Engager une conversation avec Vladimir Poutine est rarement à votre avantage. Au début de la guerre en Ukraine, Emmanuel Macron l’a appris à ses dépens. Depuis, la quasi majorité des dirigeants occidentaux ont rompu tout contact avec le Kremlin. Jusqu’à ce que, vendredi, Olaf Scholz brise ce cordon sanitaire et décide d’appeler Vladimir Poutine. Si Volodymyr Zelensky avait été prévenu de cet appel téléphonique, il n’en est pas moins furieux. Le chef de l’Etat ukrainien a estimé que Berlin avait ouvert un “La boîte de Pandore” en sortant le Russe de son isolement.
Selon la Chancellerie allemande, l’échange entre les deux hommes a duré soixante minutes. Bien entendu, officiellement, chaque parti restait dans sa voie. Scholz a repris l’argument des alliés de Kiev en exigeant le retrait des soldats russes d’Ukraine et en affirmant que le soutien occidental à Kiev se poursuivrait aussi longtemps que nécessaire.
Crise politique en Allemagne : le budget ne devrait pas être adopté immédiatement
Poutine, pour sa part, a une fois de plus tenu l’OTAN pour responsable de la situation et prévenu que les négociations futures devraient tenir compte des « nouvelles réalités territoriales ». En d’autres termes, la Russie n’était pas prête à abandonner les régions conquises en mille jours de conflit.
Déroute annoncée
Le Kremlin, qui a également communiqué sur cet échange, en a profité pour glisser quelques peaux de banane sous les pieds de Scholz. D’abord en précisant que c’était bien l’Allemand qui avait initié cette conversation. Puis en expliquant que la question énergétique, donc la fourniture de gaz russe à l’Allemagne, avait été abordée. De quoi, peut-être, semer le doute sur les véritables intentions du chancelier.
Hier, l’opposition conservatrice CDU a sauté sur l’occasion pour accuser Scholz de servir la propagande de Poutine. Le leader social-démocrate aurait-il pu pécher par naïveté ? Probablement pas si l’on considère que cet appel est avant tout guidé par la crise politique qui se joue outre-Rhin. Après l’éclatement de sa coalition la semaine dernière, Scholz a dû se résoudre à organiser de nouvelles élections législatives anticipées, qui auront lieu le 23 février.
Pourtant, son parti, le SPD, croupit au fond des sondages, loin derrière la CDU. Pour empêcher cette déroute annoncée, Scholz doit donc tenter des coups. Avec cet appel à Poutine, il peut espérer parler aux électeurs de mouvements peu hostiles à Moscou, notamment ceux de l’étoile montante de l’extrême gauche, la très poutinophile Sahra Wagenknecht.
Plus généralement, alors que l’Allemagne traverse une crise économique, le soutien à l’Ukraine – Berlin est le plus gros contributeur après les États-Unis – se dégrade de plus en plus dans le pays. “L’Allemagne n’a pour l’instant qu’une obsession : sauver sa puissance industrielle, » déclare Nicolas Tenzer, professeur à Sciences-Po et avocat confiant pour l’Ukraine. Cela passe avant toute autre chose. »
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Depuis plusieurs mois, la chancelière fait entendre sa petite musique en Europe sur la question ukrainienne. “Il est, avec les Etats-Unis, celui qui s’oppose le plus fermement à l’intégration de l’Ukraine à l’OTAN”, poursuit Nicolas Tenzer. Scholz est également réticent à voir Kiev utiliser des armes occidentales à longue portée pour frapper la Russie en profondeur et refuse donc toujours de livrer des missiles Taurus.
Il y a un mois, il a décidé que le moment était venu « de tout faire – en plus de soutenir clairement l’Ukraine – pour trouver un moyen d’empêcher cette guerre de continuer. » Ce ton conciliant répond également au traditionnel Politique orientale d’une partie du SPD, qui semble avoir été remise au goût du jour. «Certains membres de son entourage, comme son conseiller à la sécurité, Jens Plötner [qui a assisté à la conversation avec Poutine]ont toujours été sur une ligne assez ambiguë, voire bienveillante, envers Moscou », le juge Nicolas Tenzer.
Autre signe que le SPD lorgne toujours vers l’Est : fin octobre, le nouveau secrétaire général du parti, Matthias Miersch, a annoncé la réintégration de Gerhard Schröder, tandis que l’ancien chancelier, aujourd’hui haut dirigeant du géant gazier russe Gazprom, a pris la cause de Vladimir Poutine.
Unité de façade du Vingt-Sept
Bien entendu, l’appel de vendredi s’inscrit également dans un nouveau paysage international depuis l’élection de Donald Trump. Le républicain a promis une fin rapide du conflit en Ukraine, et les Européens craignent qu’il ne les contourne en entamant des négociations directes avec Poutine. C’est notamment ce qu’aurait dit l’Allemand au président russe.
Pendant ce temps, les Vingt-Sept semblaient d’accord pour afficher leur unité et montrer qu’ils étaient prêts à continuer de soutenir Kiev même si les États-Unis devaient se désengager. « Cet appel téléphonique de Scholz brise ce front commun, dit Nicolas Tenzer. C’est un signal absolument désastreux. » Si Berlin a assuré que cette initiative avait été coordonnée avec la France, les États-Unis et Londres, l’Élysée a expliqué que les messages délivrés lors de l’appel n’avaient pas été coordonnés au préalable.
Demain, au premier jour du G20 au Brésil, Scholz ne devrait donc pas écourter un débriefing avec ses partenaires. Mais le sommet pourrait aussi être l’occasion de poursuivre les discussions avec Moscou, puisqu’une délégation russe, conduite par le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, est attendue à Rio. Scholz a également annoncé qu’il s’entretiendrait avec le président chinois Xi Jinping qui tente depuis des mois de se positionner en médiateur entre Kiev et Moscou.
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