cours du conflit ?
Considérant qu’environ 1 000 à 1 600 soldats russes
meurent chaque jour sur le front, les troupes nord-coréennes pourraient souffle d’air
à l’armée russe pendant dix jours au plus
déclare immédiatement le colonel à la retraite des Forces armées canadiennes Pierre St-Cyr, qui a également été attaché de défense auprès des ambassades canadiennes à Moscou et à Kiev.
Ce n’est pas cela qui changera réellement le cours de la guerre, pas du tout, à moins que l’afflux de soldats nord-coréens ne se poursuive et que le contingent de 10 000 à 12 000 hommes ne s’agrandisse. […] Là, il y aura des changements au niveau militaire.
Cet afflux de soldats
permet également aux Russes de prendre plus de temps pour entraîner leurs propres soldats, ajoute Frédéric Labarre, chargé de cours à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) spécialisé dans les relations étrangères de la Russie et des autres États soviétiques. Sans une formation adéquate, ces nouvelles recrues ne permettent pas à Moscou d’atteindre aussi facilement ses objectifs militaires.
Cela permet également d’éviter la mobilisation plus général
dans la population russe, ajoute M. Labarre. Le secrétaire général duJE PRENDRAIMark Rutte, estimait le 28 octobre que plus de 600 000 soldats russes avaient été tués ou blessés sur les champs de bataille depuis le début du conflit.
Un point de passage frontalier avec la Russie dans la région de Koursk est visible dans la région de Soumy, en Ukraine, le 11 août 2024.
Photo : Reuters / Viacheslav Ratynskyi
L’Occident et son allié la Corée du Sud n’ont pas tardé à qualifier l’envoi de troupes d’escalade. En est-il vraiment un ?
Selon le colonel à la retraite Pierre St-Cyr, ce qui change, c’est la dimension politique du geste
. Nous venons en effet d’avoir un axe ouvert, clair, précis entre Moscou et Pyongyang.
L’arrivée de cette nouvelle force dans le conflit ajoute une dimension politique importante
et démontre l’ampleur de l’alliance entre Vladimir Poutine et Kim Jong-un qui pourrait être appelée à se renforcer dans les mois à venir, estime M. St-Cyr.
Ce rapprochement inquiète les alliés de l’Occident en Asie, comme le montre la réaction de la Corée du Sud, théoriquement toujours en guerre avec son voisin du nord depuis 1953, qui fut la première à tirer la sonnette d’alarme.
Beaucoup craignent que le conflit russo-ukrainien ne déborde en Asie et déstabilise la région, analyse M. St-Cyr.
Les Nord-Coréens ont une armée extrêmement puissante sur le papier, mais ils n’ont jamais été en situation de guerre
. C’est ce qui est très déstabilisant. C’est également particulièrement important pour la Corée du Sud, car là-bas, pour la première fois, elle sera confrontée à une situation dans laquelle des soldats acquièrent de l’expérience dans une guerre de haute intensité sur le front européen. . C’est absolument une escalade
affirme de son côté le professeur titulaire de la Chaire d’études ukrainiennes à l’Université d’Ottawa, Dominique Arel.
Les pays d’Europe sont un peu pris au dépourvu, car ils se sont vidés dans les armements
et ça leur industrie de défense n’est pas à la hauteur
observe Pierre St-Cyr. Tout le monde regarde vers les États-Unis
pour répondre aux besoins en armes.
Toutefois, le retour au pouvoir de Donald Trump et la transition de pouvoir qui s’amorce pourraient brouiller les cartes sur la suite de ce conflit, puisque le président élu a déjà annoncé son intention de réduire l’aide à l’Ukraine.
Pendant ce temps, Poutine peut se targuer d’avoir ses alliés à ses côtés sur le champ de bataille, note M. St-Cyr.
Quel est l’avantage pour la Corée du Nord ?
La Corée du Nord fait l’objet de lourdes sanctions internationales pour le développement de son programme nucléaire et ses essais de missiles intercontinentaux (ICBM), rappelle Pierre St-Cyr.
Selon les services de renseignement sud-coréens, la Russie verse aux soldats nord-coréens environ 2 000 dollars par mois. La majeure partie de cette somme va directement dans les caisses du régime de Pyongyang.
Ouvrir en mode plein écran
En juin, le président russe Vladimir Poutine et son homologue nord-coréen Kim Jong-un ont signé un traité de coopération visant à s’affranchir de « l’hégémonie » des États-Unis. (Photo d’archives)
Photo : Reuters / Vladimir Smirnov
L’armée de Kim Jong-un reçoit également un soutien technologique pour le développement d’armes et de satellites, ainsi que pour son programme nucléaire, précise M. St-Cyr.
Les soldats nord-coréens n’ont pas participé à des combats actifs depuis 1953, et le champ de bataille en Ukraine est l’occasion d’apprendre les ficelles du combat moderne. Sauf que c’est une école difficile
car ils risquent de payer un lourd tribut en vies humaines, observe le colonel à la retraite Pierre St-Cyr.
Oui, ils n’ont pas d’expérience de terrain, mais ils ont quand même un endoctrinement militaire qui n’est pas à prendre à la légère.
note M. St-Cyr. Le service militaire des Nord-Coréens est obligatoire – il dure 10 ans pour les hommes et 7 ans pour les femmes – ce qui signifie que 40 % de la population est actuellement dans l’armée, ajoute-t-il. .
Près de la moitié des obus utilisés sur le front du Donbass proviennent de Corée du Nord, ajoute Dominique Arel. Cela représente environ 7 millions d’obus en un an et demi, alors que l’Europe et les Etats-Unis peinent chacun à fournir un million d’obus par an.
Est-ce légal ?
La Charte des Nations Unies prévoit, à l’article 51, le droit d’un État de se défendre en cas de violation de sa souveraineté. Cependant, les États interprètent parfois ce droit de manière large pour justifier leurs actions – comme les États-Unis l’ont fait pour justifier l’invasion de l’Afghanistan après les attentats du 11 septembre.
Dominique Arel décrit la justification par la Russie de l’invasion de l’Ukraine comme une écran juridique
. Trois jours avant l’annonce de son opération spéciale
en février 2022, rappelle M. Arel, le président russe avait reconnu indépendance
des deux républiques autoproclamées du Donbass (Donetsk et Louhansk) et a signé, le lendemain, un pacte d’assistance mutuelle avec ces deux pays autoproclamés
.
La protection du Donbass, présentée comme un acte de légitime défense, a servi de justification juridique à l’invasion, explique le professeur Arel.
N’importe quel pays peut demander à un pays étranger de lui venir en aide s’il est attaqué. Et c’est ce qu’a fait la Russie après la percée ukrainienne à Koursk. [où ont été envoyés les soldats nord-coréens]
indique Pierre St-Cyr. Il note que les Ukrainiens ont demandé l’aide internationale en invoquant des motifs juridiques similaires, mais que l’Occident n’est pas allé aussi loin dans son implication, craignant une escalade.
En revanche, critique le colonel à la retraite, nous aurions pu – comme les Ukrainiens l’avaient demandé début 2022 – établir une zone aérienne fermée au-dessus de l’Ukraine. […] Nous avons préféré ne pas y aller pour ne pas violer les prétendues lignes rouges que Vladimir Poutine nous avait fixées.
Related News :