Après une quarantaine d’années de travail, jeudi 14 novembre la neuvième édition du Dictionnaire de l’Académie française a été solennellement remise à Emmanuel Macron. Un ouvrage contesté et critiqué avant tout par Médéric Gasquet-Cyrus, linguiste de l’université d’Aix-Marseille, co-auteur de Va chercher dans le dictionnaire s’il y en a publié aux Editions de l’Atelier et membre du Collectif des linguistes débarqués.
franceinfo : Pourquoi dites-vous que ce dictionnaire est déjà obsolète ?
Médéric Gasquet-Cyrus: Il vient de s’épuiser et ne sert pas à grand-chose. Alors oui, cela a un intérêt historique. Il y a un ouvrage sur l’histoire de la langue que vous pouvez voir sur le site et il est très bien réalisé. La plateforme permet de naviguer de la première édition de 1694 à la dernière. Mais cela mis à part, si vous recherchez un dictionnaire d’utilisation, ce n’est pas vers celui-ci que vous devriez vous tourner.
C’est gratuit mais, d’un côté, c’est normal car il est réalisé avec de l’argent public, et de l’autre il y a un autre dictionnaire gratuit et collaboratif, Wiktionary, avec 400 000 entrées. Je ne pense pas que cette gratuité soit un critère déterminant car on n’y trouve pas de mots contemporains.
Alors ce dictionnaire est-il déjà daté après tout ?
Par exemple, si vous souhaitez utiliser une application sur votre smartphone pour envoyer un email à un ami pour lui faire un bisou. Ce n’est pas possible, car il y a beaucoup de mots qu’on ne trouve pas dans le dictionnaire de l’Académie française. Tu ne peux pas « partagez un chocolat bio avec votre daron » car ces mots ne sont pas dans le dictionnaire de l’Académie française. De plus, ce ne sont pas des mots compliqués.
Comment expliquer que ces mots ne soient pas là ?
La manière dont le dictionnaire est réalisé est complètement archaïque. Il faut 38 ans pour faire un dictionnaire. Ils ont commencé en 1986, ils se sont dit que le « chocolat bio » n’existait peut-être pas à l’époque, ou alors il manquait parce qu’il n’y avait même pas de méthode d’observation. C’est une poignée de personnes qui se réunissent, qui regardent les tôles fabriquées par les granulats et qui disent “eh bien oui”Ô “non”etc.
Il y a des lexicographes professionnels, je LarousseIL Roberto ils ont des équipes qui surveillent, surveillent la langue. Ils font des choix en fonction de critères. Eh bien, c’est aléatoire. Car il y a le « vibrateur » mais pas le « gode ». Il faudra poser la question aux Immortels. C’est étrange cependant. Il y a “zapping” et “woke”, mais il y a des mots comme “web” et “mail” qui n’y sont pas, c’est quand même génial !
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui souhaiteraient enrichir leur langue française ?
L’Académie, et c’est un peu gênant, prétend produire un dictionnaire de la langue d’aujourd’hui, mais ce n’est pas le cas. Si vous cherchez un dictionnaire de la langue commune, il est préférable d’en avoir un. LarousseE Roberto ou Wiktionnaire. Et il existe d’autres ressources en ligne, pas de problème. Au-delà de l’intérêt historique, ce dictionnaire est très étrange car on cherche des mots qui n’y sont pas. Il y a des mots qui ont une définition étrange. Le « franc » est toujours défini comme l’unité monétaire légale de la France. Ce n’est pas très à jour.
Il y a encore quelques progrès, c’est la féminisation des noms de métiers…
Enfin! Ils sont les derniers de la classe à le faire ! Il faut dire que l’Académie lutte contre la féminisation depuis 1984. Les rapports ont été faits à l’époque. Jusqu’en 2019, l’Académie publiait des textes et des communiqués affirmant que c’était un scandale, que la féminisation dénaturerait le langage, etc. Maintenant, cela s’est produit, surtout dans les instituts où il y a des guides, etc., dit l’Académie “nous avons accepté la féminisation”. Une fois de plus, l’usage a pris le dessus. Là, suit l’Académie, c’est le moins parce que la langue évolue vers une plus grande féminisation.
Mais existe-t-il encore un dictionnaire quelque peu conservateur ?
Il est très conservateur. Par exemple, si l’on prend le mot « élégant ». Si l’on prend sa définition dans le dictionnaire de l’Académie française, elle s’écrit : « Il désigne un domestique, dans un hôtel, qui exerce ses fonctions dans le parfait respect des règles de sa profession. Le personnel de cette maison est élégant. Dans les années 1950, cette définition fonctionnait, mais plus aujourd’hui. Et puis il y a encore une fois les mystères. Pourquoi la « fellation » existe-t-elle mais pas le « cunnilingus » ? Là aussi, il faut poser la question des universitaires. C’est très étrange. Y a-t-il des critères ? Car un dictionnaire est encore quelque chose qui repose sur l’observation de la langue dans laquelle on se demande si on l’insère ou non, si le mot est fréquent et utilisé.
La neuvième édition est alors publiée et l’Académie dit travailler déjà sur la dixième, mais est-ce vraiment nécessaire ?
Franchement, nous conseillons au Collectif des Linguistes Consternés de faire autre chose. Par exemple, travailler, comme l’Académie l’a déjà fait, à améliorer l’orthographe du français. Quand je dis s’améliorer, je ne veux pas dire aux gens qu’ils font des erreurs et qu’il faut les dicter. Cela implique d’améliorer l’outil, car l’orthographe pose problème et présente parfois des incohérences. L’Académie, historiquement, y a contribué à travers des éditions. Elle pourrait se dire qu’elle va revenir sur ce projet et avancer sur le sujet. Il existe des linguistes prêts à travailler sur le sujet ailleurs. Mais dans le dictionnaire, ils n’en ont ni les moyens, ni les compétences.
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